La Libye et la gauche
OTAN, rebelles et apologistes « révolutionnaires »
En réaction à l’annonce de l’exécution de Mouammar Kadhafi, le président US Barack Obama, qui en 2009 participait à une séance photos à ses côtés, se félicitait : « travaillant en Libye avec des amis et des alliés, nous avons démontré ce que l’action collective peut accomplir au 21ème siècle ». Obama s’est montré particulièrement satisfait de la méthode employée : « Sans débarquer un seul membre de l’armée US, nous avons atteint nos objectifs », tout en laissant planer une menace contre d’éventuelles futures cibles militaires :
« Dans une remarque à l’intention des autres despotes de la région, le président a déclaré, “Les évènements d’aujourd’hui prouvent une fois de plus que le règne d’une main de fer arrive inéluctablement à sa fin”.
« Interrogé pour savoir si c’est un message envoyé au Syrien Bachar Al-Assad, actuellement engagé dans une répression brutale contre des manifestants, le porte-parole de la Maison Blanche Jay Carney a simplement réitéré l’actuelle politique selon laquelle Assad “a perdu sa légitimité pour diriger”. »
—New York Post, 21 octobre 2011
Le renversement du régime kadhafiste a pour origine militaire la campagne de bombardements longue de sept mois menée par l’OTAN et soutenue vigoureusement dès ses débuts par l’impérialisme français. En novembre 2011, Obama reconnaissait lui-même le rôle dirigeant joué par la France : « On n’aurait pas pu réussir en Libye sans l’initiative, sans le leadership de Nicolas Sarkozy et de l’Otan » (rtl.fr, 4 novembre 2011). Le journaliste israélien Orly Azoulay y voit la fusion de la « puissance aérienne massive » avec des « forces rebelles locales » :
« La mort du général Kadhafi est une victoire de plus pour la nouvelle doctrine de guerre adoptée par le président des Etats-Unis, Barack Obama : Pas de forces terrestres dans les pays ennemis, mais plutôt l’utilisation de la puissance aérienne massive—y compris des drones—, afin de pulvériser les citadelles ennemies. Dans le cas de la Libye, cette doctrine a aussi inclus une coopération avec des forces rebelles locales. »
—Ynetnews.com, 21 octobre 2011
C’est un bilan objectif des évènements survenus en Libye—la « puissance aérienne massive » a détruit les détachements armés fidèles à Kadhafi et ouvert la porte aux collaborateurs locaux pour se ruer et combler le vide politique nouvellement créé. Mais les choses ne se passent pas toujours comme prévu, et il est parfois plus facile de déposer un régime existant que d’imposer un successeur viable, comme l’a constaté l’OTAN en Afghanistan il y a une décennie.
En Libye comme en Afghanistan, le résultat immédiat du « changement de régime » consista à installer au pouvoir de nouveaux chefs fantoches liés à l’impérialisme. Le président afghan, Hamid Karzaï—désigné dirigeant du pays en décembre 2001 lors d’une conférence à Bonn—, travaillait pour la CIA comme collecteur de fonds destinés aux moudjahidines antisoviétiques vingt ans auparavant. Le nouveau premier ministre de la Libye, Abdel Rahim Al-Kib, possède la citoyenneté américaine, a fait ses études aux Etats-Unis et a enseigné à l’Université d’Alabama avant de déménager aux Emirats arabes unis pour présider le Département du génie électrique à l’Institut du pétrole, où ses recherches se trouvaient en partie financées par le Département de l’Energie des Etats-Unis. Avec un tel parcours, il semblait qualifié pour surveiller la restitution des champs pétrolifères et de gaz (nationalisés sous Kadhafi au début des années 1970) sous contrôle occidental.
Pour la défense militaire des néocolonies contre les attaques impérialistes !
Les marxistes, au contraire des sociaux-démocrates, défendent inconditionnellement le droit des nations semi-coloniales à résister aux prédations des puissances « capitalistes avancées ». En 1956, les révolutionnaires soutenaient l’Egypte contre une intervention collective britannique/française/israélienne pour annuler la nationalisation du Canal de Suez. Lorsque les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et le Canada suivis d’autres alliés agressèrent la Serbie en 1999 et l’Afghanistan en 2001 (tout comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en Irak deux ans plus tard), les marxistes choisirent leur camp—en dépit du caractère réactionnaire des régimes dirigés par Slobodan Milosevic, Mollah Omar et Saddam Hussein.
L’agression contre la Libye, au même titre que les interventions militaires antérieures en Serbie, Afghanistan et Irak, fut précédée de la propagation d’une montagne de mensonges—en l’occurrence une prétendue boucherie de masse perpétuée par le régime Kadhafi à la suite d’une manifestation intitulée « Journée de colère » en date du 17 février 2011. La source principale de ces affirmations se nommait Al Jazeera, agence de presse gérée par les dirigeants du Qatar, fournisseurs d’armes et de centaines de soldats pour venir en aide aux insurgés. Les récits angoissants sur les « massacres » de civils par les forces aériennes libyennes relèvent de la propagande et sont grossièrement exagérés.
Le 2 mars 2011, deux semaines avant les premiers bombardements, l’amiral Mike Mullen, président du Comité des chefs d’Etats-majors interarmées américain, faisait part à un sous-comité du Congrès « que le Pentagone n’a aucune confirmation que l’homme fort libyen Mouammar al Kadhafi utilise son armée de l’air pour tuer des civils » (CBS News, 2 mars 2011). Le 22 mars 2011, une fois le pilonnage impérialiste meurtrier contre la Libye entamé, paraissait dans USA Today un article signé par Alan Kuperman de l’Université de Texas notant que, « Malgré l’omniprésence des téléphones portables munis d’appareil photo, il n’y a pas la moindre image de violence génocidaire, affirmation qui sent fortement la propagande rebelle ». Deux semaines plus tard Richard Haass, président du Council on Foreign Relations américain, jugeait que « rien ne prouve qu’un massacre de grande envergure, voire un génocide, était probable ou imminent » en Libye (Huffington Post, 6 avril 2011).
Il est maintenant clair qu’il n’y a pas plus de « génocide » en Libye qu’il n’y eut d’« armes de destructions massives » irakiennes en 2003. Justifier une agression militaire par le mensonge est une pratique séculaire. Comme l’a rappelé Adolf Hitler à ses hauts commandants le 22 août 1939, durant les préparatifs militaires précédant l’envahissement de la Pologne :
« Je vais donner un prétexte de propagande pour commencer la guerre, qu’il soit vraisemblable ou non. On ne demandera pas au vainqueur s’il a dit la vérité. Dans la guerre, ce n’est pas l’honnêteté qui importe, mais la victoire. »
—cité dans Hitler and Stalin, Alan Bullock
Le parallèle libyen est frappant. Personne dans les médias bourgeois ne semble le moins du monde se soucier de vérifier la véracité des récits sur les massacres de civils par le régime, lesquels ont pourtant légitimé l’intervention militaire.
Le Conseil de sécurité de l’ONU, « préoccupé » par le bien-être des Libyens, exploita ces machinations pour justifier l’imposition de sanctions, le gel des avoirs libyens à l’étranger et la création d’une « zone d’exclusion aérienne ». Cette dernière a permis l’intervention aérienne de l’OTAN dans ce qui était jusque-là une guerre civile entre le régime Kadhafi et des dissidents pro-impérialistes basés à Benghazi. Le bombardement par l’OTAN commencé, la question de la souveraineté libyenne était clairement posée, et la nature du conflit changea : la lutte armée entre différentes tribus se transforma en un combat opposant un régime néocolonial à une coalition d’impérialistes et leurs laquais. Les révolutionnaires prennent toujours, et sans exception, le parti militaire des forces néocoloniales résistant à l’agression impérialiste.
Les estimations du nombre de victimes provoquées par les 9 600 sorties de bombardiers « humanitaires » au service de l’OTAN, d’avril à octobre 2011, varient considérablement, mais on s’accorde généralement sur le fait que des milliers de Libyens ont trouvé la mort (principalement des civils) tout comme des milliers d’autres ont été gravement blessés. Les bombes larguées par des avions français, britanniques et autres ont détruit une bonne partie des infrastructures du pays et jeté sur la route une partie de la population fuyant la terreur. Le prétexte à ce carnage perpétué au nom de la « protection » des civils est démenti par l’indifférence désinvolte affichée par l’OTAN sur le sort des victimes de la guerre aérienne menée par ses propres soins.
Après des mois de combats féroces, l’effet cumulatif du bombardement impérialiste (complété par les milices d’opposition encadrées par des centaines de forces spéciales étrangères) a décimé l’armée de Kadhafi. Plusieurs sources affirment que les forces autochtones les plus efficaces se composaient de troupes islamistes en partie inféodées à Al Qaeda. Pour la plupart, néanmoins, les « rebelles» ne représentaient pas une réelle menace pour le pouvoir, leur capacité se limitant principalement à attirer le feu des forces de Kadhafi, lesquelles se rendaient dès lors détectables pour des frappes aériennes de l’OTAN. Le rôle des combattants anti-Kadhafi, comme ceux des politiciens du Conseil national de transition (CNT), qui dès l’origine ont bénéficié de l’appui des impérialistes, consiste à coller un visage libyen au « changement de régime ».
La « Journée de colère » du 17 février 2011, donnant le coup d’envoi à la « rébellion » contre Kadhafi, était initiée par la Conférence nationale pour l’opposition libyenne (CNOL). Comme nous l’avons documenté dans « Défense de la Libye contre l’agression de l’OTAN ! Pour la défaite des impérialistes ! » (1917, édition française, n° 6), les fondateurs de la CNOL se composaient principalement d’individus connus pour leurs liens étroits avec la CIA. Le CNT, issu de la CNOL, en a donc profité pour consolider ses attaches avec l’impérialisme. Le 10 mars 2011, Sarkozy accueillait au Palais de l’Elysée une délégation de « rebelles » benghaziens du CNT, immédiatement reconnu comme seul représentant légitime du peuple libyen. D’après Bernard-Henri Lévy (BHL), servant d’intermédiaire entre le président et le CNT, Sarkozy accepta d’armer les rebelles :
« Dès le 29 mars, BHL rapporte à Nicolas Sarkozy une discussion qu’il a eue avec le Premier ministre du CNT, Mahmoud Jibril: “Les armes françaises arrivent, les instructeurs aussi. J’ai l’impression que les choses avancent”. Réponse du président: “C’est vrai (…). On n’était pas sûrs qu’ils avaient les moyens de leur fougue et on a donc dû les stopper. Pas assez d’armes, mais pas assez de formation non plus”.
« Cette aide militaire prendra un nouveau tournant avec une visite à Paris le 13 avril d’Abdel Fatah Younès, le chef militaire des rebelles et ancien ministre de l’Intérieur de Kadhafi. Il sera assassiné le 28 juillet à Benghazi, dans des circonstances troubles.
« Ce 13 avril à minuit, dans un palais de l’Elysée déserté, BHL amène discrètement à Nicolas Sarkozy Abdel Fatah Younès et d’autres chefs militaires rebelles. Le président rappelle l’aide militaire déjà fournie par ou via le Qatar, et les instructeurs français déjà sur le terrain. Puis il dit: “Vous avez besoin de quoi au juste ? ”
« Un participant lui tend une liste: “Cent 4X4 blindés… du 12,5 et du 14,5… du matériel de transmission… deux cents talkies-walkies plus deux bases et, si possible trois… un minimum de cent pick-up, de sept à huit cents RPG7… mille kalachnikovs… quatre et si l’on peut, cinq Milan lance-missile… ” »
—Agence France Presse, 7 novembre 2011
Les forces françaises ont largué une grande partie de ce matériel en Libye :
« Constatant, au début du mois de mai, le risque d’impasse militaire, la France a décidé de procéder directement à des parachutages d’armes dans le Djebel Nefousa : lance-roquettes, fusils d’assaut, mitrailleuses et surtout missiles antichars Milan. Jusque-là, les armes acheminées aux rebelles provenaient du Qatar et d’autres émirats du Golfe. Elles étaient convoyées par avion à Benghazi, siège du Conseil national de transition (CNT) à l’Est, puis par bateau jusqu’au port de Misrata, ville côtière prise en étau par les forces loyales au régime. »
—Le Figaro, 29 juin 2011
Des « rebelles » autochtones armés ont agi en lieu et place des troupes étrangères dans une campagne militaire impérialiste menée essentiellement depuis le ciel par l’OTAN. Les marxistes prônent la même attitude face à ces mandataires ou leurs maitres impérialistes.
Marxisme contre social-impérialisme
Dans une brochure de 1915 intitulée, « Le socialisme et la guerre », le grand révolutionnaire russe Vladimir Lénine stipulait que dans le cas d’attaques militaires impérialistes (sous couverts « humanitaires », « démocratiques » ou autres) contre des pays néocoloniaux, « tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des Etats opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les “grandes” puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices ». Il n’y a sur ce sujet aucune ambiguïté : les révolutionnaires se placent du côté militaire des pays opprimés contre les attaques impérialistes sans égard pour les crimes (réels ou imaginés) des régimes en place. Lorsque Mussolini agressait l’Ethiopie en 1935, Léon Trotsky remarquait : « Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l’Italie et pour la victoire de l’Ethiopie » (« Le conflit italo-éthiopien », 17 juillet 1935). Le fait que l’esclavage persistait sous le régime d’Hailé Sélassié était dans ce cas présent d’aucune importance :
« Si Mussolini l’emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l’impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l’impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir. »
—« A propos des dictateurs et des hauteurs d’Oslo », 22 avril 1936
Il n’est pas surprenant que les réformistes déclarés du Parti socialiste (PS) aient soutenu pleinement la guerre de l’OTAN en Libye. En effet, ils se présentaient comme plus déterminés que Sarkozy à renverser le régime Kadhafi :
« Benoît Hamon, porte-parole, a réaffirmé en point presse ce matin que le PS soutenait les objectifs de la résolution de l’ONU. “Nous soutenons ces objectifs que nous avons défendus avant même qu’ils soient adoptés par le Conseil de sécurité de l’ONU, avant le gouvernement de Nicolas Sarkozy lui-même” a-t-il indiqué.
« Il a exprimé le vœu des socialistes “que cette intervention militaire, coordonnée par les alliés, permette de modifier le rapport de force sur le terrain” en vue de déboucher sur le départ de Kadhafi. “Et qu’en l’occurrence les Libyens puissent recouvrer leur capacité à décider pour eux-mêmes et à obtenir la liberté et la souveraineté nationale et populaire” a-t-il développé. “Des militaires français sont sur le terrain. Nous pensons aussi à eux et à leurs familles qui assument cette intervention” a-t-il conclu. »
—www.parti-socialiste.fr, 21 mars 2011
Le Front de gauche (une alliance du Parti communiste français [PCF], Parti de gauche, Gauche unitaire et d’autres petites formations) a lui aussi approuvé la campagne impérialiste contre la Libye. A la question « Pourquoi soutenez-vous les frappes aériennes en Libye ? », Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle pour le Front de gauche, répond : « La première question à se poser est la suivante : y a-t-il un processus révolutionnaire au Maghreb et au Moyen-Orient ? Oui. Qui fait la révolution ? Le peuple. Il est donc décisif que la vague révolutionnaire ne soit pas brisée en Libye » :
« J’ai voté la résolution du Parlement européen en accord avec la direction du PCF et de la Gauche unitaire, en accord avec mon collègue eurodéputé communiste Patrick Le Hyaric. Mais quelles sont les alternatives ? Ce n’est pas avec des communiqués que l’on pourra abattre un Mirage ou détruire un char ! Si le Front de gauche gouvernait le pays, aurait-il regardé la révolution libyenne se débattre comme nos prédécesseurs ont regardé les révolutionnaires espagnols mourir ? Non. Serions-nous intervenus directement ? Non. Nous serions allés demander à l’ONU un mandat. Exactement ce qui vient de se faire. Je peux appuyer une démarche quand l’intérêt de mon pays coïncide avec celui de la révolution. »
— Libération, 21 mars 2011
La victoire de l’OTAN sur Kadhafi ouvre la voie à de futures agressions impérialistes en Afrique et au Moyen-Orient.
Rationaliser un soutien aux auxiliaires impérialistes
La plupart des groupes prétendument révolutionnaires montrent moins de franchise que les sociaux-impérialistes déclarés du PS ou du Front de gauche sur le rôle central de l’OTAN dans le conflit et sont indisposés pour expliquer la logique fondamentale de leur position. Ils emploient diverses combinaisons de déformation des faits, d’illogismes et de supplications spécifiques dans des efforts maladroits pour maintenir un semblant d’orthodoxie « anti-impérialiste » tout en soutenant les mandataires « rebelles » de l’OTAN, qu’ils assimilent à tort aux jeunes responsables de la chute des dictateurs pro-impérialistes haïs de Tunisie et d’Egypte. Plutôt que de défendre sans ambigüité la victoire militaire des forces de Kadhafi, ces révisionnistes soutenaient les fantoches de l’OTAN (ou le prétendu « processus révolutionnaire » qu’ils ont dirigé) ou, au mieux, adoptait ce qui se réduit à une position de neutralité. Ce faisant, ils tournent le dos à l’anti-impérialisme de l’Internationale communiste sous Lénine et Trotsky.
Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) publia une déclaration le 21 août 2011 affirmant que les évènements en Libye marchaient sur les traces des « processus révolutionnaires en cours en Tunisie et en Egypte ». Sans explication, le NPA affirma que « sous couvert d’une résolution de l’ONU, un mois plus tard, les pays membres de l’OTAN ont voulu s’accaparer le processus en cours par une intervention militaire aérienne ». En mars 2011, le NPA cosignait une déclaration commune avec le PCF, le Parti de gauche et Europe Ecologie-les Verts exigeant la « Reconnaissance du Conseil national de transition intérimaire, seul représentant légitime du peuple libyen », ce que Sarkozy leur accorda volontiers. Une fois l’objectif de l’OTAN d’abattre Kadhafi atteint, le NPA nous apprenait que :
« La chute du dictateur Kadhafi est une bonne nouvelle pour les peuples. Le NPA est entièrement solidaire du processus révolutionnaire qui continue dans la région arabe. Pour achever ce processus les peuples auront besoin de vaincre les deux visages de la contre révolution : celui des dictatures, à commencer par celle de Bachar al Assad en Syrie, et celui de la confiscation de leur destin par les puissances impérialistes.
« C’est une nouvelle vie qui s’ouvre pour le peuple libyen. La liberté, les droits démocratiques, l’utilisation des richesses dues aux ressources naturelles pour la satisfaction des besoins fondamentaux du peuple sont maintenant à l’ordre du jour. »
—« Kadhafi tombé, aux populations de décider ! », communiqué du NPA, 21 août 2011
L’affirmation absurde selon laquelle le renversement du régime Kadhafi par l’OTAN et ses alliés serait une « bonne nouvelle » pour le peuple libyen qui bénéficierait désormais de « l’utilisation des richesses dues aux ressources naturelles pour la satisfaction des besoins fondamentaux du peuple » démontre le caractère creux de la prétendue « opposition » du NPA à l’attaque de l’OTAN, laquelle n’avait d’autre but que d’installer au pouvoir les rebelles que le NPA a soutenus à tort comme « révolutionnaires ».
La Tendance marxiste internationale (TMI) ultra-opportuniste, qui publie La Riposte et milite au sein du PCF et du Front de gauche, s’est prononcée elle aussi contre le bombardement de la Libye. Mais la TMI a aussi offert un appui des plus absolus aux alliés benghaziens de l’OTAN :
« [Frederick] Engels a expliqué que l’Etat se compose des groupes d’hommes armés. A Benghazi et dans d’autres villes contrôlées par les rebelles, le vieil Etat n’existe plus. Il a été remplacé par le peuple armé, des milices révolutionnaires, lesquelles pour Lénine étaient l’embryon d’un nouveau pouvoir d’Etat. »
—« Uprising in Libya: Tremble, tyrants! », 23 février 2011
La TMI minimisait toutes les informations faisant état d’un soutien d’une zone « d’exclusion aérienne » et a préféré mettre en valeur l’opposition formelle du CNT à une intervention militaire étrangère :
« D’après Al Jazeera, Abdel Fatah Younès, l’ex-ministre de l’intérieur de la Libye passé à l’opposition, affirme que l’idée que le peuple accueillerait favorablement des troupes étrangères était “hors de question”.
« Ceci a été confirmé par Hafiz Ghoga, porte-parole du “Conseil national libyen” [savoir, CNT] nouvellement formé qu’on a établi à Benghazi. Ghoga aurait dit : “Nous sommes complètement opposés à une intervention étrangère. Le reste de la Libye sera libéré par le peuple…et les forces de sécurité de Kadhafi seront éliminées par le peuple de Libye”. »
—« No to imperialist intervention in Libya », 1 mars 2011
La position initiale du CNT d’opposition à une intervention occidentale trouve sa motivation dans le désir de consolider un soutien populaire et de réfuter l’accusation (essentiellement exacte) du régime, selon laquelle les leaders de la révolte roulaient de connivence avec des intérêts étrangers, dont l’objectif principal consistait en la réappropriation des ressources en combustibles fossiles de la Libye. Au cours des premières semaines, plusieurs figures éminentes du gouvernement (dont les ministres de la justice et de l’intérieur) ont fait défection, et il est probable que les rebelles de Benghazi, avec leurs alliés, espéraient que le régime apparemment miné de l’intérieur imploserait tout simplement. Dans une telle éventualité ils disposaient d’une plus grande autonomie pour restructurer la société libyenne sans surveillance étrangère. Mais une fois leur stabilité retrouvée, les forces loyalistes de Kadhafi marchèrent sur Benghazi. Saisi d’effroi, le CNT renia ses précédentes positions et réclama désespérément une couverture aérienne de l’OTAN.
Le Comité pour une Internationale ouvrière (CIO—duquel la TMI a fait scission en 1992), dont la section française est Gauche Révolutionnaire (GR), a lui aussi dépeint le soulèvement de Benghazi comme une « révolution », tout en avertissant qu’elle puisse être « détournée par des vestiges du régime Kadhafi, des “leaders” d’opposition pro-bourgeois, des chefs tribaux réactionnaires et les intérêts impérialistes » (« Gaddafi must go! It’s a fight to the finish », 28 février 2011). Quelques semaines plus tard, le CIO/GR dénonçait la zone « d’exclusion aérienne » onusienne comme intervention militaire impérialiste :
« Même si elle a été fêtée avec joie dans les rues de Tobruk et de Benghazi, la décision du Conseil de sécurité de l’ONU de décréter une “no fly zone”, une zone d’exclusion aérienne, n’a pas été prise dans le but de défendre la révolution libyenne. Les révolutionnaires libyens peuvent penser que cette décision va les aider, mais ils se trompent. Des calculs économiques et politiques se trouvent derrière les décisions des puissances impérialistes, il ne s’agit pas de sauver la révolution contre Kadhafi. »
—« Libye: Non à l’intervention militaire occidentale ! Victoire à la révolution libyenne! Construisons un mouvement indépendant des travailleurs et des jeunes ! », 20 mars 2011
Tout en reconnaissant que « Le “Conseil National” qui a émergé à Benghazi, très largement un conseil autoproclamé, est une combinaison d’éléments du vieux régime et d’éléments pro-impérialistes » (idem.), le CIO a continué de saluer la prétendue « révolution libyenne » menée par le CNT.
Une pratique commune aux révisionnistes (y compris ceux qui dénoncèrent avec le plus de véhémence la campagne de bombardements de l’OTAN) est la tentative de distinguer le CNT, reconnu et légitimé comme seul et unique dirigeant du mouvement dès le début des hostilités, de la « révolution » ou du « processus révolutionnaire ». Le Groupe Bolchevik en est l’expression parfaite :
« Les impérialismes français, américain et britannique ont propulsé un gouvernement à eux, autoproclamé, le “Conseil national de transition” (CNT). Il s’agit à la fois d’empêcher la révolution (dans le pays et dans la région) et de s’emparer d’une part plus grande des ressources naturelles (au détriment des autres puissances impérialistes, en particulier l’Allemagne et la Chine). »
. . .
« Le soulèvement en Libye est un prolongement des révolutions qui ont chassé Ben Ali et Moubarak de Tunisie et d’Égypte. Mais en Libye, le prolétariat est majoritairement étranger (2,5 millions d’immigrés pour une population de 6 millions de Libyens), aucune organisation ouvrière de taille significative n’existait et aucune lutte des salariés n’a précédé le soulèvement…
« Faute d’organisations ouvrières, syndicats, partis, soviets, l’espace était largement ouvert à des fractions de la bourgeoisie opposées – de longue date ou tout récemment– à Kadhafi. Elles formèrent ainsi le CNT. »
—Révolution Socialiste n° 36 (novembre 2011)
La Tendance CLAIRE, qui opère au sein du NPA, a elle aussi défendu l’idée d’une révolution détournée :
« Lorsque les émeutes ont éclaté au début de l’année, il s’agissait d’une vaste mobilisation populaire contre la dictature de Kadhafi, un processus révolutionnaire naissant dans le prolongement de ceux de Tunisie ou d’Égypte. Les insurgés, massivement, refusaient toute intervention impérialiste. Mais les dirigeants auto-proclamés (ou plutôt adoubés par les impérialistes) de l’insurrection ont non seulement décidé de faire appel à l’aide des impérialistes, mais se sont placés sous leur commandement. Les milliers de combattants qui s’étaient engagés dans la rébellion pour renverser le dictateur Kadhafi comme en Tunisie et en Égypte, les milliers qui les ont rejoints ensuite dans chaque ville dans le même but au fur et à mesure que la guerre civile s’étendait, n’avaient pas de programme révolutionnaire. C’est pourquoi l’OTAN et ses alliés du CNT (Conseil National de Transition, comprenant à la fois des “démocrates” libéraux, des chefs de tribus, d’ex-dignitaires du régime et des islamistes réactionnaires) ont pu jouer un rôle considérable dans le conflit… »
—Au CLAIR de la lutte n° 9 (hiver 2011-2012)
Une autre minorité de gauche dans le NPA, le Courant Communiste Révolutionnaire (CCR), lié à la Fraction Trotskyste-Quatrième Internationale, a pareillement affirmé que ce qui débuta comme soulèvement spontané le 17 février 2011 connut plus tard son accaparement par des forces réactionnaires :
« Il y avait une possibilité pour que le soulèvement populaire né à Benghazi le 17 février dans le sillage du printemps arabe et de la chute de Ben Ali et Moubarak s’étende à l’ensemble du pays et renverse de façon autonome la dictature de Kadhafi, ce qui aurait ouvert des perspectives bien différentes pour le pays. Dans un premier temps d’ailleurs, avant la reprise en main de la rébellion populaire par le CNT avec un programme économique et social calqué sur celui du Guide, le soulèvement de la jeunesse et les classes populaires avait réussi à secouer fortement le régime, jusqu’à Tripoli même. L’absence de rôle social du mouvement ouvrier organisé dans cette première phase du soulèvement, pire encore même, la violente mise au pas des travailleurs immigrés qui représentent la grande majorité du prolétariat en Libye, a compromis cette possibilité. »
—Révolution Permanente n° 2 (septembre 2011)
Il ne fait aucun doute que les mobilisations de masse en Tunisie et Egypte ont trouvé un écho en Libye, et sans conteste la plupart de ceux qui manifestaient contre Kadhafi se voyaient participer à une révolte inspirée par le renversement de Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak. Mais il est également indiscutable que la « Journée de colère » du 17 février 2011 qui amorça le soulèvement de Benghazi est à l’initiative du CNOL, dont la fondation revient à des « dissidents » libyens liés de longue date avec la CIA.
Il n’y a pas eu, en réalité, de « Révolution libyenne »—la révolte de Benghazi est, fondamentalement, l’expression et le résultat d’une division larvée s’étirant sur des années entre les élites dirigeantes traditionnelles, et dans laquelle un amalgame instable de monarchistes et d’ex-loyalistes kadhafistes (rejoints par des cadres du Groupe islamique combattant en Libye) ont souhaité s’emparer du pouvoir par la force. Leur révolte a tiré profit d’une profonde colère et d’un ressentiment populaire, et la plus grande partie des sympathisants du CNT s’imaginaient probablement participer à un autre chapitre du « Printemps arabe » qui renversait des dictateurs régionaux. Mais en réalité la nature de la révolte en Libye avait dès son origine un caractère différent, ce qui explique l’appui enthousiaste de Washington, Paris et d’autres capitales de l’OTAN.
Pas de neutralité face à l’impérialisme
Le CCR a rejeté l’idée que les « rebelles » CNT soient des révolutionnaires d’aucune sorte :
« Le parti [NPA] d’autre part n’a pas défendu de position anti-impérialiste conséquente puisqu’il s’est prononcé pour le soutien militaire aux “rebelles”, alors même que les “insurgés” agissaient dès le mois de mars comme les troupes au sol de l’aviation de l’OTAN. »
— Révolution Permanente n° 2 (septembre 2011)
Non seulement le CCR a refusé son soutien militaire aux « rebelles », il s’est également prononcé contre la campagne de bombardements de l’OTAN et a aussi suggéré que le renversement de Kadhafi par les impérialistes n’était aucunement la « bonne nouvelle » que nous présentait le NPA. Même s’il déclare dans l’abstrait que les révolutionnaires se battent « résolument pour la défaite de notre impérialisme », le CCR, à notre connaissance, n’a pas pris part dans ce conflit, c’est-à-dire qu’il n’a pas revendiqué la victoire militaire du régime Kadhafi contre l’OTAN et ses mandataires locaux. La défense de Kadhafi est certes impopulaire, mais elle reste la seule position qui ne se réduise pas à une neutralité pacifiste face aux agressions impérialistes contre une néocolonie.
D’autres groupes ont revendiqué plus ou moins clairement leur neutralité. Bien que dénonçant la campagne de bombardements impérialistes et soutenant que « Nous avons intérêt à la défaite des impérialistes », l’OCML-Voie Prolétarienne maoïste a avoué : « Nous refusons de choisir entre la guerre réactionnaire menée par l’OTAN et le régime pourri de la Jamahiriya libyenne (le régime libyen) » (« A bas l’intervention armée contre la Libye ! », non daté). Les gauchistes du Courant Communiste Internationale (CCI) ont tenté de leur côté des efforts désespérés pour masquer leur neutralité à travers un verbiage pseudo-révolutionnaire :
« Etre solidaire de tous ceux qui tombent aujourd’hui sous les balles, ce n’est pas soutenir le régime de Kadhafi, ni les “rebelles”, ni la coalition onusienne ! Il faut au contraire dénoncer tous ceux-là comme des chiens impérialistes !
« Etre solidaire, c’est choisir le camp de l’internation-alisme prolétarien, lutter contre nos propres exploiteurs et massacreurs dans tous les pays, participer au développement des luttes ouvrières et de la conscience de classe partout dans le monde ! »
—Révolution Internationale n° 421 (avril 2011)
Lutte ouvrière (LO), un autre groupe essentiellement neutre, note avec raison que la « rébellion » libyenne était de nature différente que les soulèvements de Tunisie et d’Egypte :
« Si, dans le cas de la Tunisie et de l’Égypte, on pouvait parler de possibilités de développement révolutionnaire, cela n’a pas été le cas en Libye où, dès leurs débuts, les affrontements étaient orientés vers les aspects tribaux. Instruites par le développement de la révolte en Tunisie et en Égypte, les puissances impérialistes sont aussitôt intervenues pour favoriser la mise en place d’un appareil d’État susceptible de se substituer à celui de Kadhafi. »
—Lutte de Classe n° 140 (décembre 2011)
Avec l’intervention de l’OTAN, un des camps du conflit intertribal (à savoir les rebelles de Benghazi) est devenu un auxiliaire des impérialistes. On se devait dès lors d’exiger sa défaite. LO écrit que « L’intervention militaire de l’impérialisme a débarrassé le pays de Kadhafi, mais les classes populaires n’ont certainement pas à s’en féliciter » (Lutte de Classe n° 138, septembre-octobre 2011). Mais LO n’a pas soutenu le camp militaire du régime Kadhafi contre les impérialistes, adoptant plutôt une opposition quasi pacifiste (et pseudo anti-impérialiste) à la campagne de bombardements.
Il est impossible de s’opposer à l’impérialisme sans également soutenir militairement (mais non politiquement) ceux qui résistent aux tentatives de réimposer une domination néocoloniale, si rebutants que soient leurs dirigeants. Cette ligne politique, en provenance de la Troisième Internationale (Communiste) sous Lénine et maintenue par la Quatrième Internationale des années 1930 et 1940, garde aujourd’hui toute sa validité pour les raisons évoquées par Trotsky voilà plus de 70 ans :
« La lutte des peuples opprimés pour l’unité nationale et pour l’indépendance a, d’un double point de vue, un caractère progressiste : d’une part, elle prépare pour eux-même[s] des conditions de développement plus favorables ; d’autre part, elle porte des coups à l’impérialisme. De là découle, en particulier, que, dans la lutte entre une république impérialiste démocratique et civilisée et une monarchie barbare et arriérée régnant dans un pays colonial, les socialistes seront entièrement du côté du pays opprimé, malgré la monarchie, contre le pays oppresseur, malgré sa “démocratie”.
« L’impérialisme dissimule ses objectifs, à savoir la conquête de colonies, de marchés, de sources de matières premières, de zones d’influence, derrière les idées de “défense de la paix contre les agresseurs”, de “défense de la patrie”, “défense de la démocratie”, etc. Ces idées sont totalement mensongères. Le devoir d’un socialiste n’est pas de les soutenir, mais de les démasquer aux yeux du peuple. »
—« Lénine et la guerre impérialiste », 30 décembre 1938
—adapté de 1917, édition anglaise, n° 34, 2012