Bas les pattes devant Julian Assange !

WikiLeaks, le sexe et le droit impérialiste

Ce qui suit est la traduction d’un discours donné par Roxanne Baker de la TBI lors d’un débat avec l’Alliance for Workers’ Liberty sur l’affaire Julian Assange. Il fut organisé par l’Anticapitalist Initiative à Londres le 9 octobre 2012.

La persécution de Julian Assange, que l’on tente de classer dans le domaine du viol, de l’agression sexuelle et des droits des femmes, se ramène en réalité à une attaque contre les droits démocratiques, et en particulier la liberté de la presse. Les différents points de vue au sein de l’extrême gauche sur l’affaire Assange ne se résument pas à savoir si l’on doit prendre ou non « le viol au sérieux », mais tiennent plutôt à une démission devant la pression exercée par la classe dominante, ainsi que l’acceptation par certains « révolutionnaires » de faire office de porte-paroles pour la propagande impérialiste.

Chacun sait qu’Assange et WikiLeaks se sont mis à dos les dirigeants du « monde libre » en publiant des centaines de milliers de documents confidentiels et de correspondances diplomatiques, qui ont mis à nu les coulisses de la diplomatie impérialiste, et ont exposé les crimes monstrueux commis en Irak et en Afghanistan. Pour mémoire, il existe cette fâcheuse vidéo intitulée « Collateral Murder » [Meurtre collatéral], sortie par Wikileaks en avril 2010, qui montrait des soldats américains dans un hélicoptère Apache mitraillant des civils irakiens (dont des enfants et des journalistes).

La persécution farouche de Bradley Manning, le jeune soldat accusé d’avoir fourni Wikileaks d’une documentation des crimes de l’armée US, nous montre sans équivoque comment sont traités les « ennemis de l’Etat » dans « la plus magnifique démocratie du monde ». Depuis deux ans maintenant Manning est en isolement cellulaire, et cela sans jamais être passé devant un tribunal, ce qui représente une violation criante du prétendu droit à une audience dans un délai « raisonnable ». Les socialistes exigent la libération immédiate de Bradley Manning.

L’attaque sur Manning et Assange constitue une preuve supplémentaire de l’érosion des droits démocratiques dans l’Etat sécuritaire américain et ses partenaires en Suède, Grande-Bretagne ou ailleurs. A mon avis nous devrions saluer la décision du gouvernement équatorien d’accorder l’asile à Assange, et c’est avec plaisir que je fais remarquer que William Hague [ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne] s’est vu contraint de revenir sur ses menaces d’envahir l’ambassade pour l’appréhender. Assange, personne ne l’ignore, n’est inculpé d’aucun crime. Les Suédois prétendent vouloir l’interroger, suite à des accusations portées par deux femmes avec qui il a connu des rap-ports sexuels lors d’une visite en Suède en août 2010. Assange s’est déclaré prêt à répondre aux questions des autorités suédoises, mais ne souhaite pas une extradition vers la Suède, où il risque de se voir ren-voyer furtivement du côté des Etats-Unis, où il ferait face à des accusations relevant de l’Espionnage Act, avec pour conséquences possibles sa détention à vie, voire même son exécution.

Il est impossible de savoir s’il existe une quelconque légitimité derrière les plaintes déposées contre Assange. Ceci dit, beaucoup d’indices laissent penser que toute cette affaire relève du coup monté. A l’origine, ces deux femmes expliquent avoir con-tacté la police pour obliger Assange à faire un test de dépistage de maladies sexuellement transmissibles. Anna Ardin, la principale plaignante, celle qui invita Assange en Suède et organisa son séjour, a proposé à l’autre victime supposée, Sofia Wilen, qu’elles s’expliquent ensemble devant la police, suite à une discussion portant sur leurs aventures respectives avec Assange. Ardin, qui auparavant avait déjà organisé un rendez-vous avec une policière qu’elle comptait au nombre de ses amis personnels, a accompagné Wilen au commissariat. Plus tard, Ardin a répondu de son côté à un interrogatoire téléphonique.

Lorsque Wilen apprit que ses propos serviraient de prétexte à la police pour accuser Assange de viol, elle mit fin à l’entretien et refusa de lire ou de valider la transcription. L’agent qui a déposé la transcription sur le réseau de données de la police y aurait apporté par la suite quelques changements, à la demande d’un supérieur. En dépit de l’opposition de Wilen à tous ces agissements, la presse à scandale suédoise n’a pas attendu pour publier des allégations truculentes comme quoi Assange ferait face à une double accusation de viol.

Un procureur haut placé qui a examiné l’affaire a déclaré qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour le poursuivre, et a clos le dossier. Par une manœuvre extrêmement rare, cette décision a été annulée suite à l’intervention du procureur général Marianne Ny. Beaucoup suggèrent que cette action relève de la pression émanant des pouvoirs politiques.

Ardin a des liens avec un groupe anticommuniste cubain du nom des « Femmes en blanc », qui a reçu l’aide financière du gouvernement US, et se trouve soutenu par Luis Posada Carriles, instrument de la CIA, coupable d’avoir assassiné plusieurs centaines de personnes dans des attentats terroristes. D’après un compte rendu paru dans le Counterpunch du 7 décembre 2010, le frère d’Ardin « travaille pour les renseignements suédois, et, stationné à Washington, a assuré la liaison avec les agences de renseignements US ».

Plusieurs groupes socialistes dans ce pays travaillent pour crédibiliser la campagne contre Assange. Le Socialist Workers Party [SWP] a émit l’hypothèse que : « si vraiment les autorités suédoises souhaitaient vérifier la validité des [accusations portées], elles garantiraient qu’Assange ne soit pas extradé vers les Etats-Unis. Un tel gage enlèverait les obstacles à sa parution devant ses accusatrices » [Socialist Worker, 21 août 2012]. Une telle « garantie» n’est pas sur la table, mais dans tous les cas, elle n’aurait aucune valeur, et Assange serait bien fou de l’accepter.

La crédulité de l’Alliance for Workers’ Liberty [AWL] est encore plus fabu-leuse : « Le système juridique de l’Etat suédois est indépendant et ne rend pas des verdicts sur commande suivant les caprices des politiciens suédois, et encore moins ceux de Washington. Avant que l’on puisse faire une demande d’extradition, la loi suédoise requiert des preuves démontrant une “raison suffisante” pour valider qu’un crime ait été commis. En d’autres termes, tout nous mène à croire qu’Assange se doit de répondre à des accusations sérieuses » [Solidarity, 22 août 2012]. L’AWL prétend « argumenter à la fois contre l’extradition vers les Etats-Unis et en faveur d’un procès équitable en Suède, réglant les accusations de viol » [Solidarity, 11 juillet 2012]. Elle devrait d’abord se renseigner sur le sort d’Ahmed Agiza et Muhammad Alzery, deux demandeurs d’asile que la Suède a renvoyé sans attendre en Egypte, durant le mois de décembre 2001, à la requête de la CIA. Dans ce cas précis, les superbes rouages de l’équitable justice suédoise ont livré ces deux misérables aux chambres de torture de Moubarak, sans même prendre le temps de prévenir leurs avocats.

Assange n’a pas la moindre chance de connaître un « procès équitable » (en Suède ou dans n’importe quel autre pays allié aux Etats-Unis). Le traitement médiatique sensationnel et diffamatoire des accusations qu’il affronte reflète l’hostilité implacable des cercles dirigeants de Suède, Grande-Bretagne, Etats-Unis, ainsi que tous leurs alliés impérialistes, envers l’homme responsable des révélations de WikiLeaks. Une note de service fuitée de Stratfor, groupe privé américain spécialisé dans les prévisions stratégiques, renferme le commentaire d’un ex chef adjoint de la division contreterroriste du Département d’Etat US, destiné au Service de sécurité diplomatique, sur la façon de s’occuper d’Assange et de ses amis :

« Démasquer les seconds [d’Assange] est également crucial. Découvrez quels sont les autres renégats mécontents à l’intérieur et à l’extérieur [de WikiLeaks]. Mettez le paquet. Déménagez-le de pays en pays pour faire face à différentes accusations pour les 25 ans à venir. Mais, saisissez toutes ses possessions, comme celles de sa famille, pour frapper tous ceux liés à Wiki. »
—http://wikileaks.org/gifiles/docs/1056763_re-discussion-assange-arrested-.html

Un autre analyste de Stratfor faisait remarquer avec désinvolture : « Il est très rare que l’on passe des accusations d’agressions sexuelles par des notices rouges Interpol, comme dans le cas présent ; il s’agit donc sans aucun doute d’un effort pour enrayer la fuite par WikiLeaks de documents officiels ». Comme quoi, inutile d’être un militant d’extrême gauche pour comprendre ce qui se trame.

Nombre de débats qui entourent cette affaire ont pour finalité de donner une définition de ce qu’est un viol. Si l’on ne prend pas en considération la motivation politique des accusations, ainsi que la quasi impossibilité de déterminer exactement ce qui a eu lieu, on peut globalement affirmer que la question clef dans des cas de viol et/ou d’autres formes d’agressions sexuelles est celle du consentement mature et éclairé. Il est manifestement criminel, par exemple, d’avoir des rapports sexuels non protégés quand le consentement repose sur l’utilisation d’un préservatif.

Sachant qu’il n’existe aucune chance qu’Assange connaisse un procès équitable en Suède concernant les accusations qui pèsent sur lui, les socialistes doivent s’opposer à toute tentative de l’extrader. Cela n’a pas pour but de minimiser la gravité du viol ou de n’importe quel autre type d’abus sexuel. Dans un article intitulé « Femmes contre le viol, nous ne voulons pas pour autant l’extradition de Julian Assange », publié dans le Guardian le 23 août 2012, deux militantes anti-viol reconnues ont souligné avec raison que : « Les autorités sont si peu préoccupées de la violence contre les femmes qu’elles manipulent à volonté des accusations de viol, le plus souvent pour accroître leurs pouvoirs, cette fois-ci pour faciliter l’extradition d’Assange, voire son transfert extrajudiciaire, vers les Etats-Unis ».

Assange a les Etats-Unis à ses trousses, pour avoir osé jeter un peu de lumière sur quelques-uns des crimes de l’impérialisme, un crime capital aux yeux des oppresseurs. Ce n’est pas un marxiste—c’est un libéral qui se considère comme réaliste, et il se fait beaucoup d’illusions. Ses propos lors d’une allocution donnée de l’ambassade équatorienne le 19 août [2012] en sont la preuve : « Je demande au Président Obama de faire ce qui est juste : il faut que les Etats-Unis renoncent à leur chasse aux sorcières contre WikiLeaks ».

Bien entendu, Assange sait pertinemment que la classe dirigeante US ne cessera jamais de le traquer pour faire de lui un exemple. La raison pour laquelle il en est réduit à supplier les dirigeants d’institutions bourgeoises à se réformer est que toute conception des possibilités offertes par la lutte des classes se situe en dehors de sa perspective politique. Il est de notre devoir de défendre Assange parce que c’est un partisan de la liberté de la presse, dont les révélations ont bénéficié à la classe ouvrière et à d’autres victimes de la domination capitaliste. C’est seulement en défendant les droits et les libertés acquis au cours des dures batailles menées par les générations passées—avantages que la classe capitaliste tente souvent de supprimer pendant des périodes de réaction—, qu’il nous sera possible d’aller de l’avant pour gagner de nouveaux acquis, et jeter les bases pour le renversement de l’ensemble du système mondial d’oppression et de meurtre de masses, que la domination impérialiste implique.