Haïti sous le feu des États-Unis

A bas le duvaliérisme – Rompez avec Aristide!

Le texte ci-dessous a été publié et distribué en anglais et français en septembre 1994


le 18 septembre 1994—Sous une vague de menaces, de rapportages d’« intérêt humain » et d’invocations de principe démocratique, le gouvernement des États-Unis a posé les fondements pour l’occupation d’Haïti. Le but ostensible était de secourir la population du règne sanglant du général haïtien, Raoul Cédras, arrivé au pouvoir en 1991 en renversant le président d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, élu par voix populaire. Mais Cédras et son régime de l’escouade de la mort ont opéré pendant tout ce temps avec le soutien implicite des États-Unis. Finalement, sous la pression militaire des États-Unis, Cédras a consenti de démissionner et de participer au processus de la réintégration formelle d’Aristide au pouvoir.

La politique haïtienne du Département d’État américain a été déterminée principalement par un désir de prévenir l’explosion sociale de masse dans une des néo-colonies la plus misérable du nouvel ordre mondial impérialiste. Cédras devait partir parce qu’il avait survécu à son utilité à ses maîtres. Il a décapité avec succès les organisations plébéiennes de base qui ont apporté Aristide au pouvoir, mais son régime était trop impopulaire et sa base trop étroite pour assurer la stabilité.

Pendant des semaines Clinton a fait savoir qu’ il préférerait que quelques éléments « réformistes » du corps des officiers haïtien remplacent Cédras. L’intention était de laisser l’armée haïtienne intacte pour utiliser contre la population civile et au même temps éviter la responsabilité américaine directe pour l’administration du cauchemar haïtien. Les stratèges de l’invasion américaine ont annoncé qu’un de leurs inquiétudes principales est « les meurtres de la vengeance possibles par les partisans du père Aristide » (New York Times, le 14 septembre 1994) dirigés contre le corps des officiers et autres éléments de la classe dominante néo-coloniale qui ont appuyé Cédras. Stanley Schrager, porte-parole de l’Ambassade des États-Unis à Port-au-Prince, a été rapporté à dire que:

« tout plan de l’invasion visera à garder l’armée intacte après l’invasion, mais sans ses dirigeants et dans un rôle beaucoup moins menaçant ».

En dépit de la répression brutale menée par le régime Cédras, les marxistes s’opposent nettement à l’intervention par les États-Unis, ses alliés impérialistes ou ses marionnettes. Il est le devoir du mouvement ouvrier international d’apporter un soutien militaire à tout régime du Tiers-Monde, aussi répulsif qu’il soit, contre l’invasion impérialiste. Toute la propagande récente des médias à propos des réfugiés désespérés et les enfants affamés, et toutes les condamnations pieuses de Cédras par la « communauté mondiale », est un camouflage pour une intervention qui vise à conserver le statu quo dans la plus pauvre et la plus désespérément opprimée des néo-colonies dans les Amériques. Les militants syndicaux en Amérique du Nord, dans les Caraïbes et en Amérique latine doivent appeler pour des grèves politiques contre l’occupation d’Haïti, et refuser de manier des vivres militaires pour les envahisseurs.

Haïti—État client de l’impérialisme américain

Les préparations de Clinton pour l’attaque contre l’Haïti ont suivi plus ou moins le scénario de George Bush pour son assaut contre le Panama en 1989 (nommé avec perversité « Opération cause juste »). D’abord, il y avait un barrage d’articles des médias de « l’opinion publique outragée » concernant le manque de droits humains et la démocratie. Les dirigeants néo-coloniaux qui avait été financés par la CIA pendant des années ont été découverts n’être que trafiquants de drogue et assassins (voir New York Times, le 14 novembre 1993: « C.I.A. Formed Haitian Unit Later Tied to Narcotics Trade »). Le deuxième pas était de trouver un corps international (de préférence les Nations unies) disposé à « demander » l’intervention des États-Unis. Au Panama ce scénario a préparé la scène pour l’arrivée des marines, armes jusqu’aux dents. Après qu’ils avaient versé assez de sang pour assurer la « stabilité » (i.e., l’obéissance à Washington), un nouveau régime fantoche a été formellement juré au pouvoir pour servir et pour protéger les agents et les mécanismes de l’exploitation impérialiste.

A l’encontre des autres aventures étrangères récentes par l’impérialisme américain, telles que les invasions du Panama et de la Grenade, ou la Guerre du Golfe, qui a bénéficié de l’appui solide de la classe dominante, les plans pour l’invasion d’Haïti ont divisé la classe dominante américaine. La plupart des républicains et des démocrates se sont opposés à l’invasion parce qu’ils préfèrent Cédras à Aristide. Mais tout discours par Clinton et ses parieurs concernant la démocratie et le respect pour les « droits humains » est hypocrisie pure. Les divisions à Washington sur sa politique haïtienne sont des différences simples sur quelles tactiques sont les meilleures à bien maintenir le contrôle impérialiste américain.

Depuis que les marines ont envahi l’Haïti en 1915, le pays a été dominé économiquement et politiquement par les États-Unis. Haïti est une société principalement agraire, cependant parce que l’ « agribusiness » américain utilise les meilleures terres pour la production des récoltes pour l’exportation, la plupart des vivres du pays doivent être importées. Haïti est un des pays les plus pauvres dans le monde, et la plupart de ses citoyens ont les moyens de manger seulement une fois par jour. Comme résultat, 90 pour cent des enfants haïtiens souffrent de la malnutrition. Trois-quarts de la population gagne moins que 200$ par année, tandis qu’au sommet un pour cent de la population absorbe presque la moitié du revenu national.

Haïti et la « démocratie américaine »

La République haïtienne était le produit de la seule révolte victorieuse des esclaves dans l’histoire. Le triomphe des esclaves haïtiens en 1804 dans la colonie la plus riche des Amériques a posé une menace immédiate à toutes les économies esclavagistes adjacentes, particulièrement celle du sud des États-Unis. Les États-Unis se sont joints aux pouvoirs coloniaux européens dans une tentative ouvertement raciste d’étrangler la république noire dans son enfance avec un blocus économique et politique. Bien que les États-Unis ont reconnu toutes les anciennes colonies espagnoles dans les Amériques par les années 1820, ils ont refusé de reconnaître Haïti jusqu’à 1862, après la sécession des États sudistes de l’Union américaine.

Sous le pacifiste sacré Woodrow Wilson, les marines américains ont envahi Haïti en 1915, ostensiblement pour étendre les avantages de la démocratie et la liberté. Les Haïtiens ingrats ont répondu avec l’ « Insurrection de Cacos », que les marines ont sauvagement étranglée. Le Parlement national a été dissous et une nouvelle constitution a été promulguée qui a donné le contrôle politique et administratif complet sur Haïti aux États-Unis. Les autorités des États-Unis l’ont dûment ratifiée avec un plébiscite « démocratique » qui a enregistré un vote remarquable de 99.9 pour cent en sa faveur. Les intérêts agricoles des États-Unis introduits pendant l’occupation ont obtenu « bail » sur un quart de million d’acres du meilleur terrain agricole, expropriant dans le processus 50 000 paysans.

Depuis 1934 Haïti a été gouverné par une série de dictateurs impitoyables. François (« Papa Doc ») Duvalier a gouverné de 1957 jusqu’à sa mort en 1971 lorsque son fils Jean-Claude (« Bébé Doc ») a pris le relève. Sous les Duvaliers, les tontons macoutes (police secrète paramilitaire) ont assassiné des milliers de gens pour des « infractions » telles que la critique du régime ou l’adhésion aux syndicats ou autres organisations populaires. Pendant un temps, les États-Unis ont vu Papa Doc (qui a été donné aux explosions démagogiques du nationalisme noir ) comme étant un peu trop indépendant. Les rapports avec les États-Unis ont amélioré pendant les années 1960, particulièrement après l’écrasement du Parti communiste haïtien, et l’adoption en avril 1969 de la « Loi anticommuniste », qui a rendu toute « profession de foi communiste, verbale ou écrite, publique ou privée » punissable par la mort (Haïti: État contre Nation, Michel-Rolph Trouillot).

Sous Bébé Doc, les corporations américaines ont été encouragées à exploiter la main-d’oeuvre abondante et à bon marché et d’installer des industries légères à Haïti. On parlait d’Haïti comme le futur Taïwan des Caraïbes. Mais bien que la main-d’oeuvre ne soit pas chère, l’absence d’infrastructure, la corruption répandue du régime, l’instabilité sociale et les vicissitudes du marché mondial se sont combinées pour limiter la croissance industrielle.

La chaîne d’événements conduisant à l’occupation actuelle a commencé en février 1986 lorsque Bébé Doc a été renversé par une vague montante de grèves et de manifestations de masse insurrectionnelles. Le général Henri Namphy, chef du Conseil national gouvernant, a pris le contrôle. Les prisonniers politiques ont été libérés et les promesses ont été faites de tenir des élections démocratiques dans l’avenir proche. Mais les dirigeants militaires ont été intéressés principalement à diriger et à démobiliser le mouvement populaire hétérogène et à sauvegarder la hiérarchie sociale. Pendant la première année sous Namphy, il est estimé qu’il y avait plus de civils assassinés par l’État que pendant les quinze années précédentes sous Bébé Doc. Ceci a été vu comme le coût inévitable, si regrettable, de restaurer la « stabilité » après les luttes convulsives de masse qui ont renversé le régime Duvalier.

Ce qui a particulièrement dérangé les autorités de l’État était le « déracinement » (déchoukage) des tontons macoutes détestés par les masses. Ceci a alarmé des sections de l’élite libérale et « anti-duvaliériste », qui ont lancé une campagne de publicité massive et réussie contre cette forme de justice populaire. Beaucoup de macoutes qui ont échappé le déchoukage sont devenus les attachés d’extrême droite (assassins paramilitaires) derrière Cédras.

En janvier 1988 Leslie Manigat, un démocrate chrétien, avait gagné l’élection présidentielle. Huit mois plus tard il a été renversé par un coup militaire, laissant le pouvoir à un autre général, Prosper Avril. Encore une fois il y avait des promesses d’une nouvelle vie, la fin de la terreur étatique et du duvaliérisme. Une fois encore les masses ont espéré que cette vie eut amélioré. Une fois encore elles ont été déçues. En mars 1990 les masses haïtiennes ont encore pris les rues, et une coalition de groupes oppositionnels a fait appel pour une grève générale pour le 12 mars. L’ambassadeur des États-Unis, Alvin P. Adams, a conseillé Avril que son temps était écoulé. Immédiatement avant la grève générale menacée, Avril a embarqué dans un avion des forces aériennes américaines pour Miami.

La victoire d’Aristide inquiète les États-Unis

Alarmé par la croissance soutenue d’organisations populaires et de leurs sympathies de plus en plus radicales, le Département d’État américain a fait pression pour la tenue des élections comme le plus facile et le meilleur moyen de stabiliser la situation. L’exercice avait l’intention de mettre Marc Bazin, un ancien officiel de la Banque mondiale qui avait servi brièvement comme Ministre de la finance sous Bébé Doc, dans le palais présidentiel. Bazin représentait la couche moderniste technocratique de la classe dominante haïtienne qui favorisait une intégration économique plus proche avec les États-Unis. Washington a versé un estimé 36$ millions à la campagne de Bazin, et ce dernier semblait se diriger vers une victoire facile.

Cette perspective s’est évaporée quand le Front national pour le changement et la démocratie (FNCD—le parti traditionnel des capitalistes et des marchands libéraux) a déchargé abruptement son candidat en faveur de Jean-Bertrand Aristide, un ecclésiastique éminent qui avait survécu à plusieurs attaques des macoutes. En quelques semaines, un million de nouveaux électeurs se sont enregistrés, et le mouvement nommé Lavalas (« l’inondation ») est né.

La candidature d’Aristide s’est reposée sur une alliance entre la bourgeoisie haïtienne traditionnelle des marchands et le mouvement populaire bourgeonnant et politiquement amorphe d’étudiants, de paysans, de pauvres urbains, de syndicalistes et d’activistes sociaux catholiques. Aristide, un porte-parole de la « théologie de la libération ».

« avait des contacts proches avec la bourgeoisie traditionnelle. Quelques marchands haïtiens riches avaient souscrit l’éducation et les voyages du jeune prêtre, aussi bien que son orphelinat, Lafanmi Selavi ».
NACLA Reports, janvier 1994 [notre traduction]

Aristide propose de réaliser une réforme agraire modeste et d’éliminer la corruption duvaliériste, le patronage et la terreur. Contre le candidat du Département d’État américain:

« Le programme d’Aristide a fait appel pour le soutien des industries nationales haïtiennes en difficulté, pour une réforme agraire afin de revigorer l’agriculture haïtienne et de favoriser l’autosuffisance, d’étancher l’hémorragie d’importations de contrebande des ports régionaux, d’augmenter le salaire minimum, et de remettre en état de santé la bureaucratie gouvernementale ».
—Ibid. [notre traduction]

Aristide a gagné un mandat fort impressionnant—67 pour cent des votes—tandis que le candidat du Département d’État, Bazin, a fini une distante seconde avec un 14 pour cent risible.

Aristide prêche le message débilitant que les masses haïtiennes désespérément pauvres peuvent accomplir leur libération sociale à l’intérieur du cadre impérialiste. Il sème des illusions que les États-Unis, la France, le Canada et les autres pouvoirs impérialistes dans la « communauté mondiale » peuvent être induits d’agir comme des agents de progrès à l’Haïti. Nonobstant toute la servilité d’Aristide, les pouvoirs impérialistes se méfient instinctivement d’un politicien dans un pays si désespérément pauvre qui reçoit un appui populaire substantiel. Ils savent que toute expression politique des masses peut échapper rapidement au contrôle de la théologie de la libération, des libéraux et des réformateurs qui l’ont initiée.

Dans les quelques mois qu’il était au pouvoir, Aristide a décrété quelques réformes fiscales mineures, a fermé quelques échappatoires d’impôts, a enlevé une couche de fonctionnaires corrompus et a réduit la dette étrangère d’Haïti. Sous Aristide le flux de réfugiés politiques et économiques fuyant les escouades de la mort a été renversé et des milliers d’expatriés ont commencé à revenir.

Washington est soudainement devenu extrêmement intéressé à la question des « droits humains » à l’Haïti—chose qu’il avait ignoré par le passé —avec Aristide au pouvoir. Les États-Unis étaient particulièrement inquiets des rapports de quelques incidents de châtiment « de classe » contre les duvaliéristes riches.

Les financiers américains, en particulier Citibank et la Banque de Boston, ont été alarmés par les rapports qu’Aristide avait obtenu 500$ millions en aide étrangère sans recours au système financier des États-Unis. L’Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques, mais il n’a jamais réorganisé sa dette étrangère et avait été une source de revenu digne de confiance pour les banques américaines. L’Agence pour le développement international (AID) des États-Unis a désapprouvé à la proposition d’Aristide d’introduire des contrôles sur le prix des aliments et a dénoncé son projet d’augmenter le salaire minimum de 33 à 50 cents l’heure comme une erreur désastreuse.

Le putsch du 30 septembre 1991 par Raoul Cédras est largement présumé d’avoir été soutenu secrètement par les États-Unis. Le New York Times du 1er novembre 1993 a rapporté que:

« les membres clefs de la direction militaire au pouvoir à Haïti et qui bloquent le retour de son président élu, Jean-Bertrand Aristide, ont été payés par la Central Intelligence Agency pour leurs informations du milieu des années 1980s au moins jusqu’au putsch de 1991 ». [notre traduction]

Les États-Unis ont formellement condamné le putsch et ont fait appel pour la réintégration éventuelle d’Aristide. Toutefois, une semaine après le putsch de Cédras, lorsque l’armée et les bandes des attachés se sont engagées dans l’extermination sanglante des partisans d’Aristide, l’ambassadeur des États-Unis à Haïti, Alvin Adams, a produit un dossier épais sur les violations présumées des droits humains pendant le règne bref d’Aristide. Les médias capitalistes des États-Unis ont docilement suivi en faisant un grand tapage sur ces violations présumées, tout en ignorant la répression brutale lancée contre les organisations populaires qui avaient appuyé le président déposé.

L’embargo des États-Unis affame les masses

Afin de démontrer leur opposition au putsch, les États-Unis ont imposé un embargo commercial qui a explicitement exempté des filiales haïtiennes des compagnies américaines. La première année de l’embargo impérialiste, les exportations haïtiennes aux États-Unis ont sauté de façon dramatique (de 110$ millions en 1992 à 160$ millions en 1993). Entre-temps les prix pour les produits alimentaires et autres biens de consommation ont monté en flèche, lorsque les amis du régime ont saisi l’occasion pour en profiter. Il a paru que l’embargo n’était pas du tout dirigé contre le régime militaire haïtien, mais visait plutôt à obliger les ouvriers et les paysans appauvris de passivement accepter tout régime que les États-Unis veulent imposer.

Sous Clinton les États-Unis ont combiné la rhétorique d’appui pour Aristide avec une caractérisation du président déposé comme étant une psychopathe erratique, obstinée, et peu coopérative. Le New York Times du 1er novembre 1993 a cité Brian Latell, le « chef analyste de la CIA pour Amérique Latine », qui décrit Aristide comme « instable et ayant une histoire de problèmes mentaux ». Latell a considéré Cédras comme un du « groupe le plus prometteur de dirigeants haïtiens à émerger depuis que la dictature de la famille Duvalier a été renversée en 1986 », et a rapporté que pendant un voyage à l’Haïti en juillet 1992 il “n’ a vu aucune évidence de règne oppressif ».

Afin d’éviter de paraître déraisonnable, Aristide est entré dans un rond de « négociations » avec Cédras en juin 1993 sous les auspices des Nations unies à New York. Pour éviter les manifestations massives des expatriés de la communauté haïtienne (60 000 avaient rallié en octobre 1991 pour dénoncer le putsch), les réunions ont été tenues sur Governor’s Island au port de New York. Le résultat des « négociations » avait été arrangé à l’avance par ses parrains. Les dictateurs militaires ont eu l’occasion de paraître sur la scène internationale comme une partie légitime dans un différend domestique. Aristide a obtenu une promesse vide qu’il pourrait reprendre ses devoirs plus tard en octobre 1993. Bill Clinton a proclamé que les pourparlers étaient « un pas historique pour la démocratie ».

Le 11 octobre 1993, dans un événement hautement publicisé par les médias, le navire américain Harlan County, avec des centaines de troupes américaines et canadiennes à bord, a été chassé de Port-au-Prince par une poignée de voyous attachés agitant des pistoles. Juan Gonzalez, un journaliste pour le New York Daily News, avait appris du plan la veille à une réunion duvaliériste à Port-au- Prince, réunion où assistait aussi le personnel de l’ambassade des États-Unis! La leçon pour Cédras et ses partisans était claire:

« Le dirigeant de l’organisation paramilitaire FRAPH, responsable pour tant de terreur (des attachés), a dit que ‘mes gens voulaient constamment fuir, mais j’ai parié et les ai poussés à rester. Puis les Américains se sont retirés! Nous avons été étonnés. C’était le jour où le FRAPH est né réellement. Auparavant, tout le monde a dit que nous étions fous, suicidaires, que nous serions brûlés si Aristide retournait. Mais maintenant nous savons qu’il ne va jamais revenir’ ».
Z Magazine, juillet 1994 [notre traduction]

Plus de 4 000 individus associés aux mouvements populaires ont été assassinés sous le régime Cédras, plusieurs milliers de plus ont été chassés dans la clandestinité ou en exil. La tentative de détruire les organisations des pauvres, largement documentée par Americas Watch, une organisation des droits humains de l’hémisphère, n’est pas née d’un esprit sanguinaire complètement irrationnel de la part de Cédras. Les mouvements populaires à l’Haïti ont été perçus comme un danger potentiel à la structure entière du néocolonialisme dans la région. Noam Chomsky cite Americas Watch en tirant la conclusion que:

« La terreur est utilitaire: elle assure que même si Aristide est autorisé à revenir, ‘il aura la difficulté à transformer sa popularité personnelle en le soutien organisé dont il a besoin pour exercer l’autorité civile ».
—Ibid. [notre traduction]

Ceci explique la contradiction apparente de la politique américaine après le putsch. Tout en dénonçant officiellement Cédras, la Maison blanche (sous Bush comme sous Clinton) n’était pas pressée de l’évincer. Au contraire la politique américaine a combiné une prétention démocratique avec des tentatives de réconcilier les deux « extrêmes » représentées par le terrorisme étatique nu de Cédras et le réformisme impuissant d’Aristide. Si Aristide fait assez de « compromis » afin de démobiliser les mouvements populaires, alors peut-être Cédras s’adoucirait et un « règlement politique » pourrait être réalisé.

États-Unis—Otez les mains d’Haïti!

Il y a quelques mois Washington minimisait les rapports des crimes de la junte:

« En avril, un câblogramme signé par William L. Swing, l’ambassadeur américain à Haïti, et envoyé à [secrétaire d’État américain Warren] Christopher a affirmé que père Aristide et ses partisans exagéraient et fabriquaient même des rapports d’abus des droits humains ».
New York Times, le 13 septembre 1994 [notre traduction]

Dans les mois qui ont suivi la position américaine s’est graduellement endurcie, et en août la Maison blanche a commencé à prendre une position plus belligérante. Les préparations ont eu lieu pour envoyer quelques 20 000 troupes américaines (avec les contingents bidons de quelques satellites des Caraïbes et autres vassaux). Pendant des mois les médias ont publié des comptes de comment le régime Cédras assassinait les orphelins, violait les jeunes filles et affamait les enfants. Ceci a été accompagné par l’affirmation absurde et grossièrement raciste que l’exode de quelques milles réfugiés haïtiens posait un « risque de sécurité » vital aux États-Unis. Mais la population américaine a montré peu d’enthousiasme pour l’intervention à Haïti. Au même temps, les républicains du Congrès se sont plaints que Clinton arrangeait sa diplomatie de canonnière en vue de donner un coup de main aux démocrates lors des élections du novembre.

Cédras est un assassin répulsif, mais il est un acteur mineur qui a bien servi ses maîtres. Les mouvements plébéiens ont été décapités. La marge de manoeuvre d’Aristide a été réduite, et il a promis de laisser la présidence après un an. Ses plaidoyers lâches à la « communauté internationale » (i.e., les grandes puissances capitalistes) de prendre « de l’action » contre Cédras a fourni une couverture pour l’occupation impérialiste.

L’arrogance et le cynisme de la classe dominante américaine, vantant sa mission « humanitaire », sont égalés par la crédulité et le niaisage de beaucoup parmi ce qu’on appelle le milieu de « solidarité ». La plupart de la gauche haïtienne (comme la gauche internationale) a reconnu que les Duvaliers et leurs successeurs étaient des créatures du système impérialiste mondial. Cependant les illusions ont persisté que, d’une façon ou une autre, les États-Unis (avec son partenaire junior canadien se trouvant un demi pas derrière, comme convient à un médiateur « impartial ») peuvent être contraints ou manoeuvrés à jouer un rôle « progressif » à l’Haïti. La seule raison pour l’intervention des États-Unis est de conserver l’ordre social néo-colonial qui a condamné les masses haïtiennes à une vie de pauvreté désespérée, de faim et de misère.

Aristide revient comme un homme de paille pour l’occupation américaine. Il passera dans l’histoire comme un traître à la nation haïtienne. Il ne délivrera rien aux millions d’Haïtiens désespérément pauvres qui ont mis leur foi en lui parce que son programme réformiste revient à garantir les intérêts de l’élite riche et leurs partenaires impérialistes.

Haïti et la révolution permanente

La classe dominante haïtienne sait que l’exercice des droits démocratiques (la liberté d’assemblée, la liberté de parole, la liberté de la presse, le droit d’organiser des syndicats et de faire la grève) par les masses posera une menace immédiate à son pouvoir et à sa propriété. Ceci est pourquoi dans un pays comme l’Haïti, toute lutte sérieuse pour les réformes démocratiques pose très rapidement la question de pouvoir politique, i.e., la révolution sociale.

Dans les pays quasi-coloniaux tels que l’Haïti, la classe ouvrière peut être petite en nombre, mais son rôle politique est primordial. Elle est la seule force sociale avec à la fois la cohésion interne et l’intérêt matériel de mener une lutte sérieuse pour renverser la propriété capitaliste et rompre les liens à l’impérialisme. Même dans un pays comme l’Haïti, où la classe ouvrière est minuscule et dispersée, elle peut agir encore comme le dirigeant des dépossédés du pays. Dans les luttes contre les deux militaires Namphy et Avril, les grèves par les enseignants, les fonctionnaires, les chauffeurs de taxi et les camionneurs, les employés du secteur étatique et les ouvriers des usines et moulins de la farine ont joué un rôle important dans le soulèvement populaire massif qui a renversé ces régimes.

Afin de gagner même des gains sociaux minimes, les masses haïtiennes doivent être préparées pour exproprier les entreprises multinationales étrangères (aussi bien que leurs personnes à charge haïtiennes ), de briser l’État des exploiteurs, et d’établir des corps armés d’ouvriers et d’opprimés. Une prise de pouvoir victorieuse par un gouvernement ouvrier et paysan haïtien pourrait fournir un élan puissant pour la lutte révolutionnaire des ouvriers dans la République dominicaine avoisinante et servir d’étincelle aux Caraïbes entiers.

Une poussée révolutionnaire dans la région ouvrirait de nouvelles perspectives pour la révolution cubaine, que les impérialistes entreprennent d’étrangler. Dans son discours télévisé du 15 septembre pour annoncer l’occupation d’Haïti, Clinton a explicitement dénoncé Cuba comme l’autre tache sur la « démocratie » dans l’hémisphère occidental, un signal sinistre que l’intervention contre l’Haïti peut ouvrir la porte à un assaut militaire contre l’État ouvrier cubain déformé. La révolution cubaine, pourtant déformée par le régime stalinien dirigé par Fidel Castro, représente un gain important pour les travailleurs du monde— un gain qui doit être défendu férocement contre les intrigues contre-révolutionnaires de l’impérialisme.

Une poussée révolutionnaire à l’Haïti trouverait un écho puissant partout en Amérique latine. Elle électrifierait aussi les 300 000 exils haïtiens, en grande partie prolétaires, concentrés dans plusieurs centres urbains importants en Amérique du Nord (New York, Miami et Montréal). Une percée à l’Haïti aurait un impact immense sur la conscience de millions de prolétaires noirs aux États-Unis et transformerait radicalement le paysage politique.

La clef à la révolution sociale à l’Haïti est la construction d’un parti léniniste enraciné dans les masses haïtiennes, particulièrement la classe ouvrière, armé d’un programme politique (le programme de la révolution permanente articulé en premier par le grand révolutionnaire russe Léon Trotsky) qui lie les luttes démocratiques à la nécessité d’exproprier les exploiteurs capitalistes et d’établir un gouvernement ouvrier et paysan.

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!

Les capitalistes reconnaissent qu’ils ont des intérêts communs au-delà des frontières nationales. Dans les années récentes les corporations multinationales ont divisé de plus en plus les ouvriers l’un contre l’autre internationalement en transférant la production d’une région du globe à une autre, dans une tentative délibérée et souvent couronnée de succès de réduire les salaires et les conditions de vie des travailleurs. Le résultat est que le standard de vie des travailleurs et travailleuses nord américains a chuté depuis vingt ans. Juliet Schor, dans The Overworked American (1991), écrit que « pour atteindre leur niveau de vie de 1973 » les travailleurs industriels « doivent travailler 245 heures de plus, ou 6 semaines de plus par année ». [notre traduction]

Aujourd’hui, plus que jamais auparavant, les travailleurs et les travailleuses sont contraints de se reconnaître comme participants dans une économie globale, plutôt que régionale ou nationale. Le corollaire de cette réalité est que les victoires et les défaites des travailleurs et leurs alliés dans n’importe lequel région du monde affectent ceux dans chaque autre région. La solidarité internationale n’est pas une notion idéaliste vide, elle est une nécessité urgente pour la classe ouvrière aujourd’hui. Les ouvriers nord-américains ont un intérêt matériel direct à battre la diplomatie de canonnière de « nos propres » souverains à l’Haïti, et en même temps que nous avons un intérêt vital à défendre la révolution cubaine (la cible principale de l’impérialisme dans les Caraïbes).

A bas la diplomatie appuyée par la force armée! A bas l’occupation américaine d’Haïti! Défense de la révolution cubaine!

A bas le duvaliérisme—Rompez avec Aristide!

En avant à un gouvernement ouvrier et paysan d’Haïti dans une fédération socialiste des Caraïbes!