La guerre impérialiste et les prétendus socialistes

Suivre la ligne de moindre résistance:

« La lutte contre la guerre et sa source sociale, le capitalisme, présuppose un soutien direct, sans équivoque des peuples coloniaux opprimés dans leurs luttes et guerres contre l’impérialisme. Une position neutre équivaut au soutien de l’impérialisme ».
—Léon Trotsky, « Résolution sur la conférence de guerre du bureau de Londres », juillet 1936

La tentative en cours de la part des Etats-Unis de s’emparer directement du pétrole irakien a fait voler en éclats des années de boniments officiels sur la primauté du droit, la résolution paisible des différends et le rôle des Nations unies dans la médiation des conflits au sein de la communauté internationale. Le léviathan américain a précisé son intention de poursuivre ses intérêts étroits sans égard pour le droit international, les subtilités diplomatiques ou la sensibilité d’acteurs importants comme l’Allemagne et le Japon.

Le nouvel unilatéralisme des Etats-Unis, source de ressentiments chez les alliés impérialistes de l’Amérique, a provoqué un ersatz d’anti-impérialisme chez plusieurs figures des cercles dits progressistes sur le plan international. À une rencontre des militants antimondialisation à Florence dans le cadre du Forum social européen de 2002 (FSE), Susan George a observé: « Après l’Irak, les Etats-Unis rechercheront une présence à plusieurs endroits tout autour du monde. Ils veulent créer un empire mondial fondé sur la domination économique » (cité par Socialist Worker (Grande-Bretagne), 23 novembre 2002). Les Etats-Unis disposent déjà d’un empire, mais George a raison de dire que la conquête d’Irak, en renforçant la mainmise états-unienne sur le pétrole du Moyen-Orient, créera les conditions pour d’autres agressions brutales de la part de la seule « superpuissance » mondiale.

Le bolchévisme et les guerres néocoloniales

L’agression impérialiste contre l’Irak constitue une épreuve pour tous qui se réclament du socialisme. L’enjeu est simple, et la position marxiste est sans ambiguïté :

« Par exemple, si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., ce seraient des guerres ‘justes’, ‘défensives’, quel que soit celui qui commence, et tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des Etats opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les ‘grandes’ puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices ».
—V.I. Lénine, Le socialisme et la guerre

La Troisième internationale (ou Internationale communiste) lancée par Lénine et les bolchéviks par la suite de la trahison social-patriotique de la part des partis social-démocrates au moment de la Première guerre mondiale, a établi « 21 conditions » pour les partis candidats, notamment que les révolutionnaires de tout pays impérialiste avaient:

« pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies…. De nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux ».

Trotsky et l’Opposition de gauche ont réaffirmé cette prise de position après la dégénération stalinienne de l’Internationale communiste. Au moment où Mussolini a assailli l’Éthiopie en 1935, Trotsky a répondu sur le champ :

« Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l’Italie et pour la victoire de l’Éthiopie, et nous devons donc faire tout notre possible pour empêcher, par tous les moyens en notre pouvoir, que d’autres puissances impérialistes soutiennent l’impérialisme italien et en même temps faciliter du mieux que nous pouvons la livraison d’armes, etc. à l’Éthiopie ».
—« Le conflit italo-éthiopien » publié le 17 juillet 1935.

Trotsky n’avait guère plus d’affection envers Haile Selassie, dont le régime maintenait l’esclavage au sens propre, que les révolutionnaires de nos jours envers Saddam Hussein, un dictateur sanguinaire et atout impérialiste depuis de longues années. Or, les marxistes s’opposent sans condition à toute agression impérialiste contre un pays « sous-développé », pour les raisons qu’évoquent Trotsky à propos du conflit éthiopien:

« Si Mussolini l’emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l’impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l’impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir ».
—« À propos des dictateurs et des hauteurs d’Oslo », 22 avril 1936.

Deux ans plus tard, Trotsky abordera la même question sous un angle quelque peu différent:

« Il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serai du côté du Brésil ‘fasciste’ contre l’Angleterre ‘démocratique’. Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte entre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs! »
—« La lutte anti-impérialiste », 23 septembre 1938

Le scénario ci-dessus s’applique intégralement à la situation actuelle si l’on remplace « Brésil » par « Irak », et « Angleterre » par « Etats-Unis ». Mais la plupart des organisations « léninistes » et « trotskystes » dans le monde actuel jugent ces positions de Lénine et Trotsky absurdement sectaires. Leurs attitudes sont analogues à celles de Karl Kautsky, le premier opposant « socialiste démocratique » au bolchévisme, pour qui l’impérialisme était un simple choix politique erroné que des pressions populaires adéquates pourraient rectifier.

Supporters healyistes et Quislings irakiens

Si l’on peut décrire la réponse de la plupart des organisations de gauche contre les menaces faites à l’Irak comme social-pacifiste, certaines font exception. Le Workers Revolutionary Party (Parti révolutionnaire des travailleurs) britannique—un fragment de l’opération de banditisme politique de Gerry Healy du même nom—a salué un référendum manifestement factice où 100% de l’électorat a donné son aval comme une « manifestation absolument sans précédent de l’ensemble du peuple irakien » (Newsline, 19 octobre 2002). Selon le WRP, l’intimidation impérialiste n’a fait que « rallumer la révolution nationale irakienne » sous la direction de Saddam, « une réalisation qui coûtera cher ». [aux impérialistes]

Or, la triste vérité est que la brutalité du régime d’Hussein a rendu bon nombre d’irakiens favorables à la mise en place d’un régime fantoche des Etats-Unis, voire l’occupation militaire états-unienne – un sentiment que le Parti communiste d’Irak semble disposé à cautionner. Dans une déclaration en date de 28 septembre 2002, « Solidarité avec le peuple irakien pour la paix et la démocratie », ces quislings lancent un appel à « resserrer l’isolement politique et diplomatique du régime dictatorial de Saddam » au nom des « droits humains ».

Les humanistes ex-staliniens du Parti communiste ouvrier d’Irak s’opposent à tout le moins à une agression américaine, mais font l’équivalence entre Saddam Hussein et George Bush Jr. et refusent de prendre position entre les deux. Comme eux, bon nombre de « communistes de gauche » et d’anarchistes manifestent sous la banderole « Une seule guerre – la guerre des classes ! » Ce mot d’ordre à consonance gauchiste n’est en effet qu’une déclaration de neutralité dans un conflit entre des nations opprimées et les oppresseurs. Les jeunes militants qui favorisent cette formule dans le cas de l’Irak ne l’appliquent pas dans le cas de la lutte palestinienne contre le nettoyage ethnique sioniste ou la résistance républicaine irlandaise à l’occupation britannique.

Mouvements de « masse » anti-guerres de nature front populaire

Une attitude répandue chez les organisations prétendument révolutionnaires est à l’effet que la meilleure façon de combattre l’agression impérialiste est par le biais de mobilisations larges (et donc de nature libérale-réformiste) contre la guerre. Aux Etats-Unis, le Workers World Party (WWP) stalinophile est la force motrice derrière les grandes manifestations nationales contre la guerre. En Grande-Bretagne, le Socialist Workers Party (SWP) du feu Tony Cliff a joué le même rôle, tout comme en France, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR – première section de ce qui reste du Secrétariat unifié). Dans tous les cas, les « révolutionnaires » obtiennent les permis, installent la sono, font la publicité, impriment les pancartes et organisent le service d’ordre. Mais on laisse le soin de l’analyse politique à des éminences (de la gauche libérale, sociaux-démocrates, des clercs et syndicalistes) invités à l’estrade pour prêter un ton respectable et légitime à l’événement. Si les membres de l’organisation révolutionnaire qui ont organisé la manifestation y apparaissent, c’est en tant que représentants de quelque front anodin et ils ne font que peu d’allusions au marxisme, au socialisme, ou à la révolution. Ils restent trop polis pour émettre des critiques des orateurs invités.

Aux Etats-Unis, viser un mouvement anti-guerre « large » signifie rechercher le soutien d’hommes politiques bourgeois « progressistes » tels que Jesse Jackson ou Teddy Kennedy. Aux événements qu’organisent les fronts du WWP, il n’y a pas de dures critiques envers les Démocrates libéraux. À l’extérieur des Etats-Unis, les appétits collaborationnistes de classe des réformistes prennent la forme d’appels à leur « propre » bourgeoisie impérialiste pour sauver l’Irak des Américains perfides. Les divisions entre les Etats-Unis et les rivaux impérialistes plus faibles sont dénuées de contenu social progressiste – elles ne sont que le reflet des intérêts divergents et des poids spécifiques des différentes bourgeoisies nationales. La fureur récente à propos de « l’unilatéralisme » des Etats-Unis n’a fait que prêter de la légitimité à son aval ultérieur à la campagne de Washington de la part du Conseil de sécurité de l’ONU.

En France, la LCR a lancé son action contre la guerre avec un appel en date du 9 septembre 2002 pour l’unité de « tous les pacifistes » (y compris la LCR elle-même, l’on suppose) à un mouvement pour « forcer » les impérialistes de l’UE à prévenir une agression états-unienne :

« Dans la rue, dans les entreprises, les quartiers, unissons les forces de tous les pacifistes. Préparons des comités unitaires, des manifestations. Obligeons nos gouvernements, Chirac, Schröder, à rompre avec Bush, à empêcher cette sale guerre ».

La LCR a lancé une journée nationale de protestation le 12 octobre 2002, à partir d’une déclaration commune avec 20 organisations co-signataires qui ont affirmé :

« Nous n’acceptons pas la notion de ‘guerre préventive’ avancée par les Etats-Unis, qui est absolument contraire à la Charte des Nations unies…. La France doit s’opposer à cette guerre. Elle peut et doit utiliser son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies. Elle doit aussi agir avec ses partenaires européens pour une solution politique négociée ».
Rouge, 3 octobre 2002

En s’inclinant à la propagande impérialiste sur les armes irakiennes, la déclaration commune a également demandé « de reprendre les processus mondiaux et régionaux de désarmement, notamment au Moyen-Orient ». Il semble que cette demande ait légèrement gêné la LCR, qui a toutefois fini par y donner son aval :

« Si, à travers plusieurs de ses formulations, cet appel représente un compromis, son caractère largement unitaire présage bien du succès que peut revêtir la première journée de manifestations … ».

Le SWP britannique: les meilleurs ouvriers du social pacifisme

À Londres, le 28 septembre 2002, la « Stop the War Coalition » (StWC) a tenu une manifestation monstre qui a attiré environ 300,000 participants. Dans un discours devant 2 000 militants de gauche au Forum social européen en 2002, Lindsey German, une dirigeante du SWP et porte-parole de la StWC, a livré une version gauchisante :

« Lindsey a argumenté que la force du mouvement antiguerre en Grande-Bretagne découlait de sa ‘prise de position claire sur la question de l’impérialisme’. Nous avons compris que c’était une guerre pour le pétrole et pour la puissance états-unienne. Nous avons refusé le point de vue que le Taliban ou Saddam Hussein étaient des ennemis à l’égal de l’impérialisme états-unien ou britannique ».
Socialist Worker (Grande-Bretagne), 16 novembre 2002

Par contre, dans un article dans le numéro de novembre 2002 de Socialist Review, German a noté qu’une des « décisions importantes » derrière la réussite du StWC était que :

« Il a rejeté un programme spécifiquement anti-impérialiste, et a argumenté que tous ceux qui s’opposaient à la guerre aux agressions racistes et aux atteintes aux droits civiques étaient les bienvenus d’y adhérer. Limiter l’adhésion à la coalition à ceux qui avaient une compréhension de l’impérialisme aurait signifié le couper d’un véritable soutien large ».

Il est tout à fait principiel que des léninistes participent à des fronts unis avec des travaillistes, des pacifistes et des clercs sur la base de leur opposition commune à une aventure impérialiste donnée. Or, chez les révolutionnaires, de tels blocs constituent une occasion de démontrer la supériorité du programme marxiste par rapport au réformisme embrouillé. Or, le SWP a organisé un « mouvement » d’où toute forme de politique marxiste était effectivement exclue. Les interventions du SWP à la StWC sont façonnées avec soin pour correspondre au plus bas dénominateur commun réformiste que partagent les travaillistes, les évêques et les bureaucrates syndicaux dont on recherche le soutien comme garants du « succès » du mouvement. Par ailleurs, l’absence de tout relent du « communisme impie » aux événements de la coalition facilite la poursuite d’un bloc SWP avec les obscurantistes islamiques. Depuis leurs éloges à la « Révolution islamique » anti-ouvrière, les cliffistes ont tendance à rechercher un volant « progressiste » de l’intégrisme musulman (Voir « Islam, Empire and Revolution » 1917 no 17, édition anglaise).

Les orateurs à la manifestation comptaient, outre la Baronne Uddin de la Chambre des Lords, le révérend Peter Price, évêque de Bath et Wells, qui a saisi l’occasion pour condamner Saddam et pour applaudir le « rôle légitime » des inspecteurs d’armes de l’ONU:

« Qu’on ne nous méprenne pas, à notre avis Saddam et son régime constituent une véritable menace à son propre peuple, aux pays voisins et au monde. Saddam doit mettre fin à la répression à l’encontre de son peuple, abandonner ses efforts de développer des armes de destruction massive et respecter le rôle légitime des Nations unies d’assurer qu’il le fasse ».

Les « révolutionnaires » fort discrets du SWP n’étaient pas présents à l’estrade en leur nom propre, mais German, comme porte-parole du StWC, a dit à la foule : « Cette guerre est à propos du pétrole, et les intérêts stratégiques de l’Amérique. C’est à propos de la guerre des riches contre les pauvres ». Mais au lieu de tirer la conclusion évidente – celle de prendre parti pour « les pauvres » contre « les riches » (c’est-à-dire, défendre l’Irak contre l’axe du mal Blair-Bush), German s’est bornée au pacifisme abject « Le message de la manifestation n’est pas une guerre sous l’égide des Nations unies, c’est non à la guerre sous toute circonstance ». Or, chez les révolutionnaires, le message devrait être à l’effet que les classes laborieuses et les opprimés ont un intérêt vital à défendre l’Irak.

Dans son article de Socialist Review, German dit désinvoltement « la Coalition ne peut pas se relâcher avant d’avoir arrêté la guerre » et prétend que :

« Nous avons le potentiel d’arrêter la guerre. Bush et Blair ont fixé des objectifs clairs et une seule manifestation ne les arrêtera pas. Mais nous les avons ébranlés, et nous avons le pouvoir de continuer de les ébranler jusqu’à ce qu’ils doivent battre en retraite, comme au Vietnam ».

La direction du SWP est-elle assez ingénue que de croire à cela, ou est-ce une simple tentative de revigorer la base ? Les Etats-Unis se sont retirés du Vietnam parce que 50 000 de ses troupes envoyés en Indochine pour écraser une révolution sociale ont regagné leur pays en body-bags. Avec le temps, les jeunes, surtout d’origine ouvrière et des minorités ethniques dans l’armée de conscrits devenaient de plus en plus insoumis et il y avait un sentiment croissant de désaffectation envers la classe dirigeante et sa guerre contre-révolutionnaire. L’organisation de manifestations de masse social-pacifistes pour la paix par des réformateurs « trotskystes », avec des élus bourgeois du Parti démocrate pour établir le ton a joué un rôle négligeable dans la conclusion de la guerre; par contre, elle a contribué à recanaliser la colère populaire vers le cadre de la politique bourgeoise. L’ampleur des manifestations a permis de repérer l’opposition à la guerre, mais les sentiments croissants ouvertement anti-impérialistes au sein de couches de la classe ouvrière américaine, notamment chez les anciens combattants au Vietnam et la jeunesse noire, n’ont pas trouvé d’expression dans le mouvement pour la paix officiel.

Le mouvement anti-guerre le plus concluant de l’histoire était celui qu’a dirigé le Parti bolchévique en Russie au cours de la Première guerre mondiale. Ce mouvement n’était pas fondé sur le social-pacifisme qu’appuie le SWP. Effectivement, la polémique de Lénine contre le refus des pseudo-socialistes de lier la lutte contre la guerre impérialiste à celle de renverser l’ordre social capitaliste pourrait bien viser le SWP:

« L’une des formes de mystification de la classe ouvrière est le pacifisme et la propagande abstraite de la paix. En régime capitaliste, et particulièrement à son stade impérialiste, les guerres sont inévitables.

« À l’heure actuelle, une propagande de paix qui n’est pas accompagnée d’un appel à l’action révolutionnaire des masses ne peut que semer des illusions, corrompre le prolétariat en lui inculquant la confiance dans l’esprit humanitaire de la bourgeoisie et en faire un jouet entre les mains de la diplomatie secrète des pays belligérants. Notamment, l’idée suivant laquelle on pourrait aboutir à une paix dite démocratique sans une série de révolutions est profondément erronée ».
—« La Conférence des sections à l’étranger du POSDR »

L’International Socialist Organization (ISO), ancienne section américaine de la Tendance socialiste internationale, excommuniée par le SWP dans une querelle hiérarchique, participe au militantisme anti-guerre en milieu universitaire aux Etats-Unis. Le numéro du 25 octobre 2002 de l’organe de l’ISO, Socialist Worker, évoque « la poussée expansionniste de l’empire américaine », et note que « même les commentateurs de droite parlent dorénavant d’‘impérialisme’ ». L’article critique certains « ténors du mouvement anti-guerre » qui s’illusionnent que « l’impérialisme états-unien pourrait mener une guerre ‘juste’ dans certains cas, mais pas d’autres ».

Mais au lieu d’indiquer que la résistance irakienne à l’agression menée par les Etats-Unis, constitue une « guerre juste », l’ISO livre un discours social-pacifiste connu : « Les socialistes ont toujours joué un rôle de premier plan dans la lutte contre la guerre – et il n’y a aucune raison de faire autrement de nos jours ». En fait, les socialistes n’ont pas toujours « combattu la guerre ». Les bolchéviques n’ont pas mis de l’avant « la lutte contre la guerre », mais plutôt de « transformer la guerre impérialiste en guerre civile » – une lutte pour la révolution socialiste. Dans Le socialisme et la guerre Lénine écrit : « nous reconnaissons parfaitement la légitimité, le caractère progressiste et la nécessité des guerres civiles, c’est-à-dire des guerres de la classe opprimée contre celle qui l’opprime, des esclaves contre les propriétaires d’esclaves, des paysans serfs contre les seigneurs terriens, des ouvriers salariés contre la bourgeoisie ». Trotsky, quant à lui, a organisé l’Armée rouge qui a vaincu les Blancs et leurs alliés impérialistes « démocratiques », notamment les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Les authentiques socialistes prennent parti dans les cas où les impérialistes agressent un pays colonial ou néo-colonial – au lieu de déblatérer contre la guerre dans l’abstrait.

LICR: Ménager chèvre et chou

Le groupe britannique Workers Power, qui comme l’ISO est issu de la Tendance socialiste internationale, se présente comme alternative trotskyste conséquente à l’opportunisme du SWP. Workers Power, et ses camarades au sein de la Ligue pour une Internationale communiste révolutionnaire (LICR), a fait une déclaration en date du 23 septembre 2002:

« Nous cherchons à mettre fin à cette guerre par des mobilisations de masse qui ébranleront le système à ses fondements et renverseront les bellicistes. Il faut que ceci se produise avant tout au cœur des pays impérialistes. Au déclenchement de la guerre, nous devons lancer un appel sans équivoque pour la défaite totale de l’invasion impérialiste et la victoire à la résistance irakienne contre cette invasion.

« C’est le seul point de démarcation entre l’opposition révolutionnaire à la guerre de celle qui ne fait que revendiquer la ‘paix’ ou l’intervention ou la médiation de l’ONU. La gauche réformiste s’opposera à nous en prétendant que ça signifie un soutien à Saddam Hussein… ».

Jusque-là, tout va bien, mais à peine quelques semaines plus tard Workers Power a co-signé une déclaration en date du 8 septembre issue d’une rencontre préparatoire du Forum social européen qui précise que:

« Les voix qui se solidarisent avec le peuple Irakien n’ont aucune chance d’être entendues par la Maison Blanche. Mais nous avons encore la possibilité d’influencer les gouvernements européens puisque beaucoup sont opposés à cette guerre. Nous lançons donc un appel en direction de nos chefs d’État européens pour qu’ils prennent publiquement position contre la guerre, que celle-ci ait reçu ou non l’aval de l’ONU. Nous leur demandons également d’exiger que George Bush mette fin à ses préparatifs de guerre ».

Les gens quelque peu avertis pourraient bien se demander pourquoi des socialistes sérieux lanceraient un appel à « renverser » une bande de bellicistes impérialistes tout en leur adressant un appel de s’élever contre la guerre. Chez la LICR, la « tactique » est l’art de ménager chèvre et chou. Chez ces centristes, rien n’est plus important que d’éviter « l’isolement ». Donc, une fois que la LCR, le SWP et des dizaines de groupes staliniens, sociaux-démocrates, verts et autres petits-bourgeois ont signé cette déclaration, Workers Power ne voulait pas rester à l’écart. Trotsky connaissait bien ce genre de fourberie politique :

« L’accord entre les paroles et les actes est le trait caractéristique, significatif d’une organisation révolutionnaire sérieuse. C’est pourquoi les résolutions qu’elle prend à ses assemblées sont non pas de simples formalités, mais les résultats établis par des expériences qu’elle a accumulées dans l’action et sont un guide pour l’action à venir. Pour les centristes, une thèse « révolutionnaire » adoptée à une occasion solennelle n’a pour but que de servir de décoration trompeuse, de voile devant les divergences irréconciliables dans la période passée et à venir ».
—« Résolution sur la conférence de guerre du bureau de Londres » (op. cit.)

Le SWP est content de voir Workers Power embarqué dans sa « Stop the War Coalition » et leur laisse une place sur sa coordination. Workers Power constitue une aile gauche apprivoisée à laquelle on peut faire confiance de mener toute activité « révolutionnaire » avec discrétion et sans offenser. En saluant la manifestation éclatante du 28 septembre 2002 à Londres, Workers Power n’a pas dit un mot sur sa nature politique pacifiste ou l’absence de tout ce qui évoquerait un appel à la « défaite totale de l’invasion impérialiste et victoire à la résistance irakienne » qu’il prétend soutenir.

Un projet récent de « Manifeste pour la révolution mondiale » affiché sur le site Web LICR donne un indice de comment ces centristes cherchent à concilier leur participation, comme associés en second, sans voix, à un bloc bourgeois-pacifiste avec leur engagement proclamé défaitiste-révolutionnaire :

« Nous le faisons en construisant un large mouvement antiguerre fondé sur les organisations de masse de la classe ouvrière, et qui rallie les jeunes, les femmes, la classe moyenne progressiste et les communautés immigrées.

« Ce mouvement comptera fort probablement bon nombre de gens motivés par la religion ou par le pacifisme. Nous marcherons à leurs côtés contre la guerre des patrons, mais nous ne sommes pas pacifistes. Nous ne semons pas l’illusion qu’on pourra abolir la guerre sous le capitalisme… ».

On peut reconnaître sur le champ la vieille théorie « étapiste » si éculée. Au cours de la première étape, la LICR s’empresse de participer à la construction d’un mouvement « monstre » sur des fondements pacifistes-réformistes. Les prises de position anti-impérialistes dont la LICR serait partisane ne rallieront pas les masses qu’avec l’avènement d’une deuxième étape glorieuse dans un avenir indéfini. Sans doute, le SWP fournirait une explication semblable à ses jeunes partisans qui prennent encore sa rhétorique révolutionnaire au sérieux.

Les spartacistes basculent encore une fois

La Spartacist League/U.S. (SL) et ses affiliés au sein de la Ligue communiste internationale (LCI) mettent de l’avant une position défaitiste-révolutionnaire à l’égard de toute attaque impérialiste contre l’Irak. Il s’agit d’un renversement dramatique de leur avis en 2001, au cours de l’agression américaine contre l’Afghanistan, qu’une position défaitiste à l’égard des agresseurs impérialistes était « illusoire et n’était que du vent et de belles phrases ‘révolutionnaires’ ». (Workers Vanguard [WV], 9 novembre 2001). Ce qui va à l’encontre de l’observation de Lénine, c’est-à-dire:

« Dans une guerre réactionnaire, la classe révolutionnaire ne peut faire autrement que de souhaiter la défaite de son gouvernement.

« C’est là un axiome. Et il n’y a pour en contester la vérité que les partisans conscients ou les acolytes impuissants des sociaux-chauvins ».
—« De la défaite de son propre gouvernement dans la guerre impérialiste », 26 juillet 1915

À l’époque, la SL a rationalisé son rejet du défaitisme en prétendant qu’en Afghanistan, « aucun redressement n’est possible chez le Taliban » (WV, 9 novembre 2001). Mais maintenant, ils reconnaissent que « l’Irak néo-colonial n’est aucunement placé pour vaincre la machine de guerre impérialiste des Etats-Unis » (WV, 18 octobre 2002). Alors, pourquoi les deux lignes différentes? La direction de la SL penserait peut-être que l’hystérie provoquée par la destruction du World Trade Centre s’était assez calmée pour pouvoir risquer de s’identifier à la position léniniste sur les guerres néo-coloniales. Ce n’est pas la première fois où la SL aura fléchi à un moment critique (voir « Where is the ICL Going? » « Où va la LCI ? », 1917 no 24), et fort probablement, ce ne sera pas la dernière. Quant aux plaintes de la SL qu’on l’aurait traitée de lâche (voir WV, le 25 janvier 2002), c’est peut-être à eux de se demander pourquoi.

« Pas de milieu »

Au fond, l’offensive contre l’Irak n’est qu’un maillon dans une chaîne de luttes prédatrices pour une nouvelle division du monde entre les puissances impérialistes. La guerre est endémique au capitalisme et se poursuivra tant que le système mondial capitaliste est déraciné par la révolution sociale, ou la destruction de la civilisation humaine. Il est impossible de s’opposer aux guerres brutales néo-coloniales sans aborder la nature du système social qui les perpétue. On peut vaincre l’impérialisme – mais uniquement par la voie de la révolution sociale. Comme Lénine avait proclamé :

« Au lieu de permettre aux beaux parleurs hypocrites de tromper le peuple par des phrases et des promesses de la possibilité d’une paix démocratique, les socialistes doivent expliquer aux masses l’impossibilité d’une paix tant soit peu démocratique sans une série de révolutions et sans une lutte dans chaque pays contre leur propre gouvernement.

« Il n’y a pas de milieu. Et les protagonistes hypocrites (ou obtus) d’une politique de ‘ligne médiane’ causent le plus grand tort aux prolétaires ».
—« La Question de la paix », juillet–août 1915