Marxisme ou nationalisme?
Un échange sur la question nationale au Québec
Réimprimé ci-dessous est un échange sur la question nationale au Québec et la réponse apportée par les marxistes révolutionnaires entre Marc D., un militant de la Tendance bolchévique internationale au Québec, et Damien Elliott, cadre dirigeant des Jeunesses communistes révolutionnaires-Gauche révolutionnaire (JCR-GR), la section française du Comité pour une Internationale Ouvrière. L’article de Damien Elliott a été publié originairement en français dans l’édition de mars 1994 (no 28) de l’Égalité, mensuel des JCR-GR publié à Paris. Une version traduite de l’échange a été publiée en 1917, no 16, édition de langue anglaise.
Courrier: l’Égalité en faveur du Nationalisme québécois?
« (…) J’ai constaté l’article sur les élections canadiennes et la photo de la manifestation indépendantiste dans le dernier numéro (no 26—NDLR) de l’Égalité. Est-ce une prise de position en faveur du nationalisme québécois? (…) Le poids du sentiment nationaliste dans le mouvement ouvrier représente un fardeau, et non un élément catalyseur ou une ‘dynamique objective’ au développement d’une conscience révolutionnaire de classe ».
M.D.—Brossard, Canada
Débat sur la question nationale au Québec Pour un Québec indépendant et socialiste !
par Damien Elliott
L’article auquel fait référence notre lecteur donnait des informations sur la percée des nationalistes du Bloc Québécois aux récentes élections canadiennes. Pour l’illustrer, nous avons donc choisi—de manière purement « journalistique »—une photo de manifestation indépendantiste. Les JCR-Gauche révolutionnaire n’ont pas encore eu l’occasion d’aborder cette question et de formuler un point de vue. Ce débat n’a pas encore été mené non plus avec les rédacteurs de Militant Labor, tout nouveau journal canadien partageant les vues de la rédaction et dont nous saluons en passage la parution. Militant Labor, journal adressé à un public anglophone, se prononce pour « le droit à l’autodétermination du Québec ». Dans l’article ci-dessous, Damien Elliott exprime son point de vue personnel, destiné à ouvrir une discussion indispensable pour qui souhaite construire un parti ouvrier révolutionnaire au Québec.
…
Avoir une position correcte sur la question nationale est indispensable pour quiconque se réclame des intérêts des travailleurs. C’est évidemment le seul moyen d’être entendu dans les pays ou existent des conflits nationaux. Ceci n’a rien à voir avec un soutien au « nationalisme » en général car il y a deux nationalismes: celui des oppresseurs (réactionnaire) et celui des opprimés (progressiste). La revendication de l’indépendance nationale par les révolutionnaires prolétariens n’a aucun rapport avec un soutien quelconque aux directions nationalistes-bourgeoises. Au contraire, elle est avant tout destinée à les combattre en levant l’obstacle principal à un ralliement des travailleurs au programme du socialisme et de l’internationalisme. Si l’unité des nations est souhaitable, cela ne peut en effet se faire que dans les conditions de stricte égalité. Dans le cas d’une nation opprimée, la séparation d’avec la nation opprimante est souvent le premier pas indispensable à une unification ultérieure. Mais commençons donc par dire clairement que le Québec est une nation opprimée au sein de l’État canadien.
Une nation opprimée
Une brochure de la LSO/LSA1, une organisation révolutionnaire aujourd’hui disparue, donnait à ce sujet de précieuses indications.
« Les Québécois constituent une nation partageant une langue nationale commune, le français; une culture et une histoire qui date de l’ancienne colonie nord-américaine de la France; et un territoire commun plus ou moins délimité par les frontières de l’actuelle province de Québec. (…) Les origines de l’oppression de la nation québécoise remontent à la conquête britannique de la colonie française en 1760 et à la défaite du soulèvement révolutionnaire national de 1837 qui était une tentative de révolution démocratique bourgeoise comme celle lancée par les colons américains plus de 60 ans auparavant. (…) La nation québécoise est privée de son droit démocratique à l’autodétermination politique. La constitution canadienne ne reconnaît nulle part le droit des Québécois ou de toute autre nationalité à décider de leur propre sort, allant jusqu’à et comprenant le droit de se séparer et de former leur propre État s’ils le désirent. (…) Les francophones [qui constituent plus de 80% de la population du Québec—NDLR] subissent une discrimination linguistique qui les place au rang de citoyens de deuxième classe. L’anglais, la langue de la nation opprimante, est celle des privilèges. Les travailleurs francophones, chez qui on note un taux de chômage beaucoup plus haut que chez les anglophones, sont une source de main d’œuvre à bon marché pour les capitalistes. L’économie québécoise est dominée par les grosses corporations canadiennes-anglaises et américaines. Le principal instrument de domination est l’État impérialiste canadien ».2
Le nationalisme, fardeau ou catalyseur?
Tant qu’un mouvement nationaliste et indépendantiste est minoritaire parmi les membres d’une nation opprimée, les défenseurs des intérêts ouvriers doivent dénoncer cette oppression et reconnaître le droit de la nation en question à l’autodétermination. Telle est la politique juste en Corse ou au Pays Basque français. Les choses changent du moment où la revendication indépendantiste aide au développement des luttes de classe ou si elle est en passe de gagner le soutien de la majorité de la nation opprimée. Dans le cas du Québec, c’est à partir des années 60 que s’est opéré une remontée en flèche du mouvement national. Un des ses produits a été l’émergence du PQ (Parti Québécois) une formation bourgeoise fortement implantée dans tous les secteurs de la population, y compris les travailleurs de l’industrie. Mais la bourgeoisie nationale, représentée aujourd’hui par le Bloc Québécois, s’est montrée incapable de défendre de manière conséquente les intérêts nationaux. La satisfaction de ceux-ci a pourtant un caractère extrêmement progressiste car mettant directement en cause l’État central, cœur du capitalisme canadien. Comme le notait la LSO/LSA:
« Le nationalisme québécois est actuellement un défi formidable aux gouvernements d’Ottawa et de Washington, de Bay Street et de la rue Saint Jacques ».
—op. cit.
Le mouvement national a permis aux Québécois l’obtention d’une série de droits mais l’État central refuse de déléguer davantage de prérogatives gouvernementales et d’admettre l’idée du « fédéralisme asymétrique », qui donnerait davantage de pouvoirs au Québec qu’aux neufs autres provinces, à cause de sa particularité nationale. Avec l’aggravation de la crise économique, le sentiment national continue à s’accroître et, compte tenu des sérieuses menaces d’explosion de la fédération, la lutte nationale est un des biais les plus probables pour une prise de pouvoir par la classe ouvrière. Si un gouvernement ouvrier prenait le pouvoir au Québec, un événement aussi considérable aurait immédiatement des répercussions gigantesques et secouerait de fond en comble le reste du Canada mais aussi l’Amérique entière.
Une dynamique objective?
La lutte de libération nationale québécoise, comme tout processus du même type, recèle une certaine dynamique qui pousse à sa transcroissance en révolution socialiste. Par contre, il est clair que cela ne peut se produire spontanément, sans que le mouvement national ne passe à un moment ou à l’autre sous la direction d’un parti de classe ayant une conscience claire de ses tâches. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui, après la disparition de l’URSS et du « bloc soviétique ». Il ne saurait donc être question d’apporter la moindre confiance au Bloc Québécois, à priori peu susceptible de faire triompher l’indépendance du Québec et certainement incapable de garantir une indépendance réelle, c’est-à-dire la rupture avec les trusts anglo-américains, l’OTAN et les institutions financières internationales. Au Canada, le principal parti ouvrier est le NPD, une organisation social-démocrate qui n’a jamais réussi à percer au Québec à cause de son refus de soutenir ne serait-ce que l’autodétermination. Mais une organisation ouvrière canadienne qui veut sérieusement prendre le pouvoir pour instaurer le socialisme n’y parviendra jamais en tournant le dos aux aspirations nationales de la population laborieuse du Québec. Dans cette région, elle se fera la championne de l’indépendance nationale et essaiera de diriger le mouvement national en le plaçant sous le drapeau du socialisme. Au Canada anglais, elle œuvrera à lever les préjugés chauvins des travailleurs anglophones, en leur expliquant que leur propre émancipation dépend en grande partie de leur capacité à soutenir le droit des Québécois à l’autodétermination.
* * *
Notes
1 Ligue socialiste ouvrière/League for Socialist Action, section canadienne de la IVe Internationale (« Secrétariat unifié »).
2 « La question nationale au Québec », dans Pour un Québec indépendant et socialiste (éditions d’Avant-Garde, Montréal, 1977).
Réponse à l’Égalité
Montréal
le 1 mars 1995
Camarades,
Damien Elliott, en contestant quelques vues que j’ai exprimées (voir la réponse à « un lecteur » dans l’Égalité no 28, le 28 mars 1994) a ouvert un débat entre marxistes révolutionnaires sur la question nationale au Québec. Je souhaite bien l’occasion offerte d’y répondre, car ceci soulève beaucoup de questions importantes pour les révolutionnaires, et c’est d’ailleurs tout à fait opportun, étant donné l’élection récente d’un gouvernement péquiste et le référendum en vue sur la souveraineté du Québec.
La position du camarade Elliott contraste fortement à celle, d’une tradition sociale-démocrate et travailliste des composants majeurs du « Comité pour une internationale ouvrière », y compris les rédacteurs canadiens de Militant Labor. Militant Labor, comme indiqué dans l’article de l’Égalité, se réclame à défendre le droit à l’autodétermination du Québec, mais historiquement ce courant a cherché sa niche au sein des partisans de l’unité canadienne du Nouveau Parti Démocratique. A l’encontre du rédacteur de l’Égalité à Paris, Militant Labor canadien ne revendique certainement pas l’appel pour l’indépendance du Québec.
La question n’est pas si les révolutionnaires, particulièrement ceux aux Canada anglais, doivent défendre vigoureusement le droit à l’autodétermination du Québec. Ceci est le devoir évident de tout marxiste. La question posée est si les révolutionnaires, particulièrement ceux au Québec, doivent eux-mêmes revendiquer l’indépendance comme perspective. Nous disons non.
Je n’ai pas toujours tenu cette position. Par le passé j’étais un défenseur vigoureux des vues exposées par le camarade Elliott. Mais mes idées ont évolué comme résultat de mon expérience politique. En tant qu’ancien membre de vieilles organisations, l’une succédant à l’autre, du Secrétariat unifié au Québec (la Ligue Socialiste Ouvrière [LSO], le Groupe Marxiste Révolutionnaire [GMR] et la fusion instable entre le deux, la Ligue Ouvrière Révolutionnaire [LOR]), j’ai accepté comme axiomatique la notion que le socialisme et le nationalisme québécois étaient intégralement liés. De 1972 à 1974 j’étais membre du comité éditorial de Libération, publication québécoise de la LSO, qui semble avoir influencé si largement la pensée de camarade Elliott. Il est par conséquent un peu ironique que le camarade a basé sa réponse à mes commentaires originaux sur les publications antécédentes de la LSO.
Comme les JCR-GR sont issus, en grande partie, d’une scission au sein de la jeunesse du Secrétariat Unifie en France, la continuité politique de ces vues dans la nouvelle organisation ne me surprend pas. L’affirmation du camarade Elliott que la lutte pour la libération nationale au Québec, « comme tout processus semblable », contient une dynamique qui mène vers la révolution socialiste, pose une question de méthode. Tout comme beaucoup d’autres militants de gauche analysant le Québec de l’extérieur, le camarade a tendance à idéaliser le nationalisme québécois en l’identifiant au désir de libération nationale d’une néo-colonie du tiers monde.
La LSO, que le camarade Elliott semble prendre comme modèle, avait affirmé que la dynamique du nationalisme conséquent (du moins pour le Québec) transcenderait les objectifs nationalistes simples et conduirait vers l’objectif socialiste. La LSO a cherché à déborder les nationalistes bourgeois sur le terrain politique de l’unilinguisme français du Front commun pour la défense la langue française et s’est ainsi trouvée dans un bloc politique avec une variété de xénophobes et ultra-nationalistes. Cette fixation sur la question nationale est venue au dépens de toute orientation sérieuse de travail dans les syndicats, qui étaient engagés alors dans une série de confrontations de classe majeures. Ces luttes ont atteint leur apogée dans la grève générale de 1972, que la LSO avait faussement envisagé comme un conflit essentiellement nationaliste, plutôt que de classe. L’axe de son intervention était la revendication pour l’indépendance du Québec. Mais la lutte n’était pas centrée autour des revendications visant l’appropriation par l’État québécois des pouvoirs de l’État fédéral. Bien que la grève ait adopté une coloration nationaliste, elle a été dirigée contre l’État québécois, et les grévistes formulaient des revendications économiques visant, dans l’essentiel, l’appropriation de plus des pouvoirs par les travailleurs québécois.
L’apparition au Québec en cette période de plusieurs formations maoïstes d’une envergure importante, composées largement d’étudiants radicalisés repoussés par le nationalisme bourgeois du PQ, et qui étaient capables, pendant un certain temps, de manier une influence appréciable au sein des secteurs les plus militants du mouvement ouvrier, peut être largement attribué à l’absence d’une organisation capable de projeter l’essentiel du programme léniniste-trotskyste. L’opportunisme de la LSO sur la question nationale au Québec, trouvant son contre-partie dans la loyauté de son affilié anglo-canadien (la LSA) aux partisans anglo-chauvins de l’unité canadienne social démocrate du New Democratic Party, était le sujet d’une critique factionelle cynique et semi-malhonnête, mais au fond substantiellement exact, par Ernest Mandel (publié sous le titre « Défense du léninisme » dans les bulletins de discussion interne de 1973 du Secrétariat unifié).
Peuples progressistes et réactionnaires
Le camarade Elliott affirme l’existence des nationalismes progressistes et réactionnaires, correspondant, on doit supposer, à des peuples progressistes et réactionnaires. Le Québec appartient au premier groupe, avec la Corse, le pays Basque Français, le Catalan, l’Irlande, etc. Bien que le nationalisme des nations oppresseur (par exemple, le Canada) soit réactionnaire jusqu’au cœur, ceci ne veut pas dire que le nationalisme québécois est en soi « progressiste », et encore moins révolutionnaire. Ceci était peut-être moins évident il y a 25 ans, lorsque les tendances nationalistes de gauche puissantes existaient au sein du mouvement ouvrier au Québec. Mais aujourd’hui la démagogie anti-Mohawk du Parti Québécois et du Bloc Québécois (l’équivalent péquiste au parlement fédéral), qui est approuvée tacitement sinon explicitement par la bureaucratie syndicale, rend tout ceci plutôt évident.
Un paradoxe de la croissance du mouvement nationaliste depuis les années 1960 est que ses réalisations législatives sur le plan culturel et linguistique (les lois linguistiques répressives au Québec) ont entrecoupé en grande partie l’insécurité culturelle qui avait alimenté le mouvement souverainiste en premier lieu. Le sentiment nationaliste au Québec a toujours été à sa hauteur lorsque la survie de la nation a paru menacée, mais aujourd’hui tel sentiment est en déclin. La majorité des Québécois n’est certainement pas passionnée du statut quo légal constitutionnel, qui relègue le Québec au statut simple d’une province parmi dix, et nie de cette façon ses droits nationaux, mais seulement une minorité, même parmi les francophones au Québec, est partisane de l’indépendance tout court. Le déclin de l’appui pour le projet souverainiste au Québec depuis plus d’un an est le sujet de discussion fréquent dans les médias bourgeois. Par exemple, un des éditorialistes principaux d’un quotidien montréalais offre la description qui suit de la déchéance du mouvement souverainiste:
« Les dirigeants actuels du mouvement souverainiste ont eux-mêmes délibérément vidé leur message de beaucoup de son contenu émotif, pour concentrer sur les présumés avantages économiques dérivés de l’indépendance, et leur insistance que le nationalisme québécois est basé sur les revendications territoriales et non ethniques.
« L’indépendance n’est plus projetée comme une perspective visant à briser les chaînes d’un oppresseur anglo rapace, mais plutôt d’un désir ardent par les Québécois de toutes origines de prendre en main leurs propres affaires, comme Lucien Bouchard, dirigeant du Bloc Québécois, nous a affirmé dans une entrevue accordée à Gazette la semaine dernière.
…
« En le faisant, ils ont donc abandonné ou obscurcit l’argument émotif qui a soutenu le mouvement souverainiste moderne de son enfance—que seule un État indépendant créé pour et par les Canadiens français puisse assurer la survie de la langue française au Québec ».
—Hubert Bauch, Gazette, le 22 octobre 1994 [notre traduction]
Cette même semaine l’éditorialiste Marcel Adam de La Presse a observé que:
« parce qu’un projet souverainiste éthnocentrique est philosophiquement indéfendable et destiné à l’échec lorsqu’il réclame un territoire avec une population hétérogène, les souverainistes actuels ont dû trouver une autre justification pour leur projet ».
Un projet souverainiste éthnocentrique est envisagé comme « philosophiquement indéfendable ». i.e., politiquement indésirable, par les nationalistes bourgeois conventionnels du BQ/PQ. Le PQ pourrait concevoir sa victoire référendaire hypothétique avec une majorité solide, seule et unique, d’électeurs francophones. Les ultra-nationalistes durs et purs, tel Pierre Bourgault autrefois « de gauche, » revendiquent justement une telle perspective.1 Parizeau préfère courtiser le vote ethnique indécis, vacillant entre l’affinité avec le Québec et le Canada. Les démagogues ultra-nationalistes tel Guy Bouthillier du Mouvement Québec français, qui avaient cherché obtenir la nomination péquiste dans l’élection au Québec de 12 septembre 1994, l’ont donc fait contre les vœux exprimés de Jacques Parizeau, dirigeant péquiste. En certaines instances ils ont réussi à remplacer le candidat ethnique « officiel » du parti, et ont ainsi miné les efforts péquistes d’obtenir les votes ethniques non-francophones, concentrés en grande partie sur l’île de Montréal. Parizeau a réussi à obtenir une victoire électorale générale malgré de pertes lourdes parmi les électeurs immigrés et anglophones. Dans le référendum prévu sur la souveraineté de tels votes seront cruciaux pour une victoire souverainiste.
Les débats actuels autour de l’immigration et des immigrés, dont les plus récents sont venus en leur grande majorité des pays appauvris du tiers monde, sont aussi controverses à Montréal qu’à Paris.2 Au début de l’année scolaire de 1994, Emilie Ouimet, étudiante de 12 ans, a été expulsée de l’école secondaire Louis Riel à Montréal pour avoir porté un hidjab, le foulard islamique pour femmes. Aujourd’hui les immigrés asiatiques, particulièrement les Chinois venus de Hong Kong, sont visés comme cible. Les nationalistes bourgeois, allant d’une fraction péquiste importante jusqu’aux xénophobes de la Société St. Jean Baptiste (SSJB), dénoncent de façon démagogique les soi-disant « dangers » posés par les valeurs culturelles étrangères et la concentration d’enfants immigrés dans les écoles francophones de Montréal.
« Dix-sept ans après que la Charte de la langue française a commencé à canaliser les enfants ethniques et immigrés dans le système scolaire français au Québec, un genre de panique a éclaté autour de la présence même de ces enfants dans les écoles françaises.
« Les écoles françaises de l’île sont devenues accablées par les immigrés et ne peuvent plus même espérer les intégrer dans la société québécoise, le Conseil scolaire de l’Ile de Montréal a affirmé ce printemps.
« Lorsque les familles francophones quittent l’île pour les taxes plus basses et les maisons plus grandes des banlieues de l’île, moins que la moitie des étudiants dans les écoles françaises de Montréal ont maintenant le français comme première langue.
« ‘L’intégration n’est pas la capacité de parler une langue’, a dit Jacques Mongeau, chef du Conseil scolaire de l’Ile. ‘ Il est aussi un système de valeurs partagées, une culture partagée’ ».
—Gazette, le 15 octobre 1994 [notre traduction]
Les nationalistes québécois condamnent les enfants d’immigrés, non pas d’avoir failli apprendre le français, mais plutôt d’avoir failli devenir de vrais Québécois de « vieille souche » selon le « système de valeurs partagées » Catholique français du Mouvement Québec français et de la Société St. Jean Baptiste.
Gagner une écoute
Nous ne cherchons pas à marcher à la tête du défilé St. Jean Baptiste le 24 juin. Nous ne cherchons non plus à mener la lutte pour un Québec français.3 Nous n’appuyons ni défendons les lois linguistiques actuelles au Québec. A l’encontre du camarade Elliott, nous ne sommes pas intéressés à « gagner une écoute » parmi les ultra nationalistes, et ne sentons aucun besoin d’encourager d’une manière quelconque leurs préjugés arriérés ou de répéter ce que les démagogues veulent bien les faire croire. Le devoir d’un révolutionnaire est de dire la vérité, ce qui mérite d’être dit, indépendamment de la popularité immédiate de telles perspectives.
L’adoption du slogan de « l’indépendance et le socialisme » par le gauche québécoise au cours des années 1960, a été basée sur la supposition que la lutte pour l’indépendance du Québec contre l’État canadien déborderait ce cadre simple afin d’introduire la révolution socialiste. Le niveau plus élevé de la lutte de classe et l’activité politique nationaliste de gauche au Québec semblait vérifier cette perspective. En 1970 Pierre Trudeau avait invoqué les « mesures de guerre » draconiennes et avait envoyé l’armée canadienne dans les rues de Montréal.4 Des centaines de militants de gauche, de nationalistes et de syndicalistes ont été internées sous le prétexte qu’ils faisaient tous partie d’une « insurrection appréhendée » menée par le Front de Libération du Québec terroriste. Deux ans plus tard l’emprisonnement des trois dirigeants syndicaux avait déclenché une grève générale massive, qui pendant quelques jours avait mis le contrôle de plusieurs villes aux travailleurs et à leurs organisations syndicales.
Les gouvernements canadien (et américain) ont certes été profondément dérangés par de tels développements, et ils avaient envisagé la perspective d’un Québec indépendant dirigé par les nationalistes petits bourgeois avec alarme. Bien que les péquistes (issus d’une scission avec le Parti Libéral du Québec) aient tenu des pourparlers réguliers avec le Département d’État des États-Unis, au cours desquels ils assuraient les Américains de leur engagement ferme à défendre l’économie capitaliste, leurs déclarations publiques avaient parfois troublé l’impérialisme voisin. Je me rappelle une assemblée publique à Hull en 1972, à la veille de la grève générale, où l’actuel Premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, avait plaidé en faveur des « mesures bolchéviques » pour promouvoir l’intérêt économique et politique d’un Québec indépendant. L’humeur radicale de ces jours était donc si forte que même les péquistes ont senti qu’ils devaient s’en servir.
Les choses ont bien changé depuis. La direction syndicale solidement pro-péquiste, emprisonné en 1972 pour avoir défié l’autorité bourgeoise, tout dernièrement se mettre à colporter des actions et à ramasser des fonds pour le « Fonds de Solidarité » de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), fournissant ainsi du capital à leurs copains bourgeois de Québec Inc.5 Selon un compte rendu de la section « affaires » de la presse bourgeoise, le Fonds de Solidarité de la FTQ:
« a été conçu en 1983 par Louis Laberge, dirigeant de la FTQ, qui avait convaincu le gouvernement PQ de l’époque qu’un tel véhicule de financement aiderait à la fois les travailleurs syndiqués et le public à investir dans les compagnies québécoises et conserverait ainsi les emplois ».
—Gazette, le 8 novembre 1994 [notre traduction]
Inutile de dire que les corporations québécoises, qui bénéficient gratuitement de la largesse du mouvement syndical au Québec, entre-temps coupent impitoyablement les salaires des travailleurs et licencient leur personnel dans une tentative de devenir plus compétitif. Et ces mêmes compagnies québécoises qui bénéficient des « fonds de solidarité » des travailleurs québécois, telles que Cascades (qui possède un nombre d’usines en Europe) n’hésitent pas à mordre la main de leurs nourrisseurs par le biais d’attaques vicieuses contre les syndicats.6 Tels sont les fruits amers de la collaboration de classe—ou selon le jargon des chefs syndicaux, de la « concertation ». Il n’y a pas de pénurie de sentiments nationalistes parmi la bureaucratie syndicale au Québec—en effet le nationalisme est la clef à leur collaboration de classe abjecte. La vie elle-même a réfuté les scénarios de la LSO d’une lutte nationaliste qui subisse, d’une façon ou d’une autre, une transcroissance menant à la République des travailleurs du Québec.
Les craintes exprimées autrefois par divers impérialistes à l’égard des dangers d’une république péquiste étaient et sont toujours sans fondement, et aujourd’hui seulement les Bérets blancs ultra-conservateurs et ultra-cléricaux accusent Parizeau (décrit par la presse anglophone du pays comme un « banquier vêtu en banquier ») de sympathies « communistes ». Même le Reform Party anglo-chauvin et réactionnaire ne joue pas la carte d’anticommunisme envers le PQ ou le Bloc Québécois. Ils sont accusés par la réaction anglo-canadienne non pas de promouvoir la révolution sociale mais uniquement de vouloir morceler et détruire l’État canadien. Parizeau, l’ancien Ministre des Finances dans le gouvernement de René Lévesque, est un politicien bourgeois éprouvé. Son « radicalisme » se limite à proposer des réductions fiscales et des coupures de bénéfices sociaux. Le gouvernement américain, bien que peu enthousiaste devant la perspective de l’indépendance du Québec, exprime seulement les inquiétudes habituelles sur la sécurité de leur capital et la capacité des débiteurs à faire leurs paiements.
L’affaire de Bernonville
L’intersection entre le nationalisme québécois et l’activité de l’aile gauche dans les syndicats et sur les campus obscurcit peut-être le fait que traditionnellement les nationalistes québécois aient été liés de près aux réactionnaires cléricaux de la droite en France. Pendant la Deuxième guerre mondiale les élites nationalistes du Québec ont applaudi la défense par le régime Vichy des valeurs culturelles catholiques françaises contre la soi-disant « influence corruptrice » de Juifs, d’athées et de communistes.
Les fascistes français sont bien informés de cet héritage. La réaction xénophobe à l’immigration du tiers monde leur a présenté avec une occasion importante de renouveler leurs liens avec les ultra-nationalistes québécois. En septembre 1993 nous avons participé aux protestations de masse contre la tentative avortée du Front National de Le Pen d’établir une prise de pied au Québec. Le FN n’est pas indifférent aux aspirations nationales du Québec—Le Pen n’a pas envoyé Le Gallou, son lieutenant principal, au Québec afin de recruter les anglo-chauvins du Reform ou du Equality Party!
Le Gallou n’est pas le premier xénophobe français à traverser l’Atlantique à la recherche d’esprits sœurs dans le Nouveau Monde. Sa piste avait été tracée plus tôt par Jacques de Bernonville, un des principaux fascistes français qui avait dirigé les forces policières à Lyon sous l’occupation nazie et avait travaillé étroitement avec l’infâme Klaus Barbie. En 1947 la justice française lui a condamné à la mort comme criminel de guerre responsable pour le meurtre des milliers et pour la torture de combattants de la Résistance antifasciste en France. De Bernonville a échappé à la prison et a fuit de la France au Québec, avec la complicité de la réaction cléricale. En 1948 il a été identifié par un vétéran de la Résistance française dans une rencontre fortuit à Granby. Les nationalistes québécois de l’époque ont immédiatement lancé une campagne pour bloquer les tentatives du gouvernement fédéral visant son expulsion. Frédéric Dorion, par la suite justice en chef de la Cour supérieure du Québec et à l’époque membre du parlement fédéral pour Charlevoix-Saguenay, s’est levé dans la Chambre des communes à Ottawa le 22 février 1949 pour se plaindre: « je suis sûr que si des Juifs communistes étaient venus ici au lieu de Catholiques français, nous n’aurions pas entendu un mot à propos d’eux ».
La campagne de défense pour de Bernonville était dirigée par Robert Rumilly, l’historien officiel et le propagandiste en chef de la Société St. Jean Baptiste, de surcroît lie étroitement au Premier ministre québécois Maurice Duplessis, les deux farouchement anticommuniste et antisyndical. Le compte rendu suivant de la campagne de masse menée par la SSJB à la défense du criminel de guerre nazi de Bernonville a été publié dans un quotidien montréalais à la veille d’un colloque historique sur le Québec et la deuxième guerre mondiale, tenu à l’Université du Québec à Montréal au début d’octobre 1994. On lit comme suit:
« Une indication du genre de campagne publique menée par Rumilly est contenue dans La Vérité sur la Résistance et l’Épuration en France, un discours public qu’il a prononcé en 1949 pour élever des fonds pour la campagne de défense de Bernonville…. Après avoir énoncer comment des individus avaient été persécutés par les purges de l’après-guerre en France, Rumilly a dit, ‘au Canada même, il a suffit qu’un Juif aux yeux louches, dont le nom m’échappe, a inventé les calomnies les plus incroyables à l’égard du noble commandant de Bernonville… pour que notre service d’immigration entretienne d’utiliser (les calomnies) comme base d’un cas légal par lequel il a désiré et désire encore expulser ce héros légendaire et l’envoyer à son exécution’ ».
—Gazette, le 24 septembre 1994 [notre traduction]
Plusieurs membres du gouvernement péquiste actuel étaient parmi ceux qui avaient rallié à défendre de Bernonville :
« La campagne pro-Bernonville a obtenu le soutien de plusieurs jeunes Québécois. Le nom de Camille Laurin [le père des lois linguistiques du PQ] paraît sur une liste de membres du comité dactylographiée trouvée dans les papiers de Rumilly…. Le 19 avril 1950, La Presse a publié son nom dans une liste de 143 Canadiens éminents qui avaient envoyé une pétition pour la défense du ‘Comte’ de Bernonville au ministre fédéral d’immigration, Walter Harris.
« Le 13 mars 1951, Denis Lazure, alors président de l’association étudiante de l’Université de Montréal et aujourd’hui un membre péquiste de l’Assemblée Nationale, a personnellement approuvé et a envoyé une pétition étudiante en faveur de Bernonville au Premier ministre St. Laurent ».
—Ibid.
En août 1951 le gouvernement fédéral canadien a autorisé de Bernonville de quitter le Canada pour le Brésil afin d’éviter son expulsion en France. Au Brésil Bernonville avait été aidé par le Bruederschaft, une organisation de secours aux Nazis fuyant l’Europe. De Bernonville est rapporté avoir finalement rencontré son destin aux mains du Bruederschaft, et était:
« trouvé étranglé dans son appartement à Rio de Janeiro le 27 avril 1972, avec une guenille dans sa bouche et ses mains et pieds liés. Un portrait signé de Maréchal Pétain se trouvait au mur. Deux semaines plus tard, le Diario Popular, un quotidien de Sao Paolo, a suggéré que Barbie soit derrière le meurtre car Bernonville avait menacé de révéler les secrets nazis ».
—Ibid.
Les amis de Bernonville dans la Société St. Jean Baptiste et le Parti Québécois peuvent pleurer son passage. Nous promettons de ne pas pleurer le leur. A l’époque ou j’étais militant étudiant à l’Université Laval à Québec, les militants étudiants de gauche ont nommé la Société St. Jean Baptiste « la Société St. Jean Fasciste ». Les sentiments pro-fascistes de la Société et autres xénophobes ont été et sont généralement ignorés, niés ou balayés en dessous le tapis par les avocats pseudo-trotskystes d’un « nationalisme conséquent ».
Cependant un coup d’œil au dossier historique démontre que les attaques xénophobes contre les immigrés (aussi bien que contre les peuples aborigènes survivants) sont profondément enracinées dans le passé. L’histoire officielle de la SSJB de Montréal par Robert Rumilly, publié en 1975, évoque fièrement le rôle de la SSJB dans la campagne de pétition de masse en 1944 contre l’immigration juive au Canada et affirme que cette campagne a empêché l’ « exploitation » des travailleurs québécois par les réfugiés juifs! La démagogie contre les présumés « ennemis » de la « vieille souche » québécoise reste le même de nos jours, bien que d’autres tels les immigrés asiatiques, en particulier les Chinois venus de Hong Kong, sont visés comme cibles aujourd’hui par les ultra-nationalistes.
Les « opprimés » n’ont jamais tort
Les avocats soi-disant trotskystes d’un caractère révolutionnaire inhérent prétendu du nationalisme québécois cherchent naturellement à renforcer leur argument en rendant cette dynamique historiquement rétroactive. Le document de la LSO cité par le camarade Elliott mentionne la défaite de la révolution bourgeois-démocratique au Québec en 1837, mais les lecteurs de l’Égalité ne sont peut-être pas informés que ce soulèvement a eu lieu lors d’une tentative semblable en Ontario (le Haut Canada). Si les révolutionnaires bourgeois de 1837 pouvaient s’unir dans une lutte conjointe d’autrefois contre la couronne britannique, pourquoi rejeter la possibilité d’une lutte de classe conjointe entre les ouvriers québécois et anglo-canadiens aujourd’hui?
La bourgeoisie anglo-canadienne, l’héritier du règne colonial britannique, opprime la nation québécoise depuis plus de 200 ans. Le chauvinisme anti-québécois (exprimé aujourd’hui sous la forme d’un plaidoyer en faveur de « l’unité nationale ») a été un pilier central de la réaction bourgeoise même avant l’époque de la Confédération. La perspective de forger l’unité combative de la classe ouvrière au-delà des antagonismes nationaux actuels au sein de l’État canadien exige que le prolétariat canadien anglais soutient inconditionnellement le droit à l’autodétermination du Québec, y compris le droit à la séparation, et s’y oppose agressivement à toute manifestation de discrimination contre les francophones.
On peut constater au cours des trois dernières décennies un niveau très élevé de luttes de classe communes (habituellement introduites par les travailleurs plus militants au Québec). Une section considérable de la classe ouvrière québécoise dans l’industrie manufacturière, l’exploitation minière et même le secteur des services gouvernementaux appartient aux syndicats communs avec son équivalent anglo-canadien. Du point de vue révolutionnaire, ce lien est une bonne chose. Il est concevable qu’à un moment futur nous pourrions être obligés de concéder que les antagonismes nationaux entre les ouvriers québécois et canadiens anglais exigent la séparation politique pour ôter la tension constante et les conflits culturels de l’ordre du jour politique, comme Lénine avait soutenu la séparation de la Norvège et de la Suède en 1905.
Si les marxistes revendiquent ou non-indépendance dépend comment la lutte pour l’unité de la classe ouvrière internationale peut être mieux avancée—au sein d’un même État ou dans deux États séparés. Si les rapports deviennent si empoisonnés qu’il est nécessaire de faire appel à la séparation, nous sommes parfaitement préparés à le faire, mais un tel développement peut être envisagé seulement comme un recul—et non pas comme un bond révolutionnaire en avant. Vu l’absence actuelle d’une conscience politique de classe du prolétariat québécois, et le chauvinisme profondément enraciné au Canada anglais, le danger d’une solution nationaliste, a l’opposé d’une solution de classe, est très réel.
Cependant, pour le moment, à moins que les péquistes obtiennent l’assistance du camp fédéraliste dans la forme d’une nouvelle vague de sentiments chauvins au Canada anglais, et/ou un renouvellement des assauts anglo-chauvins contre les droits culturels minimaux obtenus par la minorité francophone à l’extérieur du Québec, il paraît que les souverainistes auraient de la misère à gagner un vote majoritaire dans le référendum prévu sur l’indépendance. En ce moment il n’y a certainement aucune raison valable pour les marxistes révolutionnaires de revendiquer eux-mêmes ou de soutenir l’appel pour l’indépendance du Québec.
L’État canadien et ses défenseurs de gauche
Le plaidoyer du camarade Elliott en faveur du nationalisme québécois n’est pas la seule déviation politique concevable sur cette question. Des militants de gauche à la fois au Québec et au Canada anglais semblent être alarmés par la perspective que l’indépendance du Québec peut avoir pour résultat le démembrement du reste de l’État canadien. La Ligue trotskyste (LT), la section canadienne de la Ligue communiste internationale (LCI), dirigée par la Spartacist League des États Unis, a écrit récemment que:
« plus tôt cet été Lucien Bouchard a médité, dans un discours privé à la Chambre de Commerce à Ottawa que l’Ouest canadien pouvait finalement se trouver annexé aux États-Unis suivant la sécession du Québec de la Confédération. En effet, l’indépendance du Québec peut bien être un prélude au démembrement du pays entier. En tant qu’internationalistes de la classe ouvrière nous n’avons, bien sûr, aucun intérêt dans le maintien de l’actuel État capitaliste canadien artificiel et oppressif. Mais nous reconnaissons que le morcellement du Canada anglais en ce moment peut seulement fortifier le pouvoir de l’impérialisme américain au dépens des ouvriers de l’Amérique du Nord et du monde, et nous nous opposerions à ceci comme contraire aux intérêts de la classe ouvrière ».
—Spartacist Canada, septembre/octobre 1994 [notre traduction]
Nous pouvons consentir que les internationalistes prolétariens « n’ont aucun intérêt dans le maintien de l’actuel État capitaliste canadien artificiel et oppressif » et d’ailleurs qu’ils doivent défendre le droit à l’autodétermination du Québec, y compris la séparation. Mais il suit à peine qu’advenant la séparation du Québec les marxistes révolutionnaires doivent lever haut la bannière de l’unité canadienne.
L’argument de la Ligue trotskyste nous rappelle la confusion centriste classique des austro-marxistes d’Autriche—la combinaison d’une phraséologie fausse radicale avec une conclusion qui contredit la prémisse. Dans la bouche d’Otto Bauer l’argument aura pu suivre comme suit:
« Nous n’avons—bien sûr—aucun intérêt dans le maintien de l’empire austro-hongrois artificiel et oppressif. Mais nous reconnaissons que le démembrement de l’empire austro-hongrois peut seulement fortifier le pouvoir des empires rivaux encore plus oppressifs tels que la Russie tsariste ou le colonialisme français ou britannique, et mettre en danger ainsi les gains durement acquis du mouvement ouvrier autrichien. Nous devons par conséquent nous opposer au démembrement de l’empire austro-hongrois comme contraire aux intérêts de la classe ouvrière ».
Nous ne partageons pas l’inquiétude des robertsonistes devant la perspective du démantèlement du Canada, ni, advenant la séparation du Québec, serions-nous dans le camp de ceux voulant sauvegarder ce qui reste de l’État impérialiste canadien. En même temps, inutile de dire, nous n’imaginons pas qu’une dynamique révolutionnaire puisse se dégager d’une telle séparation.
Distinguer les amis des ennemis
Bien qu’il n’y ait pas de raison de soutenir l’impérialisme anglo-canadien junior contre son voisin américain vastement plus fort, il n’y a pas non plus de raison d’imaginer qu’il y a aussi une quelconque « dynamique révolutionnaire » inhérente au nationalisme québécois. La bourgeoisie québécoise est certes plus faible que la bourgeoisie anglo-canadienne, mais celui-ci est une question de degré plutôt que de qualité. Un Québec indépendant commencerait sa vie comme un pouvoir impérialiste mineur, une Norvège, pas un Mexique.
Il est peut-être utile de constater que le même « optimisme » révisionniste qui voit une dynamique révolutionnaire « objective » dans le mouvement nationaliste bourgeois au Québec avait affirmé détecter une dynamique « révolutionnaire » inhérente dans la destruction réactionnaire d’anciens États ouvriers déformés et dégénérés du bloc soviétique. L’Union soviétique n’a pas simplement « disparu », comme le camarade Elliott affirme en termes si euphémiques. En août 1991 le « Comité pour une internationale ouvrière » s’est joint au Secrétariat unifié d’Ernest Mandel pour annoncer le triomphe d’Eltsine et les forces contre-révolutionnaires soutenues par l’impérialisme rangées derrière la bannière de la « démocratie » comme un pas en avant. Cependant les résultats ont été désastreux—la réapparition du nationalisme réactionnaire, l’appauvrissement généralisé, une chute de la production, le démantèlement des services sociaux et la misère accrue de dizaines de millions de gens.
Le nationalisme soutenu par la bureaucratie syndicale québécoise a servi non pas d’avancer mais de faire dévier la lutte de classe au Québec. La lutte contre la république des banquiers et pour la république des travailleurs doit commencer avec une lutte résolue contre les illusions nationalistes au sein du mouvement ouvrier. Les discours toujours en évidence des idéologues ultra-nationalistes sur les supposées conspirations du capital anglo-américain servent essentiellement comme épouvantail pour émouvoir les travailleurs québécois par des mémoires de leur oppression historique, tout en masquant leur oppression de classe actuelle et réelle par un patronat québécois sous un torrent de démagogie nationaliste. Il est tout à fait évident qui sont les architectes principaux de l’indépendance du Québec, et qui seront les bénéficiaires majeurs de la république des banquiers péquiste.
Les travailleurs québécois relativement plus combatifs que leur contre—parties anglo-canadiennes peuvent jouer un rôle stratégique immense dans la révolution en Amérique du Nord—mais seulement s’ils sont gagnés à une perspective internationaliste. Un mouvement ouvrier insurgé au Québec ne retiendrait pas longtemps le pouvoir si les impérialistes restent au pouvoir ailleurs en Amérique du Nord. Le destin du prolétariat québécois est en dernière analyse dépendant sur la victoire de la révolution socialiste sur l’ensemble du continent nord-américain. L’avenir de la classe ouvrière québécoise par conséquent se trouve dans une lutte commune avec les travailleurs immigrés, anglo-canadiens et américains contre l’oppression capitaliste, et non de s’identifier à leurs « propres » souverains sur le plan linguistique et culturel.
La volonté exprimée par le camarade Elliott de vouloir « diriger le mouvement national en le plaçant sous le drapeau du socialisme » n’est pas un raccourci à la révolution sociale, comme il imagine si affectueusement, mais est, comme démontre l’expérience vivante du mouvement ouvrier au Québec de dernières décennies, une trajectoire renforçant la subordination du prolétariat à la bourgeoisie nationale. L’émancipation sociale du prolétariat québécois commence par sa reconnaissance que les propriétaires de Québec Inc. sont ses ennemis de classe, et non ses alliés nationalistes.
Marc D.
pour la Tendance bolchévique internationale
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Notes supplémentaires du rédacteur:
1 Bourgault, idéologue nationaliste « de gauche » d’autrefois et fondateur du défunt Rassemblement pour l’indépendance nationale (R.I.N.) a récemment été obligé de laisser ses fonctions de conseiller spécial au Premier ministre Parizeau pour son discours inflammatoire anti-immigré. Bourgault a menacé les immigrés, censés être « racistes » pour leurs sympathies fédéralistes, de représailles advenant un échec référendaire du projet souverainiste. Tel est le calibre de militant nationaliste « conséquent » recherché comme allié politique d’autrefois par la LSO.
2 Les ultra-nationalistes contestent le droit des immigrés de participer dans la vie politique, sociale et culturelle au Québec, qu’il s’agit du défilé St. Jean Baptiste ou du vote référendaire. Les militants nationalistes « conséquents » contestent le droit des immigrés de participer à la « démocratie » québécoise, car leurs sympathies politiques sont suspectes. La Société St. Jean Baptiste, chef de file dans la lutte contre les hidjabs dans les écoles publiques au Québec et défenseur acharné des valeurs québécoises chrétiennes, interdit toutefois la participation de minorités culturelles, habillées autrement que selon la stricte règle du folklore québécois, dans le défilé St. Jean Baptiste du 24 juin. A quoi y penser pour les organisations « trotskystes » en France, telle Lutte Ouvrière, dont le discours anti-hidjab semble recouper sur plusieurs points celui de la SSJB.
3 La campagne chauvine pour l’unilinguisme français, non simplement défendue mais en large mesure organisée et propulsée par les organisations soi-disant « trotskystes » au Québec, a eu pour résultat de renforcer la fixation ethno-nationaliste du mouvement ouvrier québécois, et d’aggraver davantage les tensions linguistiques et culturelles déjà existantes. Cette perspective, opposée à la nôtre, est toujours celle de la bureaucratie syndicale nationaliste.
4 Il est évident que l’intervention de l’armée canadienne n’était pas limitée à Montréal et la répression a frappé partout ailleurs au Québec. Montréal était, par contre, le théâtre principal de l’activité et de la gauche, et des forces répressives. Je me rappelle néanmoins de l’intervention des forces militaires/policières à Hull et de l’arrestation en plein jour de nombreux étudiants au CEGEP de Hull. C’est d’ailleurs en protestation contre ces arrestations arbitraires par l’État fédéral que j’ai commencé à militer dans l’organisation de jeunesse de la LSO.
5 Tout dernièrement l’autre centrale syndicale au Québec, la CSN, prévoit également lancé son propre « fonds de solidarité » pour promouvoir l’investissement dans les compagnies québécoises, autrement dit de promouvoir le développement du capitalisme québécois. Malgré l’optimisme révolutionnaire naïf du camarade Elliott, il est évident que le « projet de société » souverainiste défendu par les syndicats québécois est celui de Québec Inc., et non d’un Québec socialiste.
6 Ceci fut le cas à l’usine Cascades à Trois Rivières où les militants syndicaux ont été licenciés sous prétexte d’être « pourris et dangereux » par Bernard Lemaire, bon patron québécois. On est loin des supposés trusts anglo-américains tout puissants qui exploitent le peuple québécois propre à la propagande nationaliste et à la propagande d’autrefois de la LSO. Toute analyse de la société québécoise, analyse concrète d’une situation concrète comme dirait Lénine, doit partir du poids social et économique réel de la bourgeoisie québécoise.