Grèves ouvrières pour écraser l’austérité !
Les étudiants du Québec montrent la voie
Le tract suivant a été diffusé à Montréal par la TBI le premier mai 2012.
La décision par le gouvernement libéral de hausser les frais de scolarité de 75 pour cent représente une attaque contre les travailleurs et les pauvres. Elle fait partie d’une offensive d’austérité généralisée des classes dirigeantes visant à restaurer la profitabilité et échapper aux conséquences de la crise capitaliste. La grève de masse des étudiants qui ébranle le Québec depuis mi-février est un des moments forts de la résistance anti-austérité mondiale organisée par des centaines de milliers ces dernières années en Grèce, Espagne, France, Italie, Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et ailleurs. A mesure que la protestation étudiante québécoise s’est élargie et a pris de l’ampleur, s’étendant des universités et cégeps aux écoles secondaires, elle a révélé les contradictions toujours plus aiguës au sein de cette société.
Comme on pouvait s’y attendre, l’appareil répressif de l’Etat capita-liste—les flics et les juges—, tente de briser le mouvement. Des centaines de manifestants ont été arrêtés, dont beaucoup à titre « préventif », dans ce qui est la plus grande vague de détentions depuis la Crise d’octobre de 1970. Les forces de l’ordre agressent les manifestants avec des bombes assourdissantes, du gaz lacrymogène, du poivre de Cayenne et des matraques. Beaucoup de jeunes ont été gravement blessés, comme Francis Grenier, partiellement aveuglé par la police montréalaise pendant qu’il jouait de son harmonica lors d’une manifestation en face des bureaux de Loto-Québec. Les flics ne font pas partie de la classe ouvrière !
La grève étudiante est devenue la cible de dénonciations affolées de ceux qui sympathisent avec l’extrême droite. Dans une lettre au Soleil (12 avril [2012]), Bernard Guay, directeur de la fiscalité au Ministère des Affaires municipales du Québec, a ouvertement proposé l’emploi de la tactique « des mouvements fascistes » du début du 20ème siècle pour écraser la protestation :
« il faut s’organiser pour reconquérir le terrain. Dans les années 1920 et 1930, c’est ce qu’ont fait les mouvements fascistes, en appliquant aux gauchistes leur propre médecine. Ceux-ci en ont gardé un souvenir si cuisant que, trois quarts de siècle plus tard, ils s’acharnent encore à démoniser cette réaction de salubrité politique. Les opposants aux grèves doivent donc cabaler, s’organiser pour franchir en masse les lignes de piquetage, apostropher les porteurs de carrés rouges où qu’ils les rencontrent, répondre à l’intimidation par le défi. »
Pour le moment la classe dirigeante préfère recourir à la police pour « reconquérir le terrain » plutôt qu’à des bandes de briseurs de grève et de fascistes. Or, de façon systématique, la presse bourgeoise présente les manifestations comme « violentes », facilitant ainsi la répression policière et justifiant des attaques par l’extrême droite.
Line Beauchamp, ministre de l’éducation, a exigé comme préalable à la négociation que les principales organisations étudiantes condamnent la « violence » dans les manifestations. Bien entendu, la vraie violence est celle infligée par la police aux personnes participant à des actions de désobéissance civile. Les marxistes ne considèrent ni l’autodéfense de la part de manifestants ni des dommages à la propriété comme étant de la « violence ». En général, ce n’est pas une tactique utile de casser des vitres ou de renverser des voitures de flics, mais les révolutionnaires défendent ces militants qui s’imaginent que de telles actes puissent en quelque sorte porter atteinte au système. Levée de toutes les inculpations maintenant !
Ce qui fait peur à classe dirigeante et ses politiciens est la possibilité d’une radicalisation politique de masse de la jeunesse québécoise. Même les réformistes petits-bourgeois de Québec solidaire (QS), qui se veulent de gauche, partagent ce souci. Tandis qu’il dénonce « le vandalisme de provocateurs qui ne respectent pas la volonté des étudiants qui veulent s’exprimer fermement, mais pacifiquement », la principale in-quiétude du député QS Amir Khadir est que l’intransigeance du gouvernement risque de déstabiliser l’ordre social bourgeois :
« C’est irresponsable de rompre le dialogue avec 200 000 étudiants en prenant pour excuse le vandalisme d’une poignée de casseurs. Le gouvernement fait preuve de mauvaise foi et ça suffit! Il doit retourner à la table de négociation avec tous les étudiants plutôt que d’attiser les tensions, pour jouer au pyromane pompier ! »
—« Conflit étudiant : Québec solidaire lance un appel au calme », 26 avril [2012]
Beauchamp spécule que « certains tirent profit » des manifestations : « Je pense que c’est parce qu’on veut poursuivre d’autres causes, des soi-disant causes sociales » (Radio-Canada, 25 April [2012]). La tentative gouvernementale d’imposer des frais de scolarité faramineux a ses racines dans le désir des banquiers et des élites capitalistes de faire payer leur crise aux travailleurs. Beauchamp craint que les manifestations apportent aux étudiants le genre d’éducation qu’ils ne peuvent pas se faire dans une salle de classe.
Evidement, on ne peut pas taxer la direction des deux syndicats étudiants—la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)—d’essayer de promouvoir une conscience révolutionnaire chez leurs membres. La Coalition large de l’ASSÉ (CLASSE) cherche à poser une alternative plus radicale. Non seulement la CLASSE s’oppose-t-elle aux hausses de frais, mais elle appelle en plus à « la gratuité scolaire » et « une société plus égalitaire, solidaire et juste » (www.bloquonslahausse.com). Elle affirme que la gratuité scolaire est un « projet réaliste » qu’on peut réaliser « en cessant d’accorder des baisses d’impôt aux riches de 950 millions comme c’est arrivé en 2007 ou encore en utilisant le budget alloué aux universités pour assurer la qualité de l’enseignement au lieu de le faire disparaître dans des fonds de recherche profitant souvent à des firmes privées » (Ibid.). Tout militant sérieux dans la CLASSE ferait bien de se demander exactement combien il est « réaliste » de s’attendre à ce qu’un gouvernement bourgeois fasse quoi que ce soit d’autre que de « servir et protéger » les intérêts des capitalistes. Toute concession que les étudiants pourront gagner résultera d’une lutte acharnée et de la crainte des patrons que se passer de réformes pourrait pousser des milliers de jeunes plus à gauche et à embrasser des exigences dépassant le cadre du capitalisme.
Les étudiants grévistes montrent leur habileté ainsi qu’une bravoure et une détermination remarquables sur les manifestations et les piquets. Le gouvernement veut minimiser l’importance du mouvement en répétant que ceci n’est pas une grève mais un simple « boycott ». D’après Jean Charest : « Ce n’est pas une grève &hellip ; Le gouvernement du Québec n’est pas l’employeur des étudiants et les étudiants ne sont pas des employés du gouvernement du Québec » (Presse canadienne, 10 avril [2012]).
Bien que les étudiants perturbent « la routine habituelle » dans les universités et cégeps, leurs grèves manquent du pouvoir social requis pour stopper net les roues de l’économie capitaliste. La plupart des étudiants sont d’origine ouvrière, et une grande partie travaille à temps partiel (voire à temps plein) pour pouvoir payer leurs études, mais la grève étudiante constitue une combinaison de boycottage de consommation et de protestation politique. Si la grève étudiante gagne les rangs de la classe ouvrière organisée, comme elle l’a fait à Paris en 1968, les possibilités sont immenses. Si une section importante de syndicalistes québécois faisait la grève en solidarité avec les étudiants, la campagne d’austérité de Charest pourrait être brisée—et une telle victoire non seulement secouerait la société québécoise jusqu’à la moelle, elle se répercuterait à travers le reste du Canada et, au travers du prolétariat canadien anglais, trouverait un écho dans la puissante classe ouvrière US.
Certains étudiants essaient de forger des liens avec des travailleurs. Des étudiants se sont manifestés au Musée des Beaux-Arts à Montréal le 25 avril [2012] en solida-rité avec les 800 travailleurs Aveos licenciés. Il y a sans aucun doute beaucoup de sympathie dans les rangs syndicaux pour les étudiants en grève—mais les bureaucrates qui contrôlent les syndicats sont attachés au Parti québécois bourgeois et ne veulent surtout pas mener une lutte sérieuse contre les patrons.
L’Alliance sociale, fondée il y a un an et demi par les principales fédérations syndicales (FTQ, CSN, CSQ, CSD et SFPQ) avec la FEUQ et FECQ, est prétendument conçue pour résister aux attaques d’austérité gouvernementales. Mais la vraie perspective des chefs syndicaux est exprimée clairement dans son document fondateur, « Un autre Québec est possible », lequel, à côté de quelques réformes, propose « un dialogue social » avec les employeurs pour affermir le capitalisme québécois :
« Nous attendons des mesures fortes pour assurer la vitalité du secteur manufacturier et favoriser la création d’emplois dans une perspective de développement durable. Nous attendons des mesures qui valorisent le savoir-faire québécois, qui encouragent la modernisation des équipements et l’accès aux technologies. Des mesures qui reconnaissent la vitalité de nos entreprises de service, des mesures qui stimulent l’économie sociale.
« Pour cela, nous comptons sur la mise en place d’un dialogue social qui privilégierait la véritable contribution des travailleuses et des travailleurs au développement de l’organisation du travail et de l’innovation dans les entreprises. »
Les réformistes qui dirigent les puissants syndicats du Québec, de même que leurs doublures parmi les bureaucrates des associations étudiantes, sont voués à la perspective de la collaboration des classes. Ils sont, dans la dernière analyse, agents idéologiques de la classe dirigeante.
La lutte magnifique poursuivie ces dernières semaines par les étudiants au Québec doit servir d’inspiration pour tous à travers l’Amérique du Nord pour résister à des attaques d’austérité similaires par la classe dirigeante. Cependant, au bout du compte, les problèmes endémiques créés pour la masse de la population par l’opération d’un système social basé sur la production pour le profit ne sauraient être éliminés que par l’expropriation des capitalistes et l’établissement d’une économie planifiée, organisée par les producteurs, pour servir les intérêts des travailleurs et opprimés.
Ce qui s’impose c’est une lutte pour déloger les bureaucrates syndicaux pro-capitalistes en les remplaçant par une direction nouvelle et révolutionnaire dévouée à un programme de lutte des classes. Une telle direction ne surgira pas d’elle-même—il faudra la bâtir. La clé pour cela est un processus de regroupement politique qui s’effectue en faisant un bilan sérieux des leçons des mouvements socialistes du passé—leurs succès comme leurs échecs—, et qui découle d’un engagement pour forger un parti ouvrier révolutionnaire internationaliste capable d’unir les éléments les plus combatifs et politiquement avancés au Québec avec leurs sœurs et frères au Canada anglais et au delà. La Tendance bolchévique internationale est dévouée au projet de gagner une nouvelle génération de militants à la lutte pour la révolution socialiste mondiale, et nous cherchons à coopérer activement avec tous ceux qui partagent ce but.