Une symétrie macabre
Ernest Mandel contre la Spartacist League
Réimprimé ci-dessous est le texte traduit d’un tract de langue anglaise distribué le 11 novembre 1994 lors du débat à New York entre Ernest Mandel du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale et Joseph Seymour de la Spartacist League des Etats-Unis. L’événement a attiré environs 400 personnes, un nombre respectable pour une assemblé de gauche à New York ces temps-ci, mais elle s’est prouvée néanmoins une déception pour presque tout le monde qui assistait.
Le camarade Mandel a paru fatigué et en mauvaise santé physique. Son comportement a suggéré qu’il participait sous protestation. Sa présentation errante était courte en termes de contenu programmatique, mais pleine de généralités concernant la lutte de classe internationale et la nécessité d’exercer une influence de masse si on veut changer l’histoire. Il a avancé la notion que la situation globale actuelle était une de blocage dans lequel ni la classe ouvrière ni la bourgeoisie soient capable de livrer des coups décisifs. Plusieurs intervenants ont indiqué que telle perspective s’accorde bien avec la dissolution progressive du Secrétariat unifié dans le marais social-démocratique de gauche. Un des rares attaques polémique que Mandel a livré contre la SL était l’affirmation ridicule que la défense du droit de l’Union soviétique de posséder ses propres armes nucléaires était, d’une façon ou d’une autre, équivalente à plaider en faveur de la guerre nucléaire.
Camarade Seymour a répondu pour la SL avec une litanie de liquidations, d’adaptations, d’hallucinations et de trahisons du Secrétariat unifié. Où la présentation de Mandel avait été bourrée d’allusions vagues à l’histoire, l’exposé de Seymour, d’habitude analytique et persuasif, avait un ton quelque peu criard et un caractère déclamatoire. A plusieurs points il a évoqué les meurtres de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht par la social-démocratie allemande, suggérant une parallèle avec l’adaptation de Mandel à la contre-révolution en Europe de l’est. Il a paru bizarre que l’intellectuel principal de la SL ait adressé à peine la méthodologie politique objectiviste qui sous-entend la longue série d’adaptations liquidationnistes constituant l’histoire politique de Mandel. Il était presque comme s’il avait voulu démontrer qu’il n’était pas un de ces types bourgeois littéraires insignifiants actuellement sous attaque dans les publications de la Spartacist League.
Les partisans du Secrétariat unifié qui ont pris la parole pendant la période de discussion ont paru fatigués, désorganisés et déprimés – un spectacle triste et pitoyable. Beaucoup d’entre eux étaient des citoyens aînés, vieux militants autrefois trotskystes repoussés par un Socialist Workers Party ayant abandonné le trotskysme et en paroles et dans le fait, qui ont paru soit indifférents à la critique de leur pratique politique soit incapables de défendre le bilan politique de leur courant international. Steve Bloom, un des cadres principaux des mandéliens à New York, a affirmé que la chronique de manoeuvres opportunistes échouées et de zigzags politiques du Secrétariat unifié était l’évidence de sa santé politique. Le seul argument politique sérieux avancé par le Secrétariat unifié que Seymour ne pouvait pas nier—parce qu’il est vrai—était l’observation que la SL est seulement disposé à participer dans les actions communes (fronts unis) avec d’autres groupes de gauche lorsqu’elle a le contrôle organisationnel complet.
Si les intervenants du Secrétariat unifié faisaient pitié, les intervenants de la SL n’ont fait guère meilleure impression. Ceci est assez révélateur, car le débat anticipé avec le Karl Kautsky de la fin du vingtième siècle avait été au centre d’une préparation interne considérable. Celle-ci était l’occasion rêvée pour la SL à se réinventer comme l’organisation en bonne santé, dynamique et répolitisée telle que réclamée dans les pages du dernier numéro de la revue Spartacist. Mais cette impression n’a guère été transmise par la plupart des intervenants pour la SL. Leurs interventions avaient une qualité préemballée et leur indignation a paru forcée. Les longues années des discours « nous sommes le parti » dans les petites salles pleines de convertis n’ont évidemment peu fait pour aiguiser leurs aptitudes politiques.
La réunion est presque descendue dans le chaos lors des sommaires quand Mandel, piqué par les accusations de son adversaire, a commencé une interruption prolongée. Seymour lui a crié de « se taire » mais Mandel a continué à bavarder et a suggéré que la SL puisse envoyer ses fiers à bras pour lui enlever de la scène. Plusieurs individus dans l’audience ont commencé à chahuter et un particulièrement persistant a été enlevé par le service d’ordre de la Spartacist League.
Nous sommes contents que deux de nos camarades ont eu l’occasion de prendre la parole et d’exposer les faux-trotskystes de la Spartacist League et du Secrétariat unifié pour leurs réponses au triomphe de la contre-révolution dans le bloc soviétique. Mais dans l’ensemble l’événement avait un air quelque peu dégénéré. Mandel, caractérisé autrefois par la SL comme possédé d’un « esprit agile » et d’une « érudition impressionnante », a présenté un spectacle assez triste. La SL, pour sa part, ne peut guère revendiquer autre chose qu’une victoire par défaut.
Le texte de notre tract suit.
Il est quelque peu curieux qu’Ernest Mandel a choisi de débattre la Spartacist League au moment où sa perspective politique entière a été prouvé une faillite. Pendant plus de quarante ans le théoricien principal du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale a tenté d’adapter le trotskysme aux diverses forces non prolétariennes (et même réactionnaires), allant de staliniens indépendants comme Tito, Ho Chi Minh et Che Guevara, aux réactionnaires absolus tels que les intégristes islamiques d’Ayatollah Khomeini et le Solidarnosc polonais ouvertement pro-capitaliste.
Au cours de la période passée le Secrétariat unifié s’est permis d’être poussé par les vents politiques dominants : loin à la droite. Cet opportunisme a été porté aux extrêmes les plus révoltants lorsqu’un affilié du Secrétariat unifié en Australie a formé une alliance politique avec les représentants expatriés de l’Ustashi croate, une organisation qui a excédé même les nazis dans sa brutalité contre les Juifs en Yougoslavie sous domination allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale. Autant épouvantable était un article de septembre 1989 dans la revue principale de langue anglaise du Secrétariat unifié, International Viewpoint, soutenant un appel pour la réhabilitation des « frères de la forêt » estoniens, une bande de collaborateurs nazis de la Deuxième Guerre mondiale. Et, en août 1991, lorsque Boris Eltsine, et les forces pro-capitaliste qu’il a dirigées, a délivré le coup de mort à l’État ouvrier soviétique, Ernest Mandel et ses camarades se sont trouvés, dans l’esprit sinon dans la chair, sur les barricades de la contre-révolution eltsinienne. Tariq Ali, un ancien dirigeant du Secrétariat unifié britannique devenu carriériste cynique, a saisi parfaitement l’opportunisme impudique de son vieux maître dans son roman satirique, Redemption, lorsque le caractère principal, modelé évidemment sur Mandel, développe un plan grandiose pour l’« entrisme profond » dans les églises majeures du monde dans une tentative de capitaliser sur la réapparition globale de la religion!
Comment peut quiconque se réclamant être marxiste se trouver en la compagnie de mollahs, d’antisémites et de contre-révolutionnaires déclarés? La motivation est un désir excessif de ne pas être impopulaire. En s’adaptant politiquement aux « mouvements de masse » du moment, peu importe leur caractère politique, le camarade Mandel espère éviter l’isolement réel que les revolutionnaires doivent souvent affronter. Le raisonnement idéologique est que de tels mouvements sont guidés par une quelconque main cachée d’histoire, par un quelconque « processus » ou « dynamique » inconscient qui doit inexorablement les guider dans une direction révolutionnaire, en dépit des intentions réformistes, ou même réactionnaires, de leurs dirigeants. La nécessité, pour les marxistes révolutionnaires, de lutter pour la direction des mouvements de masse sur la base de leur propre programme—i.e., la conception entière du parti d’avant-garde de Lénine—est donc jetée par la fenêtre.
Dans les années 60 et 70, lorsque le Secrétariat unifié cherchait à réduire le trotskysme aux dernières modes politiques, l’adversaire de Mandel dans le débat de ce soir, la Spartacist League autrefois révolutionnaire (SL), a résolument opposé l’opportunisme de Mandel d’un point de vue marxiste révolutionnaire. Lorsque Mandel se prosternait devant les mouvements de guérilleros basés sur la paysannerie du Tiers-Monde, la SL a contreposé le programme marxiste de la révolution prolétarienne. Lorsque le Secrétariat unifié essayait de faufiler dans les bonnes grâces des sandinistes, la SL a affirmé que les politiques de collaboration de classe du régime nicaraguayen mèneraient à la catastrophe. Lorsque le Secrétariat unifié, avec le reste de la gauche révolutionnaire ostensible, saluait la « Révolution Islamique »de Khomeini, la Tendance spartaciste internationale est restée virtuellement seule, en insistant que le triomphe de l’intégrisme islamique ne représentait aucun progrès sur le règne sanglant du Shah. En 1981, lorsque le Secrétariat unifié chantait les éloges de Solidarnosc, la Tendance spartaciste internationale caractérisait Lech Walesa comme réactionnaire clérical, et avait dénoncé Solidarnosc comme un véhicule, soutenu par l’impérialisme, pour la restauration capitaliste.
Sur tous ces points de divergences, l’histoire a depuis rendu un verdict non équivoque. L’infatuation de la nouvelle gauche pour les guérilleros du Tiers-Monde est devenue une mémoire, avec la nouvelle gauche et la plupart des mouvements de guérilleros eux-mêmes. Les masses nicaraguayennes ont découvert que la « troisième voie » entre le capitalisme et le socialisme est une cul-de-sac. La victoire de Khomeini en Iran n’a pas produit une radicalisation de masse, mais plutôt une dictature théocratique—trempée dans le sang de milliers de militants de gauche—qui règne à Téhéran aujourd’hui. Et Lech Walesa dirige un État capitaliste en voie de construction sur les dos des ouvriers polonais.
Pendant les années lorsqu’il rampait devant Khomeini et s’efforçait de se rapprocher le plus près que possible avec Walesa, Mandel se moquait de la SL et autres critiques de gauche comme sectaires gauchistes sans importance. Maintenant, après que les événements ont définitivement falsifié chacune de ses perspectives, et avec son organisation dans un état développé de désintégration, il choisit soudainement de discuter. Mandel peut seulement ignorer son désavantage évident s’il oublie les leçons d’histoire. En dépit de son érudition et de sa production littéraire prodigieuse, la théorie n’est pas pour lui un moyen pour comprendre la réalité et de guider l’action révolutionnaire, mais un couvert idéologique pour le tout dernier raccourci du Secrétariat unifié. Lorsqu’un tel projet échoue, il passe facilement au prochain, et espère que personne ne se souviendra de ce qu’il avait dit quelques années ou même quelques mois plus tôt.
La Spartacist League de Robertson : aucune alternative au Secrétariat unifié
Les positions de la Tendance bolchévique internationale se basent sur le bilan politique de la Spartacist League révolutionnaire des années 60 et 70. Malheureusement, la Spartacist League a subi depuis une dégénérescence politique profonde, et ne peut plus fournir une alternative révolutionnaire conséquente à l’opportunisme de Mandel.
Le déclin de la SL a commencé vers la fin des années 1970, lorsque la vague de radicalisme étudiant qui a permit à la Spartacist League d’agrandir de façon significative était clairement passée, et James Robertson, le fondateur et dirigeant du groupe a graduellement consolidé son contrôle personnel absolu et despotique. Le mécanisme pour ceci était une série de purges destructrices et en grande partie apolitiques, qui avaient visé les cadres faisant preuve d’un degré appréciable d’indépendance politique ou de capacité critique.
Le résultat est la Spartacist League d’aujourd’hui : un culte d’obéissance introverti et dépolitisé centré sur la personne de James Robertson. La Tendance externe, précurseur de la Tendance bolchévique, a été fondée en 1982 par d’anciens membres de la Tendance spartaciste internationale ayant été chassés de l’organisation lors des purges. En 1990, la Tendance bolchévique a fusionné avec le Gruppe IV. Internationale d’Allemagne et le Permanent Revolution Group de la Nouvelle-Zélande, pour lancer la Tendance bolchévique internationale. Ces trois groupes, tous fondés par d’anciens cadres de la Tendance spartaciste internationale, ont partagé un engagement de porter en avant la lutte pour le trotskysme abandonné par la SL. Ils ont aussi partagé une reconnaissance qu’aucune d’organisation, bien que son programme soit formellement « correct » sur papier, ne puisse jamais diriger la classe ouvrière au pouvoir si ses membres sont instruits—comme le robertsonistes sont instruits par leurs dirigeants à chaque jour—que l’obéissance aveugle est la plus haute vertu révolutionnaire.
La direction de la Spartacist League a répondu à notre critique de leur régime interne en suggérant que ceux qui osent exposer la désagréable vérité de la vie interne du groupe Robertson font le travail soit du FBI soit du Mossad (police secrète d’Israël). Nous notons par conséquent avec intérêt que le récent document Tâches et Perspectives de la SL, réimprimé dans la publication Spartacist d’automne 1994, contient une évaluation organisationnelle qui répète beaucoup de mêmes critiques que nous avons avancées contre elle au cours des années.
Ce document déplore la pénurie des liens syndicaux du groupe. Il déplore l’attitude « trop passive et propagandiste (au meilleur) ou abstentionniste (au pire) dans quelques-unes des grandes batailles pour le droit a l’avortement » de ces membres et concède que « nos habiletés à combattre efficacement nos adversaires sont devenus émoussés ». Sur le plan international, le document se plaint que « nous n’avons pas encore à l’extérieur des États-Unis un collectif du parti cohésif », et que les sections outre-mer qui constituent la Ligue communiste internationale (LCI) ne sont que des « ’villages Potemkin’ souvent incapables de saisir politiquement ce qui se passe dans leurs propres pays ». Le centre organisationnel de New York (qui, d’après le document, est plein de « routiniers trop liés au bureau ») est apparemment aussi dysfonctionnel, et manque un « bureau politique et un secrétariat international cohésif et efficace pour mener le travail dans la SL aux Etats-Unis et internationalement » [notre traduction].
Qu’est-ce qui a mal fonctionné?
Ce portrait de soi peu flatteur reflète certainement la pensée de James Robertson, qui, de sa position avantageuse de semi-retraite des environs de San Francisco, peut regarder l’organisation qu’il a construite avec plus de détachement. Il n’est pas évidemment content avec ce qu’il voit. Mais, précisément parce que la Spartacist League est sa propre créature, Robertson ne peut pas fournir une explication plausible de ce qui est mal allé. Le document attribue l’état désolé de la SL au climat politique réactionnaire actuel. Et il serait fou de nier que les années de Reagan/Bush, la chute du stalinisme, la désindustrialisation, l’offensive capitaliste contre la classe ouvrière, la détérioration du système pédagogique et la dépolitisation et l’a-historicisation d’une génération entière qui en résulte, créeraient des difficultés sévères pour toute organisation révolutionnaire. Mais celui-ci est seulement la moitié de l’histoire.
L’autre moitié—la moitié que Robertson et ses sycophantes et intellectuels captifs ne peuvent pas reconnaître—consiste dans le rôle qu’ils ont joué eux-mêmes en apportant le groupe à son état présent. La SL en effet a perdu quelques-uns de ses militants syndicaux aux congédiements et aux fermetures d’usines. D’autres sont devenus fatigués et ont quitté. Mais il y avait d’autres syndicalistes (y compris les travailleurs de l’automobile de Détroit, et des militants proéminents du syndicat des débardeurs) qui était victimes des purges irrationnelles. Tôt dans les années 1980, la direction de la SL a abandonné le travail syndical et a ravagé une base importante dans l’industrie des communications, où une fraction SL avait été reconnue comme l’opposition nationale à la bureaucratie. Ces actes de cannibalisme politique n’avaient rien à faire avec la désindustrialisation. Ils ont été conduits par la frustration de Robertson avec la nature dévorante et difficile de travail révolutionnaire dans les syndicats, couplé avec sa crainte paranoïde que les syndicalistes qui développaient leur propre base parmi les ouvriers, pourraient un jour diriger une fraction oppositionnelle au sein de la SL.
Les syndicalistes n’étaient pas les seuls à subir ces ravages. En même temps plus ou moins, l’organisation a soudainement été découverte être plein de merdes, de cochons, de voleurs, de manipulateurs sexuels, de crypto racistes, de renégats sur la question russe, et au moins un proto fasciste. La couche de jeunesse talentueuse qui a produit Young Spartacus, a été repoussé dans une purge ainsi nommée « purge des clones » de 1978. L’année suivante, Bill Logan, l’ancien dirigeant des sections australien et britannique, a été grossièrement accusé de psychopathie et expulsé à la première conférence internationale du groupe. Les purges moins spectaculaires ont suivi à travers le début des années 1980 dans presque chaque section de la Tendance spartaciste internationale.
L’ombre de la lutte de succession
Est-que qu’il est du tout surprenant, ayant se débarrasser d’une bonne partie de leurs éléments les plus créatifs et politiques, que la SL est maintenant plein de serviteurs, avec une capacité limitée pour intervenir dans la gauche? Peut-il y en avoir un mystère pourquoi le centre de New York, qui avait été formé dans l’obéissance inconditionnelle à un individu seul, doit cesser de fonctionner efficacement lorsque ce même individu se retire en Californie? Les difficultés actuelles du centre prévoient la lutte du pouvoir chaotique qui éclatera quand le numéro un n’est plus là pour résoudre toutes les divergences par décret personnel.
Les premiers bruits peuvent être entendus dans le document Tâches et Perspectives, qui affirme que le problème de la succession peut être résolu à condition que le groupe « n’évite pas la lutte ». En langage spartaciste, une « lutte » est un piétinement d’un individu ou groupement particulier initié par le régime. L’objectif courant semble être les membres principaux du comité éditorial de Workers Vanguard, qui sont châtiés comme « furieusement défensifs, territoriaux, hyper sensibles, arrogants, membres d’une clique et anti-léninistes ». Les membres du collectif de Workers Vanguard, qui ont bêtement enduré de tel abus pendant des années, peuvent manquer quelques vertébrés, mais ils constituent l’élément le plus intelligent et le plus politique dans le groupe, et sont par conséquent les candidats les plus logiques pour la direction future. Le fait que Robertson attaque publiquement le comité éditorial aujourd’hui indique qu’il est déterminé de ne pas délasser son saisi personnel sur la SL, même s’il a cessé la diriger directement.
Pendant 25 années le groupe de Robertson n’avait pas de divergences et pas de tendances internes. Ce bilan plutôt gênant a été rompu cette année lorsque deux membres aînés à Toronto ont proclamé une opposition politique (généralement droitière) au sein de la LCI. Les polémiques avec les dissidents (qui ont fondé depuis le Groupe léniniste trotskyste) ont fourni une occasion pour Robertson d’essayer d’oxygéner ses troupes, et en même temps de donner preuve de la vie riche démocratique interne de la LCI. Les oppositionnels ont tiré des conclusions différentes. Ils rapportent que la direction a instruit les membres de ne pas parler à eux à l’extérieur des réunions politiques formelles, et ont noté comment sur toute question débattue, « l’ensemble de la direction a acquiescé immédiatement aux désirs de Robertson ». Ils ont conclu que dans la LCI, « la réalité est-ce que le super-dirigeant croit qu’il est à un moment donné ».
La politique et la question du régime
L’organisation moribonde que Robertson déplore a été façonnée avec sa propre hachette bureaucratique. Il peut regretter ce que la SL est devenue, mais son style dirigiste de commandement et la soumission immédiate demandée de ses troupes sont maintenant trop profondément encrassés pour la changer fondamentalement. Au cours des années nous avons rencontré beaucoup de gens dans et autour de la Spartacist League qui affirment que le caractère du régime interne n’importe peu pourvu que la ligne politique reste essentiellement correct. A ceci nous avons répondu qu’une organisation sans une vie démocratique interne manque la capacité de corriger les erreurs de son dirigeant, et doit inévitablement quitter les rails politiquement.
Les premières confirmations de notre pronostic sont venues dans une série de départs droitiers du passé trotskyste de la SL. En 1981, des contingents de la SL se sont apparus dans les manifestations de solidarité avec l’Amérique centrale agitant le drapeau du FMLN salvadorien, l’aile militaire du front populaire. En 1983, lorsqu’une caserne de marines des États-Unis à Beyrouth a été démolie par une bombe des intégristes islamiques—un acte que toute organisation trotskyste digne du nom regarderait comme un coup justifié contre les envahisseurs impérialistes—la SL a répondu avec l’appel pusillanime, social-patriote pour « les marines hors de Liban, maintenant, vivant! » Ceci a été suivi en 1984 par l’offre absurde de défendre le congrès du Parti Démocratique ayant lieu cet été à San Francisco du danger imaginaire d’une attaque reaganiste/fasciste. Et en 1986, quand la navette spatiale Challenger, chargé d’appareils de l’espionnage antisoviétique et du personnel militaire des États-Unis, s’est auto-détruit, la SL a déploré son destin comme « tragique ».
Pourquoi cette sollicitude soudaine pour les troupes impérialistes et les partis politiques capitalistes? La réponse est que l’organisation de Robertson avait acquis quelques actifs matériels substantiels, et il bénéficiait d’une mode de vie au dépens de ses membres. Il s’est inquiété quelque peu qu’un procureur reaganiste passionné puisse chercher un substitut domestique pour l’« Empire du Mal ». Donc il était nécessaire de signaler que la SL n’était pas réellement l’organisation révolutionnaire respirant le feu qu’elle prétend parfois être dans les pages de Workers Vanguard.
Les cadres principaux de la SL ont été préparés généralement à ignorer ces départs « mineurs » du léninisme, mais ils ne peuvent pas ignorer l’incapacité politique démontrée de la réponse du dirigeant infaillible à la crise prolongée et l’écroulement éventuel du bloc soviétique. Pour un groupe qui se considère posséder la compétence spéciale et les perspicacités « uniquement correctes » sur la question russe, ceci avait une signification particulière. Avec le début de la seconde guerre froide, la direction de la SL a commencé à exposer clairement un comportement stalinophile—c’est-à-dire, à s’identifier politiquement avec certaines fractions et personnalités dans la bureaucratie stalinienne. Un exemple tôt était l’appel de 1980 à « Saluer l’Armée rouge en Afghanistan! » plutôt que simplement de faire appel pour sa victoire militaire, comme la SL avait fait pour le Viet Minh dans les années 1960. En 1982 un contingent de la Spartacist League dans une manifestation anti-Klan était nommé la « brigade Yuri Andropov », d’après le successeur récent à Brezhnev. Ceci est devenu le sujet d’une série de polémiques entre nous et la direction de la SL lorsque le penchant stalinophile du dernier nous a été révélé clairement. Quand Andropov est mort en 1984 Workers Vanguard a publié un élogieux poème/article nécrologique sur lui sur la page couverture!
En 1989, quand le régime de la RDA est entrée dans sa crise terminale, la Spartacist League et ses branches outre-mer ont fait un investissement extraordinaire d’argent et du personnel dans une tentative d’influencer le résultat. L’intervention a été basée sur deux prémisses : d’abord, qu’une révolution prolétarienne politique était réellement en voie, et, seconde, qu’une aile de la bureaucratie briserait à la gauche et résisterait à la réunification capitaliste. Cette illusion a atteint des hauteurs absurdes lorsque Robertson a voyagé à Berlin et a essayé d’arranger une audience avec Markus Wolf (espion-maître de la RDA), Gregor Gysi (chef du parti gouvernant de la RDA) et /ou le commandant militaire soviétique Général B.V. Snetkov. Mais au lieu d’accepter les conseils de Robertson sur comment opposer la restauration capitaliste, l’appareil stalinien souverain a collaboré dans la liquidation de l’Etat ouvrier. Finalement, lorsque la réalité ne pouvait plus être niée, les cadres de la LCI ont été plongés dans une confusion et une démoralisation profonde—de quoi ils ne sont pas encore sortis à ce jour.
Les erreurs robertsonistes sur la question russe
Cette désorientation a prévenu la SL de répondre dans une manière de principe lorsque les staliniens ont réellement entrepris de tenir la ligne contre la contre-révolution—à Moscou en août 1991. Dans la confrontation entre les partisans déclarés du capitalisme assemblés autour de Boris Eltsine, et la fraction sclérotique de staliniens « durs » essayant de conserver le statut quo légal, la SL n’a pas pris de côté. Pour cet échec abject ils donnent plusieurs rationalisations peu convaincantes : d’abord, que les dirigeants putschistes et les partisans d’Eltsine ont été consacrés également à la restauration capitaliste, que même la SL ne croit pas vraiment ; seconde, que les putschistes n’ont jamais essayé d’initier des actions contre Eltsine, qui n’est pas vrai ; et troisième, qu’ils n’ont fait aucune tentative de mobiliser la classe ouvrière, qui est vrai mais sans rapport—les trotskystes n’ont jamais demandé que les staliniens mobilisent la classe ouvrière comme une condition préalable au soutien militaire contre les contre-révolutionnaires.
A travers les années 1980, et particulièrement dans son intervention en RDA, la direction de la SL a commencé à miser ses espoirs dans l’attente que des sections de la bureaucratie stalinienne s’opposent aux impérialistes et défendent les Etats ouvriers. Lorsque les staliniens est-allemands ont failli faire ainsi, les robertsonistes ont été amèrement déçus que les bureaucrates se sont prouvés indignes de leurs hauts espoirs, et ont refusé de prendre part pour la fraction stalinienne soviétique qui a entrepris à résister finalement, bien qu’insuffisamment. Ce genre de zigzag politique est typique de centristes. Par contraste, nous avons critiqué la SL pour son affinité pour Yuri Andropov et ses illusions dans les staliniens de la RDA, mais avons pris part aussi pour les dirigeants putschistes contre Eltsine en 1991. Nous avons vu les staliniens comme étant ni plus ni moins de ce qu’ils étaient.
Depuis le putsch avorté de Yanayev à Moscou, les tentatives de la SL de justifier leur échec ont réussi seulement à les empêtrer même plus profondément dans un tissu de contradiction en soi. Ils affirment que, bien qu’ils n’aient pas pris un côté dans la tentative de putsch, ils n’étaient pas neutres. Mais si, comme ils réclament aussi, les deux côtés avaient également l’intention de restaurer le capitalisme, qu’y avait-il de tort avec une position neutre? Ils affirment qu’ils auraient soutenu les dirigeants putschistes militairement si ces derniers avaient mobilisé la classe ouvrière soviétique pour écraser Eltsine. Mais si les dirigeants putschistes étaient autant restaurationnistes, pourquoi devons-nous vouloir que les ouvriers les soutiennent? Par contre, si les dirigeants putschistes résistaient à la restauration, n’était-il pas le devoir des trotskystes de les défendre peu importe si oui ou non ils ont fait appel aux ouvriers? La Spartacist League ne peut répondre à aucune de cettes questions.
Ni peuvent-ils dire exactement quand l’ex-URSS a cessé d’être un Etat ouvrier. Pendant plus d’un an la SL a minimisé la signification du putsch afin de minimiser l’importance de leur échec à prendre un côté dans cette lutte. Les membres de la SL ont continué à insister que, en dépit de la victoire d’Eltsine, rien de fondamental n’avait changé en URSS. Puis, sans annonce, ils affirment que l’Etat ouvrier soviétique n’est plus. Mais pas un mot sur quand, pourquoi ou comment. Ils disent simplement que peu importe comment la transformation est arrivée, elle n’a pas eu lieu en août 1991, et se limitent à de vague murmures concernant la transformation graduelle de la Russie en un Etat capitaliste autrefois après 1991 comme le résultat de l’absence de résistance de la classe ouvrière contre Eltsine.
Ces erreurs ont été renforcées l’année dernière quand, après avoir d’abord décrit correctement la confrontation d’octobre 1993 entre Eltsine et Rutskoi comme un « querelle entre fractions corrompues et cyniques » de la contre-révolution, et ayant noté que « Rutskoi/Khasbulatov et la coalition rouge-brune infesté de fascistes qui les soutiennent n’est pas moins hostile à la classe ouvrière qu’ Eltsine » (Workers Vanguard, le 8 octobre 1993), Robertson a renversé cette position, et Workers Vanguard a annoncé sans explication qu’ils auraient dû prendre part avec Rutskoi/Khasbulatov contre Eltsine. Donc la SL, qui a refusé de soutenir les staliniens militairement contre les restaurationnistes capitalistes lorsque la survie de l’Union soviétique était en jeu, a fini prendre un côté lorsque les contre-révolutionnaires se sont chicanés entre eux deux ans plus tard.
La Spartacist League se trouve maintenant dans un état de confusion complète concernant la seule question qui plus que toute autre l’avait définie comme une tendance—la question russe. Ceci n’est pas simplement un cas d’analyse défectueuse. L’adaptation au stalinisme tôt dans les années 1980, comme les déviations social-patriotes, aura pu être renversée facilement dans un groupe centraliste-démocratique en bonne santé. Même l’estimation fausse de la situation en RDA, ou l’échec de saisir la signification des événements d’août 1991, ne constituent pas en soi des trahisons. Les révolutionnaires honnêtes peuvent faire des erreurs. La SL, toutefois, manque la capacité pour corriger ces erreurs que seulement une vie démocratique interne peut fournir. Il est la doctrine de l’infaillibilité robertsoniste, et le refus indomptable de reconnaître qu’un adversaire peut avoir raison et qu’on peut avoir tort, qui conduit la SL à persister à et aggraver ses erreurs originelles, jouant le ravage avec la réalité dans le processus, et de descendre finalement graduellement dans l’incohérence.
Dans la SL nous avons une illustration vivante de pourquoi la question du régime interne d’un groupe ne peut pas être divorcée de ses politiques. Tout dirigeant dont l’autorité ne peut pas être questionnée doit arriver inévitablement à regarder le programme du groupe comme synonyme de la conservation de son propre autorité personnelle. Le côté inverse de cette pièce est que les erreurs du dirigeant deviennent incorporées dans le programme. L’erreur nourrit l’erreur, jusqu’à ce que l’organisation finisse dans un endroit politique très différent de celui où elle a commencé. James Robertson, en détruisant toute apparence de vie interne démocratique dans la SL et réduisant ceux en dessous de lui au silence sur toute question importante, a pris il y a longtemps le premier pas irrévocable sur la route à l’oubli politique.
Le communisme vit toujours!
Les protagonistes dans le débat de ce soir démontrent une certaine symétrie macabre. Ils illustrent deux des pièges les plus communes pour les organisations révolutionnaires dans les périodes lorsque le mouvement ouvrier est en retraite: la tendance à l’adaptation opportuniste d’une part, et, de l’autre, la tendance de tourner à l’intérieur et de devenir un culte sans vie et déraciné. Cependant une telle dégénérescence n’est pas inévitable. Le parti qui a dirigé la seule révolution prolétarienne réussie au monde n’était ni un marais opportuniste ni un culte bureaucratique de personnalité. Le parti bolchévique de Lénine et Trotsky, basé sur la classe ouvrière, a réussi à attirer vers lui les éléments révolutionnaires les plus avancés de sa propre société, et a combiné une vie riche interne démocratique avec la capacité pour l’action unifié et décisive. Nous prenons ce parti comme notre modèle. Il ne peut pas y avoir de garanties dans la politique révolutionnaire, mais deux choses sont certaines: d’abord, que la seule réponse à l’approfondissement du désordre politique et économique de l’ordre capitaliste international est la révolution prolétarienne; seconde, que sans un parti léniniste, une telle révolution ne verra jamais la victoire. Dans ceci, l’époque de guerres et révolutions, le futur de l’humanité dépend sur la question de la direction prolétarienne.
En avant vers la renaissance de la Quatrième Internationale!