Solidarnosc : Épreuve de vérité pour les trotskystes (version abrégée)
Le texte qui suit est une version abrégée d’une brochure de la Tendance bolchévique parue en 1988.
D’après notre expérience, les porte-parole « trotskystes » de Solidarnosc ne sont pas guidés par un seul argument cohérent. Pour autant, de ce mélange d’explications contradictoires, plusieurs thèmes ont émergé. Certains ont convenu de la nature réactionnaire de la direction et de l’idéologie de Solidarnosc. Toutefois, les apologistes de Solidarnosc soulignent que ce mouvement est né comme mouvement ouvrier, a eu recours aux moyens traditionnels de la lutte prolétarienne et a rallié la très grande majorité de la classe ouvrière polonaise. Les apologistes prétendent que les marxistes doivent, en dernière analyse, juger un mouvement selon sa nature de classe objective, quels que soient ses formes et son attirail idéologiques. Nous disons que non.
Bien que la composition de classe d’un mouvement social joue pour beaucoup dans la détermination de sa nature politique, ce n’est pas suffisant dans tous les cas. La tactique trotskyste à l’égard des syndicats est fondée sur l’assomption que ceux-ci constituent un instrument, quelles que soient ses failles, pour la lutte ouvrière pour l’amélioration du sort économique des travailleurs au sein de la société capitaliste. La méthode classique de cette lutte est le retrait de leur force de travail — la grève. En règle générale, l’avant-garde marxiste soutient les grèves. Mais qui peut nier que dans des circonstances spécifiques, la grève peut être réactionnaire ? Un exemple qui vient à l’esprit est la grève de 1974 du Conseil des travailleurs d’Ulster. L’objectif de cette grève était de sauvegarder la prédominance protestante en Irlande du Nord –- par conséquent, il fallait s’y opposer.
Il y a plusieurs circonstances historiques imaginables où les sentiments et objectifs immédiats de la classe ouvrière vont à l’encontre de ses intérêts à long terme. La crise polonaise de 1981 en est un cas d’espèce. La propriété étatique des moyens de production, une caractéristique des États ouvriers déformés, constitue un progrès pour la classe ouvrière, un progrès qu’il faut défendre contre toute tentative de restauration capitaliste. Dès septembre 1981, il était évident que Solidarnosc, par son idéologie, ses liens internationaux et son programme politique, était devenue un mouvement qui visait la restauration de la propriété capitaliste en Pologne. Seule l’ascension au pouvoir de Solidarnosc ou sa suppression pouvait résoudre la crise de l’État polonais de décembre 1981. Tout rébarbatif qu’il soit de prendre le parti des parasites staliniens contre la classe ouvrière polonaise, force est de constater qu’en décembre 1981, les staliniens constituaient la seule force au sein de la société polonaise qui faisait obstacle à la restauration capitaliste.
Le trotskysme et la défense de l’État soviétique
Chez les trotskystes, il faut analyser le mouvement Solidarnosc dans le cadre de notre position sur la « Question russe » et ses implications programmatiques. Les marxistes déterminent la nature de classe d’un État par son contenu social, c’est-à-dire la nature des rapports de propriété qu’il défend, et non pas par ses formes politiques. Trotsky a observé en 1939 :
« même si l’économie ne détermine la politique de façon ni directe ni immédiate mais seulement en dernière instance, l’économie détermine néanmoins la politique. C’est précisément ce que les marxistes soutiennent contre les professeurs bourgeois et leurs disciples. Tout en analysant et en dénonçant l’indépendance politique croissante de la bureaucratie par rapport au prolétariat, nous n’avons jamais perdu de vue les limites sociales objectives de cette ‘indépendance’, à savoir la propriété nationalisée complétée par le monopole du commerce extérieur ».(1)
L’État qu’a créé la révolution bolchévique a été le premier au monde à collectiviser les moyens de production et à établir le monopole du commerce extérieur. Ces percées historiques subsistent toujours en URSS, suivies depuis la Deuxième Guerre mondiale par les révolutions sociales déformées qui ont arraché le capitalisme en Europe de l’est, à Cuba et en Indochine.
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Le rôle des organisations trotskystes dans les États ouvriers déformés et dégénérés est de mobiliser le prolétariat contre la bureaucratie dans une révolution politique pour briser l’appareil stalinien et établir le règne direct des travailleurs. La condition préalable de la direction du prolétariat et de ses alliés dans la révolution politique est la défense la plus résolue des conquêtes prolétariennes. Comme Trotsky a observé en avril 1940 : « Les révolutionnaires sont obligés de défendre toute conquête de la classe ouvrière si déformée soit-elle par la pression des forces ennemies. Celui qui ne sait pas défendre les vieilles conquêtes, n’en fera jamais de nouvelles ».(2)
Ici, il importe de rappeler l’analyse que Trotsky fait du rôle contradictoire de l’appareil stalinien au sein des États ouvriers dégénérés et déformés. En 1933, Trotsky écrit que l’appareil stalinien :
« remplit un double rôle : aujourd’hui, quand il n’y a plus et qu’il n’y a pas encore de direction marxiste, il défend par ses méthodes la dictature prolétarienne ; mais ces méthodes sont telles qu’elles facilitent la victoire de l’ennemi pour demain. Qui n’a pas compris le double rôle du stalinisme en U.R.S.S. n’a rien compris ».(3)
En lieu et place de la compréhension dialectique de la bureaucratie stalinienne chez Trotsky, les « trotskystes » qui prenaient le parti de la direction cléricale et pro-capitaliste de Walesa contre l’appareil policier stalinien en décembre 1981 assurent que « le stalinisme est contre-révolutionnaire jusqu’à la moelle ». Cette formulation erronée (qui tire son origine de la majorité du Socialist Workers Party (Parti socialiste des travailleurs) états-unien lors de la lutte contre l’opposition liquidatrice Cochran-Clarke en 1952-53) dissimule le fait que malgré les politiques anti-ouvrières et contre-révolutionnaires que poursuivent en général les bureaucraties staliniennes régnantes, ces bureaucraties sont obligées périodiquement de prendre des mesures pour la défense du système de propriété nationalisée dont leurs privilèges découlent.
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Plus de quarante ans avant la création de Solidarnosc, Trotsky a prévu le cours de la restauration capitaliste dans une économie planifiée à la suite de la prise de pouvoir victorieuse d’une direction contre-révolutionnaire:
« L’objectif principal du nouveau pouvoir serait de rétablir la propriété privée des moyens de production. Il devrait avant tout donner aux kolkhozes faibles la possibilité de former de gros fermiers et transformer les kolkhozes riches en coopératives de production du type bourgeois, ou en sociétés par actions. Dans l’industrie, la dénationalisation commencerait par les entreprises de l’industrie légère et de l’alimentation. Le plan se réduirait dans les premiers temps à des compromis entre le pouvoir et les ‘corporations’, c’est-à-dire les capitaines de l’industrie soviétique, ses propriétaires potentiels, les anciens propriétaires émigrés et les capitalistes étrangers. Bien que la bureaucratie soviétique ait beaucoup fait pour la restauration bourgeoise, le nouveau régime serait obligé d’accomplir sur le terrain de la propriété et du mode de gestion non une réforme mais une véritable révolution ».(4)
Outre la restauration des rapports capitalistes dans l’agriculture (déjà très avancée en Pologne), la petite production marchande et la vente au détail, un gouvernement « démocratique » de la restauration capitaliste chercherait aussi à renforcer les liens avec le marché mondial capitaliste. Ces mesures ont toutes été mises en avant comme étapes clés dans la création d’une « nouvelle structure économique » esquissée dans le programme de Solidarnosc d’octobre 1981.
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L’Église catholique polonaise n’est pas une institution au-dessus de la lutte des classes. Elle est engagée en faveur du maintien de l’ordre mondial capitaliste partout au monde, de la destruction du marxisme athée et de la préservation du saint des saints : la propriété privée. Ce sont des faits qu’on ne peut pas faire disparaître en faisant abstraction des messes en usine, les drapeaux papaux, les Madones et les défilés religieux.
Il y avait quelques différends au sein de l’hiérarchie sur la façon d’exercer son influence. Le cardinal Glemp, dans la foulée du cardinal Wyszynski, se préoccupait avant tout de mieux maîtriser le système scolaire et l’accès aux médias de communications de masse. Pour ce faire, l’Église s’est posée en médiateur entre Solidarnosc et le régime, tout en profitant de toute occasion de prosélytisme au sein de la classe ouvrière urbaine. Le nouveau pape polonais avait une tendance quelque peu plus interventionniste. Oliver MacDonald décrit l’orientation de Jean-Paul II:
« Le Pape, beaucoup moins méfiant à l’égard du mouvement populaire que Wyszynski, cherchait à collaborer avec ses forces laïques pour les contrôler. Par rapport à Wyszynski, il a mis moins d’accent sur le nationalisme polonais traditionnel, et encourageait plutôt le mouvement de regarder vers les États bourgeois occidentaux comme modèle ».(5)
La tournée polonaise triomphale du pape en été 1979 constitue une preuve puissante de l’influence politique de la hiérarchie anti-ouvrière catholique dans ce pays — un évènement qui a souvent été mis en lien avec l’explosion de Gdansk de l’été subséquent.
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La tragédie de la classe ouvrière polonaise est que des décennies de répression politique stalinienne, de promesses de réformes, jamais réalisées, la corruption ostentatoire et une mauvaise gestion de l’économie ont jeté des millions de prolétaires dans les bras de la réaction clérico-nationaliste. On relate que Staline a écarté le Vatican en tant que facteur appréciable dans la politique mondiale en demandant de nombre de divisions dont disposait le pape. Un des plus grands crimes du stalinisme polonais est d’avoir fourni ces « divisions » au pape.
En Europe et en Amérique, les années 1970 ont vu un ressac dramatique de la vague radicale de 1968. En Europe occidentale, d’anciens militants démoralisés ont trouvé un abri dans les partis sociaux-démocrates, tandis qu’aux États-Unis leurs homologues se sont rejoints au Parti démocrate. Dans les deux cas, ces couches ont gravité vers la politique de la bureaucratie syndicale. Par contre, en Pologne l’Église catholique était la seule institution sociale de taille indépendante de l’État.
Jan Kott, un émigré de l’Opposition de 1968 rentré en Pologne en 1979, a rendu compte de la dérive réactionnaire au cours de cette décennie :
« On a passionnément souligné trois noms : Dmowski [dirigeant des Démocrates nationaux droitiers], Pilsudski et Daszynski [un dirigeant du Parti socialiste polonais de Pilsudski]. Pendant un moment je ne saisissais tout simplement pas ce qui arrivait, et me suis frotté les yeux. Qu’est-ce que ça évoquait? Je me suis retrouvé au milieu de quelle émigration à Londres, ou dans quelle Varsovie anachronique ? D’avant-guerre… mais avant quelle guerre, la seconde? Non, avant la première! » (6)
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Solidarnosc est née au mois d’août 1980 comme réponse des travailleurs polonais à la crise économique profonde qu’a engendrée le régime stalinien. Dès la fin des années 1970, il était évident que les tentatives de la part du régime Gierek de créer une croissance fondée sur les exportations en hypothéquant l’économie aux banques occidentales se sont soldées par un échec fracassant. Les revenus d’exportations, censés augmenter la consommation et bonifier les niveaux de vie, étaient plutôt consacrés au service de la dette.
La politique stalinienne d’apaiser la paysannerie a entravé l’économie polonaise ; la petite taille des exploitations a rendu peu praticable la mécanisation agricole. Toutefois, la méfiance des petits producteurs face au régime a fait en sorte que les tentatives d’encourager l’achat de plus grandes parcelles de terre et des tracteurs n’ont connu que des résultats dérisoires. La seule façon de convaincre ces agriculteurs petits-bourgeois de produire davantage était l’augmentation des prix qui leur étaient versés. Mais on risquait alors l’affrontement avec la classe ouvrière, qui s’était historiquement opposée aux augmentations du prix des denrées. La « solution » bureaucratique était un système élaboré de subventions étatiques qui a consommé une proportion croissante du surplus social disponible. La production alimentaire interne stagne pendant toute la décennie 1970 ; par contre, les gains des paysans (et les subventions étatiques) continuent à augmenter. En 1977, on estimait que les subventions constituaient 70 % du prix au détail des aliments.
En 1980, après que les argentiers impérialistes ont finalement resserré les crédits au régime, Gierek a dû augmenter le prix de la viande, ce qui a déclenché une vague massive de résistance ouvrière, comme lors des tentatives d’augmentation de prix antérieures de 1970 et de 1976. Or, la crise du régime était beaucoup plus grave en 1980 qu’auparavant. Cette fois-ci, le gros des travailleurs, dont la plupart des membres du POUP—environ dix pour cent du prolétariat industriel—avait perdu toute confiance envers toutes les ailes de l’élite au pouvoir. Les soulèvements antérieurs n’avaient pas donné lieu à de nouvelles structures organisationnelles, tandis que la vague de grèves d’août 1980, qui s’est vite étendue de Gdansk à l’ensemble du pays, a donné naissance à Solidarnosc…
Les accords de Gdansk de 1980
Les accords de Gdansk et de Szczecin sont le reflet du rapport des forces existant à l’automne 1980. Adam Michnik a observé : « Chez les deux parties, le compromis était un mariage de raison et non pas d’amour ».(7)L’appareil stalinien a concédé la création d’un véritable syndicat « autogéré ». En revanche, Solidarnosc a promis de respecter le principe stalinien du « rôle dirigeant » du POUP et de respecter la propriété sociale des moyens de production. Même si nous nous serions opposés à l’alinéa sur le « rôle dirigeant » et l’appel à l’ « accès aux mass médias pour les organisations religieuses dans la pratique de leurs activités religieuses », on pouvait sans problème soutenir la grève du mois d’août et la plupart des dispositions de l’accord. Les trotskystes ne pouvaient faire autrement que de saluer le renforcement des travailleurs polonais face aux bureaucrates staliniens et à leur appareil policier. Mais, du coup, il fallait s’opposer fermement à la dérive de plus en plus pro-occidentale et cléricale de la direction syndicale.
Or, les accords de Gdansk du mois d’août ne pouvaient signifier qu’une résolution temporaire du conflit. Dans une période de déclin de la production, doublée d’une dette internationale qui montait en flèche, il était utopique d’attendre que la « politique » exclusivement dévolue au POUP pourrait rester longtemps divorcée de l’économie. À travers l’hiver et le printemps de 1980-81, ce sont les succès de Solidarnosc qui l’ont obligée de formuler des réponses à l’échelle de l’économie dans son ensemble.
À la lumière de la nature clérico-nationaliste de la direction syndicale, il n’est guère surprenant que leurs « réformes » ne visassent pas la défense de la propriété nationalisée des moyens de production.
La crise Bydgoszcz : Solidarnosc va jusqu’au bout
Un affrontement crucial entre Solidarnosc et le régime est survenu à la fin du mois de mars 1981. La question était la reconnaissance légale de « Solidarnosc rurale », un « syndicat » de koulaks fondé pour maintenir la rançon faramineuse que représente la subvention étatique aux producteurs agricoles privés inefficaces. La hiérarchie catholique, dont la paysannerie polonaise constitue la base historique, s’acharna à gagner la reconnaissance de Solidarnosc rurale et est intervenue directement auprès du gouvernement à cette fin, à plusieurs reprises.
Le 19 mars 1981, 200 agents de police firent irruption à la préfecture de Bydgoszcz, où ils passèrent à tabac Jan Rulewski, un dirigeant local de Solidarnosc qui y rencontrait un group d’adhérents de Solidarnosc rurale. Cet incident déclencha une grève d’avertissement d’une heure le 27 mars, avec la participation de millions de travailleurs membres de Solidarnosc. La direction de Solidarnosc a menacé de déclencher une grève générale illimitée le 30 mars faute d’obtenir la satisfaction de ses revendications. Devant cette manifestation impressionnante et déterminée de la part des travailleurs polonais (dont un grand nombre d’adhérents du POUP), le régime a plié et a accepté de reconnaître Solidarnosc rurale.
Solidarnosc a gagné la partie à Bydgoszcz, mais l’empressement de la part de la direction d’arriver à un compromis avec le gouvernement— ce que souhaitait l’épiscopat – a semé le mécontentement chez des pans de sa base qui était d’avis qu’on aurait pu arracher plus de concessions. À ce moment-là, Walesa a agi comme agent de l’hiérarchie au sein de la direction de Solidarnosc et a fini par remporter la partie. Selon Walesa, « Ce qui est vraiment arrivé, c’est qu’il y avait un danger de scission ; avant tout une scission d’avec l’Église. À ces moments-là, il faut faire marche arrière ».(8) Mais l’issue ne plaisait pas à tous. Oliver MacDonald a observé que dans la foulée de Bydgoszcz :
« Les masses ont tendance à dériver en d’autre sens avec le poids croissant de la crise économique, comme Solidarité ne semblait pas disposer de la force pour résoudre leurs problèmes. Certains commencent à désirer un gouvernement fort, de n’importe quel type, d’autres ont entamé des actions sauvages autonomes, non maîtrisées par la direction de Solidarité. Quant aux militants du mouvement, ils commençaient à chercher des réponses politiques plus radicales à la crise, au-delà des objectifs purement syndicaux ».(9)
Le Congrès de 1981 — Solidarnosc traverse le Rubicon
Jusqu’à son congrès national de septembre – octobre 1981, la nature de Solidarnosc reste indéterminée du point de vue historique. D’une part, Solidarnosc est la création d’une vague de la masse de la classe ouvrière polonaise — dont un tiers de la base du parti au pouvoir, le POUP. D’autre part, elle est dominée par un groupe dirigeant attaché à l’Église catholique et qui a des affinités pour les impérialistes « démocratiques ». (À l’automne 1980 Walesa a salué l’élection de Reagan comme « bon signe » pour la Pologne.) Walesa et ses comparses étaient généralement reconnus comme dirigeants du mouvement, mais ne disposaient d’aucun mécanisme pour faire appliquer leur volonté, ni mandat clair de la base.
Cette situation anormale sera redressée au congrès des délégués de ce syndicat. Il s’agit d’un rassemblement extrêmement démocratique, tout à fait représentatif et qui jouit de ce fait d’une grande autorité. Lawrence Weschler relate :
« Âgé d’un an à peine, Solidarité n’avait pas uniquement gagné environ 10 millions de membres, mais également, a même su faire participer chacun des 10 millions à une séquence de votes sur le terrain, d’unions locales et de congrès régionaux qui ont fini par choisir les représentants réunis en salle, par un processus élaboré et décentralisé ».(10)
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Comme Alain Touraine a observé, la « démocratie, formelle et pointilleuse, est la garantie d’une formidable légitimité et rend incontestable les décisions prises par le Congrès ».(11)Ce processus profondément démocratique finit par cristalliser Solidarnosc sur le plan politique comme mouvement politique pro-capitaliste. Bien qu’il compte sans aucun doute le gros de la classe ouvrière polonaise, Solidarnosc n’est plus seulement un syndicat ouvrier. Son programme proclame, « Nous sommes une organisation qui combine les aspects d’un syndicat et d’un grand mouvement social ». Effectivement la majorité des presque 900 délégués au congrès ne sont pas des travailleurs.
Le programme adopté à la fin du mois d’octobre 1981 est l’expression la plus précise de la nature politique de ce mouvement social… L’essentiel de ce document est la proposition d’un démantèlement radical de l’économie planifiée polonaise à la faveur d’ « un nouveau système économique et social » où les forces du marché primeraient.
Nous proposons d’analyser plusieurs secteurs clés du programme de Solidarnosc…
« La structure de l’organisation économique qui sert le système de commandement doit être démembrée. Il est indispensable de séparer l’appareil administratif économique du pouvoir politique ».
—III.1.1
« Il faut abolir les barrières bureaucratiques qui rend impossible le fonctionnement du marché. Les organes centraux de l’administration économique ne doivent pas imposer aux entreprises les limites de leur activité ni leur indiquer les fournisseurs et leurs acheteurs. Les entreprises pourront agir librement sur le marché intérieur, à l’exception des domaines où une licence est obligatoire. Le commerce international doit être accessible à toutes les entreprises… Le rapport entre l’offre et la demande doit déterminer les prix ».
—III.1.3
L’appel à « abolir les barrières bureaucratiques qui rend impossible le fonctionnement du marché » ne constitue pas un programme pour la réforme du système de propriété nationalisée. La séparation entre la politique et l’économie est précisément un élément saillant de l’économie du marché ; une économie collectivisée et planifiée opère une fusion entre les deux. Enlever les barrières au libre fonctionnement du marché signifie le démantèlement de la planification centrale. Il s’agit d’une proposition pour la transformation fondamentale des relations de propriété — c’est-à-dire, la contre-révolution sociale.
La phrase « le commerce international doit être accessible à toutes les entreprises » signifie ce qu’elle dit : on abrogera le monopole du commerce extérieur et chaque entreprise accédera au marché mondial. Cette proposition de démantèlement du monopole du commerce extérieur, selon Trotsky un corollaire essentiel à la propriété nationalisée, est réitérée à III.3.2:
« Il faut exploiter les stocks superflus de matériaux, de machines et d’installations, en facilitant leur vente à l’étranger et en les revendent aux entreprises privées dans le pays. Il est indispensable de supprimer les limitations qui gênent actuellement l’activité de ces entreprises ».
C’est un appel ouvert à établir un marché des moyens de production et la suppression des restrictions au droit d’entreprise de vendre les moyens de production au marché capitaliste international—autrement dit, la destruction des formes prolétariennes de propriété.
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« Il faut, en principe, augmenter la part de l’économie paysanne dans les attributions de moyens de production, et notamment de machines et outils agricoles, d’engrais, et de fourrages, surtout ceux à haute teneur en protéines. Cela permettra d’augmenter la production d’aliments, car l’économie paysanne est plus efficace que l’économie socialisée ».
—III.3.4
Voilà une revendication explicitement pro-capitaliste, dont la plupart des apologistes de gauche de Solidarnosc ne tiennent pas compte. Les petits producteurs paysans sont loin d’être efficaces : leur basse productivité constitue une entrave à l’économie.
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Avec le soutien de millions d’agriculteurs petits-capitalistes, étroitement liés à la hiérarchie d’Église, les koulaks ont constitué une composante intégrale à la restauration en Pologne. Le programme de Solidarnosc a proposé de détourner les ressources des fermes collectivisées pour accélérer le développement de cette couche. À notre connaissance, aucun membre des légions d’avocats « trotskystes » de Walesa, qui conçoivent Solidarnosc comme un mouvement dont la dynamique est essentiellement « socialiste », n’a encore su expliquer comment se plier aux demandes des koulaks pourrait faire avancer les intérêts des travailleurs polonais.
« Il faut bâtir une nouvelle structure économique. Dans l’organisation de l’économie, l’unité de base sera une entreprise sociale, gérée par une équipe, représentée par un conseil des travailleurs et dirigée par un directeur nommé après concours par le conseil, et révocable par le même conseil.
« … Elle appliquera dans sa gestion le calcul économique. L’État pourra influencer l’action de l’entreprise par des règlements et des moyens économiques— prix, impôts, taux du crédit, cours monnaies étrangères, etc. ».
—III.1.2
La revendication de « l’autogestion » ouvrière de l’économie est souvent indiquée par les apologistes de gauche de Solidarnosc comme le volet progressiste et favorable à la classe ouvrière de son programme. Mais pour qui connaît les doctrines fondamentales du socialisme, il devrait être une évidence que cette proposition n’a rien à voir avec la lutte de la classe ouvrière d’arracher le contrôle de la planification économique à la bureaucratie. « L’autogestion » selon Solidarnosc se traduit par la « libération » de chaque entreprise du plan central. Chaque usine serait autonome et la régie centrale ne pourra exercer d’une influence indirecte sur la production. Chaque entreprise déterminerait son activité en accord avec le « calcul économique » — c’est-à-dire, selon les profits et pertes. Ce qui dresserait les conditions préliminaires essentielles à la transition au système de propriété privée capitaliste.
Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires en Union soviétique n’ont pas ouvertement prôné le retour des moyens de production à la bourgeoisie — ils ne cherchaient qu’un peu plus d’ouverture pour les forces du marché. Quand l’économie gérée centralement est décomposée en unités autonomes dont les interactions sont régies par le « calcul économique », la propriété collectivisée cesse d’exister, sauf sur le plan strictement formel. Dans un écrit de 1928, Trotsky anticipe l’essentiel de l’autogestion selon Solidarnosc comme un moment critique dans la transition de retour à l’économie du marché.
« Les trusts et les diverses usines se mettront à vivre de leur vie propre. Il ne restera aucune trace du plan, déjà insuffisant à l’heure actuelle. La lutte économique des ouvriers ne sera limitée que par le rapport des forces. La propriété de l’État sur les moyens de production se transformera d’abord en fiction juridique puis celle-ci même sera balayée ».(12)
Nous avons rencontré quelques « penseurs profonds » parmi les hordes de pseudo-trotskystes qui prétendent défendre l’Union soviétique mais qui pointent du doigt la « perestroïka » de marché qui se répand dans le bloc soviétique, comme pour pardonner le programme ouvertement pro-capitaliste de Solidarnosc. Ils sont prêts à concéder que Walesa et compagnie sont contre-révolutionnaires et pro-capitalistes, mais prétendent que les staliniens ne sont aucunement mieux.
Les trotskystes s’opposent aux propositions de « socialisme du marché » de Gorbatchev précisément parce que celles-ci renforceront les forces restaurationnistes internes. Il faut toutefois faire la différence entre les propositions que mettent de l’avant des gens comme Walesa, ouvertement liés aux impérialistes aux plans idéologique et pratique, et ceux que défendent les bureaucrates staliniens dont les privilèges découlent de leur rôle comme garants de la propriété nationalisée. La bureaucratie engendre et fait la promotion de courants restaurationnistes, mais ne peut pas embrasser le capitalisme dans son ensemble sans abolir sa fonction sociale et se liquider. Walesa, l’hiérarchie cléricale, les agriculteurs privés et les « socialistes » pro-impérialistes du KOR (le comité de défense des travailleurs, un regroupement social-démocrate) n’ont pas d’attachement analogue au principe de la planification.(13)
S’il subsiste des doutes sur l’axe principal des propositions économiques de Solidarnosc, il est instructif de noter la réaction du congrès à ce qui étaient possiblement les deux seuls moments où on a même prononcé le mot « socialisme ». Timothy Garton Ash note que :
« Le vocable ‘socialisme’ ne figure pas au programme. L’avant-projet des intellectuels avait reconnu une dette à ‘la pensée sociale socialiste’ à côté de l’éthique chrétienne, les traditions nationales et la politique démocratique : le débat démocratique à fait tomber l’adjectif ‘socialiste’ ».(14)
À la deuxième occasion, le professeur Edward Lipinski, un fondateur du KOR et associé depuis longtemps avec le Parti socialiste polonais de Pilsudski (PSP) d’avant-guerre, a annoncé la dissolution du KOR et a dénoncé le gouvernement qui aurait trahi les « idéaux socialistes » de sa jeunesse. Une motion est proposée pour remercier le KOR pour son apport à Solidarnosc, par contre, une contre-résolution que propose un certain Niezgodzki rejette même cette référence. Touraine explique que :
« La motion de Niezgodzki est manifestement l’expression d’un nationalisme qui rejette le K.O.R. et qui est comprise comme telle, d’autant que chacun sait, au Congrès, que la région de Mazowsze [le district dont Niezgodzki est originaire] est le lieu d’empoignades entre ‘vrais Polonais’ et militants proches du K.O.R. ». (15)
Le Parti socialiste polonais, dont Lipinski évoque avec nostalgie les traditions, était une formation sociale-démocrate, nationaliste polonaise, que les véritables fondateurs du marxisme polonais, Rosa Luxemburg et Léo Jogiches, ont combattue presque toute la vie. Mais même ce courant du « socialisme » semblait inacceptable à une majorité des délégués en présence. De tels épisodes démentent la soi-disant existence d’une opposition de gauche significative au sein de Solidarnosc. La seule opposition perceptible à Walesa et ses conseillers du KOR qui a émergé de ce congrès est manifestement en provenance de la droite.
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La KPN : La droite réactionnaire gagne du terrain
La signification du credo « démocratique » de Solidarnosc devient plus concrète en évoquant certains individus et organisations réunis sous son parapluie « pluraliste ». Bien que la direction de Solidarnosc n’ait pas prôné l’antisémitisme si étroitement lié aux traditions nationalistes polonaises, il en est autrement pour la Confédération pour une Pologne indépendante (KPN). Oliver MacDonald décrit la KPN comme un élément « du courant endecja – un nationalisme réactionnaire catholique et anticommuniste de nature antisémite et fortement autoritaire ». Elle nourrit l’espoir de liquider les communistes et d’établir un nouveau régime autoritaire qui incarne le « véritable esprit ethnique polonais ».(16)
Le dirigeant de la KPN est un certain Leszek Moczulski, dont la carrière confirme la prévision de Trotsky que des éléments de la bureaucratie se retrouveraient des deux côtés des barricades advenant une deuxième guerre civile en Union soviétique. Moczulski n’a pas attendu l’arrivée d’une guerre civile. Après avoir joué un rôle dirigeant dans une révoltante épuration antisémite au sein du POUP en 1968, il s’est éloigné du stalinisme polonais pour assumer un poste important à la KPN, et a été emprisonné par le régime par la suite.
Le même congrès de Solidarnosc qui a fait exprès de ne pas faire la moindre référence au socialisme a approuvé une résolution pour demander la libération de Moczulski et d’autres détenus KPN. Ce n’est guère surprenant, parce que cette bande ultranationaliste et pildsudkiste a été parmi les participants aux délibérations. Garton Ash relate qu’au congrès, la KPN « avait un soutien de plus en plus ouvert. Le programme clair et explicite de la KPN exerçait un certain attrait chez plusieurs travailleurs las de l’autocensure de Solidarnosc et confondus devant le vide de pouvoir apparent ».(17)
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La question des « droits démocratiques » des contre-révolutionnaires de la KPN fait partie d’une question plus large que pose Solidarnosc— comment répondre aux situations où le droit démocratique d’organisation de la classe ouvrière se heurte à la préservation de la propriété collectivisée. La réponse des trotskystes est simple : il y a une hiérarchie de principes. La défense de la propriété collectivisée l’emporte sur le « droit démocratique » d’organisation de courants pro-capitalistes.
Solidarnosc et l’ « AFL-CIA »
Les représentants de la centrale syndicale anticommuniste AFL-CIO, Lane Kirkland et Irving Brown, figuraient parmi les champions de la « démocratie du monde libre » invités au congrès. Outre sa présidence de l’AFL-CIO, Kirkland est également un directeur du front syndical de la CIA, « American Institute for Free Labor Development », qui vise à casser les syndicats de gauche partout en Amérique latine. Il fait également partie du « Committee on the Present Danger », un think-tank reaganien anti-soviétique.
Quant à Irving Brown, Walesa n’aurait pas dû consulter les révélations de Philip Agee sur les activités de la CIA en Europe d’après-guerre pour reconnaître les contributions de cet individu. Les audiences récentes sur Contragate ont fièrement cité le livre de Tom Braden, « I’m Glad the CIA is Immoral » (« Je suis heureux que la CIA soit immorale »), qui explique qu’au moment où les fonds de l’ILGWU pour l’établissement de Force Ouvrière en France furent épuisés, on a lancé un appel à la CIA. C’était le début du financement occulte des syndicats « libres » (c’est-à-dire anticommunistes).
L’invitation que Solidarnosc lance à Kirkland et Brown (et la rebuffade faite aux syndicats staliniens) replace le mot d’ordre « syndicats libres » dans son juste contexte de guerre froide.
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C’est dans la nature des choses que les syndicats « libres » ne sont pas libres de toute obligation. La subvention que l’AFL-CIO versa à Solidarnosc – de l’ordre de 300 000$, et sa première presse – ne restera pas dans le secret des dieux. Comme Tamara Deutscher a observé avec justesse :
« Les presses étaient un don de syndicalistes occidentaux qui avaient également prodigué une assistance matérielle aux Polonais. La centrale britannique TUC et l’AFL-CIO figuraient parmi les principaux donateurs. On ne manquera pas de rappeler qu’en 1926 le Conseil central panrusse de syndicats a offert plus qu’un million de roubles en aide solidaire aux travailleurs grévistes britanniques. Or, on a refusé l’offre parce que le Conseil général du TUC craignait l’opprobre qu’aurait pu soulever l’acceptation de ‘l’or soviétique’ ».(18)
Solidarnosc n’avait aucun scrupule du genre à accepter de l’argent des impérialistes et de leurs lieutenants ouvriers. Au mois d’août 1987, quand le Congrès des États-Unis a voté le versement de 1 million $ à Solidarnosc, une nouvelle fois Walesa s’est empressé d’accepter ce don.
Le marxisme et les « mouvements de masse »
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Le devoir des révolutionnaires est de dire la vérité et non pas d’attribuer une dynamique « révolutionnaire » à des mouvements politiques réactionnaires. En suivant la direction de Solidarnosc, le gros des travailleurs polonais a agi à l’encontre de leurs intérêts historiques de classe. Dans un État ouvrier déformé, un mouvement de masse sous l’hégémonie des restaurationnistes capitalistes ne peut avoir aucune dynamique progressiste – quel que soit le degré de son soutien populaire. Les léninistes n’idéalisent pas les masses. La polémique qui oppose Trotsky à Victor Serge sur la question de la dégénérescence du régime soviétique au cours des années 1920 en dit long sur ceux, comme Workers Power, qui idéalise la « base de masse ».
« Victor Serge a dévoilé en passant ce qui a provoqué l’effondrement du Parti bolchévique : un centralisme excessif… Plus de confiance dans les masses, plus de liberté ! Tout cela est hors de l’espace et du temps. Mais les masses ne sont nullement identiques : il y a des masses révolutionnaires ; il y a des masses passives ; il y a des masses réactionnaires. Les mêmes masses sont à différentes périodes inspirées par des dispositions et des objectifs différents. C’est justement pour cette raison qu’une organisation centralisée de l’avant-garde est indispensable. Seul un parti, exerçant l’autorité qu’il a acquise, est capable de surmonter les flottements des masses elles-mêmes. Revêtir les masses des traits de la sainteté et réduire son propre programme à une démocratie amorphe, c’est se dissoudre dans la classe telle qu’elle est, se transformer d’avant-garde en arrière-garde et, par là même, renoncer aux tâches révolutionnaires. D’autre part, si la dictature du prolétariat signifie quelque chose, elle signifie que l’avant-garde de la classe est armée des ressources de l’État pour repousser les dangers, y compris ceux qui émanent des couches arriérées du prolétariat lui-même ».(19)
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Ce n’est guère un hasard que plusieurs militants de gauche qui ont salué la Solidarnosc de Walesa avaient décelé une dynamique objectivement « révolutionnaire » analogue dans les mobilisations de masse khomeynistes. En Iran, tout comme en Pologne, il y avait des mouvements de masse qui ralliaient la très grande majorité du prolétariat, sous l’hégémonie de directions sciemment contre-révolutionnaires. Ce qui ne signifie pas que chaque couche des masses (et encore moins chaque individu) impliqué dans ces mouvements avait conscience d’où ces directions les menaient. En Iran, la gauche s’est empressée de participer aux mobilisations sous la coupe des mollahs. Or, la stratégie erronée de la subordination politique à Khomeiny et ses fanatiques ne pouvait se solder que par le désastre pour les militants de gauche qui s’y sont inscrits.
Les révolutionnaires iraniens auraient dû participer à la vague de grèves de masse contre le Chah avec la perspective de formation d’un pôle dur d’opposition prolétarienne aux mollahs réactionnaires. En Iran, la portée du « mouvement de masse » a paralysé les centristes, qui ont suivi derrière les mobilisations contre-révolutionnaires des mollahs. En scandant « Allah Akbar » avec les masses plébéiennes si mal dirigées, la gauche a objectivement contribué à la victoire de la réaction théocratique qui ne tarda pas à se retourner contre le mouvement ouvrier.
Au printemps dernier, Workers Power nous a transmis une lettre qui déclare (au sujet de la Pologne) que : « Nous rejetons la position qu’un mouvement de masse dont la base est prolétarienne pourrait devenir l’agent de la restauration capitaliste ».(20)Muni de cette conception centriste de la politique, Workers Power a soutenu le mouvement khomeyniste en Iran au cours des années 1978-79 — après tout, ce mouvement a également l’aval du gros de la classe ouvrière !
La doctrine selon laquelle les travailleurs des États ouvriers déformés et dégénérés seraient dans leur ensemble immunisés contre la fausse conscience relève de l’ouvriérisme et non pas du marxisme. Cette doctrine tient pour certain que seule la conquête militaire externe pourrait restaurer le capitalisme dans ces États. La tragédie polonaise est que la bureaucratie du POUP, corrompue et antisocialiste, a su miner la loyauté ouvrière au système de propriété nationalisée. Si Workers Power exclut la possibilité de l’émergence d’attitudes réactionnaires répandues sous le règne stalinien, comment peut-il expliquer l’accueil au départ chaleureux réservé aux armées hitlériennes en Ukraine en 1941 ? Ou le prestige formidable de l’Église catholique en Pologne de nos jours?
Les marxistes analysent la nature politique des mouvements sociaux de masse selon leur direction, leur composition sociale, leur trajectoire et leur programme politique – non à partir des illusions ou des intentions subjectives de leur base plébéienne. Or, l’alchimie curieuse du « trotskysme » révisionniste est précisément de transformer tout mouvement social populaire contre les bureaucraties de l’Europe de l’est en force favorable à la révolution politique prolétarienne. En règle générale, il ne tient pas compte de la question clé – est-ce que ces mouvements sont pour ou contre la propriété nationalisée ? Cette question était pourtant fondamentale dans le cas de Solidarnosc en Pologne. Dans les mois qui ont suivi le congrès de septembre, les événements ont précipité Solidarnosc dans une trajectoire d’affrontement avec le régime polonais, dont l’enjeu n’était rien de moins que le pouvoir d’État.
Octobre-Décembre 1981 : au bord de l’abîme
Au mois d’octobre 1981, les pénuries alimentaires ont déclenché une série de grèves sauvages à travers la Pologne. Quand les staliniens ont proposé la création d’une « commission mixte » de représentants gouvernementaux et syndicaux pour aborder la question, Solidarnosc a accepté cette proposition, mais a lancé l’avertissement que, faute de progrès satisfaisant en date du 22 octobre, le syndicat lancerait une grève générale. Les deux parties se sont rencontrées le 15 octobre, et le négociateur en chef de Solidarnosc Grzegorz Palka a proposé la création d’un Conseil social pour l’économie nationale. Ce conseil, qui serait nommé par Solidarnosc « en collaboration avec les milieux artistiques et scientifiques et l’Église », était à l’effet de « collaborer » avec le gouvernement « pour déterminer la politique économique et le développement »… Le POUP a carrément refusé cette proposition.
Le 20 octobre à Katowice, la police a lancé des gaz lacrymogènes contre une foule de plusieurs milliers de manifestants. L’incident qui a déclenché cette intervention était la tentative de la part de policiers en civil d’arrêter un vendeur qui « tenait un étal sur la place du marché, où il vendait des photos du maréchal Pilsudski et des fosses communes de Katyn, des insignes de la KPN et un opuscule titré Sous la partition soviétique, ainsi que des publications syndicales officielles ».(21) À cette occasion, des militants de Solidarnosc ont tenté d’abaisser les tensions et de protéger la police contre les protestataires en colère. Le lendemain à Wroclaw, la police a arrêté trois militants de Solidarnosc qui prenaient la parole à partir d’une fourgonnette.
En réponse à ces affrontements, ainsi que le refus de ses revendications antérieures, la direction de Solidarnosc a lancé un appel à une grève d’avertissement d’une heure le 28 octobre. La résolution comprend la menaçait que, faute « de l’octroi de pouvoirs appropriés de la part du gouvernement au Conseil sociale de l’économie nationale et aux commissions de contrôle social » au plus tard à la fin du mois :
« Le syndicat sera contraint de préparer et d’entreprendre une grève active dans des secteurs sélectionnés de l’économie. La date et la portée de la grève seront définies par la KK (la Commission nationale de Solidarnosc). En même temps, la KK demande à toutes les régions et à toutes les usines de mettre fin aux protestations actuellement en cours et de participer à l’action nationale ».(22)
Certains défenseurs de Solidarnosc indiquent les tentatives de la direction nationale de désamorcer une série de grèves sociales comme une preuve que Walesa était un bureaucrate vendu de mèche avec les staliniens contre une base militante. Effectivement, il y avait de très grandes tensions au sein de Solidarnosc, à tous les niveaux, qui donneront lieu à des polémiques passionnées ; mais ces différends étaient d’ordre tactique. La direction de Solidarnosc toute entière était consciente que l’éclosion de grèves incontrôlables minait leur position dans la lutte contre le pouvoir.
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Certains soi-disant trotskystes qui ont pris position en défense de Solidarnosc prétendent que, à l’automne 1981, le soutien populaire avait diminué à un tel point qu’il n’y avait pas de véritable menace au régime. Il y avait des indices que la base démontrait de plus en plus de signes d’impatience face à l’incapacité apparente de la direction de résoudre l’impasse. Toutefois, la réponse à l’appel de grève en date du 28 octobre démontre que la direction que chapeautait Walesa jouissait toujours d’un très grand soutien populaire — surtout quand elle prenait l’offensive contre le régime.
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Le 4 novembre, à l’initiative du cardinal Glemp, Walesa et Jaruzelski se sont rencontrés à Varsovie où ils ont abordé la possibilité de former un Front d’accord national. Ces rencontres se sont poursuivies au cours des semaines suivantes, mais elles ont fini par échouer devant le refus du gouvernement d’accorder un veto à Solidarnosc sur toute décision d’un tel conseil commun, et la revendication qu’a formulée Palka, le 15 octobre, d’accès illimité aux médias.
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Le projet autogestionnaire de Solidarnosc était au coeur de ses propositions de « réforme » de l’économie polonaise. Mais, dans une économie planifiée, où la politique et l’économie sont inextricablement liées, toute « réforme » autogestionnaire a des implications politiques importantes. Les entretiens d’Alain Touraine avec les principaux interlocuteurs de Solidarnosc ont rendu explicites ces liens entre les aspects économiques et politiques de l’autogestion. Un technicien de Varsovie a esquissé le tableau suivant :
Légende : syndicats libres ; autogestion de l’entreprise ; réformes économiques ; indépendance
Touraine résume le tout ainsi :
« Les accords de Gdansk, dit-il, ont libéré les syndicats ; l’action menée depuis lors et surtout depuis le printemps de 1981 est centrée sur l’autogestion, c’est-à-dire sur la libération des entreprises, mais la nature de l’économie polonaise oblige à s’élever du nouveau de l’entreprise à celui du système économique, car l’autonomie de l’entreprise suppose une réforme économique générale, la fin de l’économie administrée et son remplacement par une économie de marché et d’abord par un système rationnel des prix. Enfin, l’action de Solidarité, après avoir reconstitué le système politique, devra s’efforcer de rétablir l’indépendance véritable du pays ».(23)
Avec le passage de l’automne à l’hiver, les tensions se sont intensifiées au sein de la direction de Solidarnosc. La société polonaise était tenaillée par une crise sociale profonde qui devait être résolue d’une façon ou une autre. La direction de Solidarnosc était polarisée entre les « militants » qui pensaient que le moment de l’affrontement est arrivé — en première instance par une stratégie de « grèves actives » de prise de certaines usines — et Walesa et les autres « modérés » (avec le soutien de l’hiérarchie cléricale) qui pensaient pouvoir arracher d’autres concessions du régime chancelant par les négociateurs et les manœuvres.
Les enregistrements de Radom
« La confrontation est inévitable, et elle aura lieu. Je voulais y arriver par une voie naturelle, quand tous les groupes sociaux auraient été avec nous. Mais je me suis trompé dans mes calculs, parce que je pensais que nous pourrions attendre encore que ces Sejms [parlements], ces conseils, tombent d’eux-mêmes. Il s’avère que nous n’aboutissons nulle part avec cette tactique…
« …si nous réalisons notre programme, que si nous distribuons la terre des fermes d’État aux paysans privés et créons des comités d’autogestion partout, nous décomposerons leur système…
« Il ne faut pas dire à haute voix : la confrontations est inévitable. Nous devons dire : nous vous aimons, nous aimons le socialisme et le parti – et l’Union soviétique, bien sûr, — et par des faits accomplis faire notre boulot et attendre… »
« Il faut faire comprendre aux gens la nature du jeu en cours ; que l’enjeu est si grand qu’il signifie une nouvelle donne et qu’il y a une seule issue possible à la partie en cours. On ne peut pas changer de système sans échange de coups… »
—Lech Walesa, commentaires à une réunion de la direction nationale de Solidarnosc, les 3 et 4 décembre 1981 (24)
Au cours des jours qui ont suivi la rencontre de Radom, les autorités staliniennes ont diffusé des extraits de la rencontre soi-disant secrète de la direction de Solidarnosc à plusieurs reprises à la radio et télévision nationale. Dès le 13 décembre 1981, tout le pays avait entendu l’aveu de Walesa que son attitude temporisatrice et conciliatrice n’était qu’un stratagème. Devant les questions sur l’authenticité des bandes sonores, Walesa s’est contenté de répondre qu’on avait sorti ses commentaires de leur contexte. Le New York Times écrit que « M. Walesa était particulièrement gêné ; des millions l’ont entendu dire qu’il croyait la confrontation inévitable depuis toujours et y œuvrait en secret (ce qui n’est pas avéré, mais ses propos étaient surtout destinés à rétablir sa crédibilité auprès des militants de Solidarnosc) ».(25)
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Les 11 et 12 décembre, le Comité national de Solidarnosc tint ce que sera sa dernière réunion. La seule décision arrêtée fut de tenir un référendum national sur les quatre questions suivantes :
« 1. Est-ce que vous êtes favorable à un vote de confiance au Général Jaruzelski?
« 2. Est-ce que vous êtes en faveur de l’établissement d’un gouvernement provisoire et d’élections libres?
« 3. Est-ce que vous êtes favorable aux garanties militaires à l’Union soviétique en Pologne?
« 4. Est-ce que le Parti communiste polonais pourra être l’instrument de telles garanties au nom de l’ensemble de la société? ».(26)
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Il y avait un éventail d’opinions au sein de Solidarnosc à la veille du coup de Jaruzelski. Les « radicaux » voulaient entamer un affrontement immédiat tandis que les « modérés » voulaient d’abord tenir un vote de méfiance envers le régime, suivi d’une grève générale. En fin de compte :
« Le comité national n’a pas donné son aval à l’une des tactiques proposées. Il s’est contenté de demander un référendum sur le système et la forme du régime… Le débat est resté ouvert sur la façon de résoudre la question du pouvoir… Il est évident que celui qui prendrait l’initiative et frapperait le premier aurait un avantage dans l’éventualité d’un affrontement ».(27)
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Chez les trotskystes, la question n’est pas à savoir qui a frappé le premier. Notre attitude à l’égard de ceux qui mobilisent pour contester le pouvoir étatique dans un État ouvrier déformé n’est pas déterminée par leur compétence technique ou leur préparation, mais en fonction de leur programme politique. Toutes les ailes de Solidarnosc — les radicaux comme les modérés — étaient partisans de la « réforme » économique de nature capitaliste et restaurationniste.
Le POUP se désintégrait, et était incapable de consolider une direction avec un soutien populaire. Il subissait des désertions massives de ses rangs à la faveur de Solidarnosc. L’économie s’effondrait et la société polonaise vivait les affres d’une crise sociale aiguë. Selon Lech Walesa, l’affrontement entre Solidarnosc et le régime était « inévitable ». Les cadres que constituaient 19 500 prêtres, ainsi que les 40 000 permanents de Solidarnosc, auraient pu combler sans difficulté le vide créé par un renversement réussi du POUP.
Walesa et ses proches n’étaient pas très formés dans l’art de l’insurrection — mais la menace qu’ils posaient était bien réelle, notamment en vertu du soutien actif qu’ils pouvaient attendre du monde impérialiste. La direction de Solidarnosc a sous-estimé la solidité de l’armée ; mais personne ne pouvait être certain du comportement des conscrits avant qu’on ait fait appel à eux.
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Nous décrivons le soulèvement hongrois de 1956 comme une tentative de révolution politique prolétarienne. Il est vrai que le régime que dirige Imre Nagy a connu un virage à droite sensible, en intégrant au gouvernement des politiciens bourgeois de la période du « front populaire » de la fin des années 1940. Devant les menaces d’une invasion soviétique, Nagy a même déclaré le retrait de l’Hongrie du Pacte de Varsovie, et a fait appel à l’ONU pour défendre la neutralité hongroise.
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Au cours de toute l’évolution de Solidarnosc, d’une centrale syndicale à un mouvement politique national en lutte pour le « pluralisme », il n’y a aucun moment où des forces politiques significatives se sont organisées autour de la perspective de défendre la propriété nationalisée. En Hongrie l’acteur principal — le mouvement des conseils ouvriers — a ouvertement déclaré sa loyauté à l’égard des « principes du socialisme ». Toute tentative d’établir un parallèle entre les conseils ouvriers pro-socialistes de 1956 et le programme ouvertement restaurationniste de Solidarnosc en 1981 est profondément erronée.
Le programme de la révolution politique
Les trotskystes nient le « droit » des travailleurs d’opérer un retour au capitalisme en Pologne. De même, le droit démocratique de l’autodétermination des nations (par exemple la Pologne à l’égard de l’URSS) doit être subordonné à la défense des formes de la propriété collectivisée. Par ailleurs, nous n’avons pas de foi en l’opération d’un quelconque « processus révolutionnaire » qui assure que tout ira bien en fin de compte. En Pologne, les masses étaient en mouvement au plan politique, et l’appareil stalinien était en décomposition — mais le tout ne se traduisait pas par une révolution politique prolétarienne en marche. Le programme du ou des partis ouvriers est d’importance critique quant à l’issue. Pour être digne de soutien, une direction alternative au sein d’un État ouvrier doit s’engager à sauvegarder l’économie planifiée, le monopole du commerce extérieur, etc. Ce qui n’était tout simplement pas le cas en Pologne.
Une opposition trotskyste au sein de Solidarnosc aurait défendu un programme comprenant :
- L’expulsion immédiate de la KPN et la suppression des courants antisémites et pilsudskistes, et de tout autre courant pro-capitaliste ;
- L’identification active avec Rosa Luxemburg et la tradition héroïque du communisme polonais ;
- La défense du principe de la planification centrale et de la maîtrise centrale de l’économie sous la démocratie ouvrière ; la défense du monopole d’État sur le commerce extérieur — la répudiation des propositions « d’autogestion » compétitive et « d’équilibre du marché » qu’a adopté le congrès de Solidarnosc ;
- La séparation de l’Église et de l’État — aucun accès privilégié aux écoles ou aux médias pour l’hiérarchie catholique ; une campagne déterminée pour la libération des femmes — notamment le droit au divorce, à l’avortement libre sur demande et le libre accès aux moyens de contraception ; le recrutement actif des femmes aux directions politiques et celles des entreprises d’État ;
- Une solidarité agissante avec les contrôleurs aériens grévistes du syndicat PATCO ciblés par Reagan au moment du congrès de Solidarnosc ; un soutien militaire à la gauche salvadorienne insurgée et tout autre mouvement en lutte contre l’impérialisme, partout au monde ;
- La défense militaire sans condition de la Pologne, de l’URSS et de tout autre État non-capitaliste contre l’impérialisme et les courants restaurationnistes ;
- La rupture de tout lien avec les bureaucrates pro-impéralistes de l’AFL-CIO et la répudiation de l’invitation provocatrice et anticommuniste aux syndicalistes liés à la CIA, Irving Brown et Lane Kirkland ;
- La rupture tout lien avec Solidarnosc rurale, dominée par les koulaks ; pour l’organisation des paysans pauvres et des travailleurs agricoles ; le soutien explicite à l’agriculture socialisée ; pour la fin immédiate à toute subvention d’État aux capitalistes ruraux ; abolition du « droit » d’engager des salariés dans le secteur agricole et pour un programme massif d’incitations économiques favorables à la collectivisation volontaire des parcelles individuelles ; et
- Pour la création d’un réseau national de conseils ouvriers pour mobiliser le prolétariat pour le renversement de la dictature stalinienne par le truchement de la révolution politique, pour effectuer le renouveau de l’économie de planification centrale sous administration directe des conseils ouvriers.
La réalité tragique est qu’aucune faction au sein de Solidarnosc n’a prôné un seul de ces points programmatiques. Certes, il y avait beaucoup de débats passionnés et bon nombre de documents et de résolutions, mais le fait demeure que tous les courants de taille au sein de Solidarnosc étaient partisans de la mise en oeuvre d’une « réforme du marché ». Une organisation trotskyste en Pologne en 1981, avec une base ouvrière, aurait mené une lutte pour sortir la direction pro-capitaliste du syndicat. Mais il n’y avait aucun courant de la sorte au sein de Solidarnosc.
Dès la fin de 1981, Solidarnosc est devenue un mouvement favorable à la restauration du capitalisme, avec le pouvoir social requis et une direction subjectivement engagé à renverser le régime stalinien discrédité et démoralisé. Un appel à la défense de Solidarnosc signifiait la défense de ses cadres contre-révolutionnaires. Nous accordons un soutien militaire à la frappe par anticipation des staliniens contre la direction de Solidarnosc.
Par contre, nous n’accordons pas un chèque en blanc aux staliniens d’entraver les droits démocratiques des travailleurs de s’organiser, de tenir des discussions politiques, et de se recomposer au plan politique. Nous savons que seule la révolution politique ouvrière contre le règne des parasites staliniens pourra assurer la victoire contre les courants capitalistes et restaurationnistes. Mais nous n’identifions pas la défense des droits démocratiques des travailleurs polonais avec la défense de Solidarnosc.
Nous chérissons et cherchons à élargir l’espace politique qu’a gagné le mouvement ouvrier par la grève d’août 1980 qui a donné naissance à Solidarnosc. En règle générale, nous nous opposons à la répression stalinienne à l’encontre des dissidents idéologiques, même pro-capitalistes. Par ailleurs, les révolutionnaires défendent l’existence de syndicats indépendants à l’égard de l’État même dans des États ouvriers sains.
Mais la différence fondamentale entre les trotskystes et les shachtmanistes (c’est-à-dire les anticommunistes partisans du « socialisme démocratique ») est qu’en dernière analyse nous ne privilégions pas les « droits démocratiques » au détriment de la défense de formes de propriété ouvrières. En décembre 1981 en Pologne il faillait choisir entre les deux, et nous suivons Trotsky :
« Nous ne devons pas perdre de vue un instant le fait que la question du renversement de la bureaucratie soviétique est pour nous subordonnée à la question de la préservation de la propriété étatique des moyens de production en U.R.S.S. et que la préservation de la propriété étatique des moyens de production en U.R.S.S. est subordonnée pour nous à la révolution prolétarienne internationale ».(28)
La répression que déclenche Jaruzelski le 13 décembre 1981 n’a rien fait pour résoudre les contradictions qui ont donné lieu à la crise de la société polonaise, mais elle a mis un terme à une mobilisation restaurationniste périlleuse. Nous n’avions pas d’illusion sur la capacité des staliniens de protéger et encore moins de développer la propriété étatique en Pologne ou ailleurs. Effectivement, seule la victoire de la révolution politique ouvrière qui écrasera le règne des parasites bureaucratiques peut prémunir contre la restauration bourgeoise.
Nous sommes favorables à la suppression de la contre-révolution par l’action de la classe ouvrière, mais les trotskystes ne peuvent pas rester neutres dans un affrontement entre un mouvement favorable à la restauration du capitalisme et l’appareil stalinien. Au milieu des procès de Moscou de 1937, Trotsky a annoncé :
« Si le prolétariat réussit à chasser à temps la bureaucratie soviétique il trouvera au lendemain de sa victoire les moyens de production nationalisés et les éléments essentiels de l’économie planifiée. Cela signifie qu’il n’aura pas à tout recommencer à zéro. Avantage énorme! »(29)
Notes
- ⇑ Trotsky, Léon; Défense du marxisme, 1940 (Marxist Internet Archive) ⇑
- ⇑ Ibid. ⇑
- ⇑ Trotsky; « La Quatrième Internationale et l’U.R.S.S. : La nature de classe de l’État soviétique », Oeuvres, Octobre 1933 (Marxist Internet Archive) ⇑
- ⇑ Trotsky; La révolution trahie, 1936 (Marxist Internet Archive) ⇑
- ⇑ MacDonald, Oliver; “The Polish Vortex” in New Left Review, n° 139, mai/juin 1983, p. 28 ⇑
- ⇑ Ascherson, Neal; The Polish August, 1981, p.95 ⇑
- ⇑ Michnik, Adam; Letters From Prison, 1985, p. 124 ⇑
- ⇑ The Book of Lech Walesa, 1982, pp. 192-3, cité dans MacDonald ⇑
- ⇑ MacDonald, p. 36 ⇑
- ⇑ Weschler, Lawrence; The Passion of Poland, 1984, p.60 (notre traduction ⇑
- ⇑ Touraine, Alain; Solidarité, 1982, p.211 ⇑
- ⇑ Trotsky; L’Internationale Communiste après Lénine, 1928 (Marxist Internet Archive) ⇑
- ⇑ Workers Vanguard, en date du 8 janvier 1982, relate un article paru dans le numéro du 16 décembre 1981 du journal satirique Le Canard enchaîné ; cet article prétend qu’au milieu d’octobre 1981 Lech Walesa a rencontré en secret un groupe de PDG états-uniens arrivés deux heures plus tôt par avion nolisé. Étaient présents :
« Philip Caldwell, président de Ford ; Robert Tirby, président de Westinghouse ; David Lewis, de General Dynamics, Henry Heinz, du groupe agroalimentaire homonyme et Thomas Watson, un haut-placé d’IBM. Ainsi qu’un VIP de TWA et plusieurs potentats de rang légèrement inférieur, comme des directeurs de banques et de sociétés d’assurance-vie…
« Toute cette foule pour Lech Walesa, qu’on voyait comme le chef du gouvernement fantôme. Les présentations sont rapides et les discussions commencent ; un système de traduction simultanée est en place, ce qui démontre que du côté américain, en tout cas, l’entrevue n’était pas totalement spontanée ».
Selon ce reportage, les industriels et financiers ont posé des questions comme « Est-ce que vous êtes disposés à renoncer à vos congés du samedi ? » « Est-ce que les travailleurs polonais savent travailler et est-ce qu’ils sont disposés à le faire ? » « Est-ce que c’est la fin de l’idéologie marxiste-léniniste en Pologne ? » « Est-ce que vous voulez que le Parti communiste reste au pouvoir ? » (Traduit de la version anglaise citée dans Workers Vanguard) ⇑
- ⇑ Garton Ash, Timothy; The Polish Revolution, 1983, p. 225 ⇑
- ⇑ Touraine, p.136 ⇑
- ⇑ MacDonald, pp. 28-9 ⇑
- ⇑ Garton Ash, p.216 ⇑
- ⇑ New Left Review, n° 125, janvier/février 1981, p. 65 ⇑
- ⇑ Trotsky; « Moralistes et sycophantes contre le marxisme », in Leur morale et la nôtre (Marxist Internet Archive) ⇑
- ⇑ Workers Power à la Tendance bolchévique, 2 avril 1987 ⇑
- ⇑ Garton Ash, p. 249 ⇑
- ⇑ Raina, Peter; Poland 1981, 1985, p. 431 ⇑
- ⇑ Touraine, p.136 ⇑
- ⇑ Le Monde, 9 décembre 1981 et Washington Post, 20 décembre 1981 ⇑
- ⇑ New York Times, 13 décembre 1981 ⇑
- ⇑ Washington Post, 20 décembre 1981 ⇑
- ⇑ Kowalewski, Zbigniew; “Solidarity on the Eve,” in The Solidarity Sourcebook, 1982, Persky et Flam, rédacteurs, p. 240 ⇑
- ⇑ Trotsky; Défense du marxisme ⇑
- ⇑ Trotsky; « Un État non ouvrier et non bourgeois ? » in Défense du marxisme ⇑
Annexe 1
Le programme de Solidarnosc adopté lors du congrès d’octobre 1981, publié en France dans un numéro spécial de L’Alternative (supplément au n·14, janvier 1982).
Annexe 2
Quatre articles tirés de la presse bourgeoise sur les événements en Pologne en novembre et décembre 1981.
A.« La Pologne en quête d’une ‘entente nationale’ », Le Monde du 18 novembre 1981
- B. « Pour les ‘Izvestia’, ‘la contre-révolution aspire au pouvoir’ en Pologne », Le Monde du 28 novembre 1981
- C. « Le primat demande aux députés de rejeter le projet de loi sur les ‘pouvoirs extraordinaires’ », Le Monde du 9 décembre 1981
- D. « Le film des événements », Le Monde du 15 décembre 1981