La confusion centriste face à la contre-révolution en URSS

Traduit de 1917, no 12, édition anglaise, 1993


La Tendance bolchévique internationale a vu le coup d’Etat soviétique avorté d’août 1991 comme le dernier acte désespéré du stalinisme. Nous avons dit que son échec avait sonné le glas de mort pour l’Etat ouvrier soviétique. Nous avons affirmé que la classe ouvrière soviétique devait prendre part avec le Comité d’Etat pour l’état d’urgence (GKChP) contre les forces de la restauration capitaliste rassemblées autour de Boris Eltsine, parce que les dirigeants putschistes représentaient le dernier obstacle, quoique faible et temporaire, à la destruction totale du pouvoir de l’Etat né de la Révolution d’octobre. La victoire d’Eltsine, nous avons expliqué, a ouvert partout en Union soviétique la voie à la construction des États bourgeois. En ces jours, le Parti communiste, qui formait le coeur administratif de l’État ouvrier dégénéré, a été dissous lorsque la contre-révolution a pris le dessus.

La bourgeoisie internationale n’avait aucune difficulté à reconnaître l’échec du putsch comme étant une défaite énorme pour la classe ouvrière, ou d’agir sur la base de ses propres intérêts de classe en se mettant derrière Eltsine. La gauche ostensiblement trotskyste, par contre, n’a pas démontré une telle consistance. Les plus lâchement opportunistes parmi eux ont simplement joint la bourgeoisie en applaudissant la victoire d’Eltsine. Néanmoins, parce que ces organisations prétendent être trotskystes, elles ont confronté un dilemme théorique complètement étranger aux idéologues bourgeois: comment réconcilier la prise de position, au nom du socialisme et de la classe ouvrière, en faveur des ennemis avoués du socialisme et de la classe ouvrière? Nous avons remarqué dans un numéro précédent de ce journal (no 11, édition anglaise) que le raisonnement le plus logique et consistant pour ce genre de trahison vient d’Ernest Mandel et les réformistes éprouvés du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale. Les mandéliens ont argumenté qu’il n’y avait aucune différence réelle entre les conspirateurs putschistes d’une part et Eltsine/Gorbatchev de l’autre, et, en plus, que la Russie d’après-putsch restait un État ouvrier. Etant donné que le destin de l’État ouvrier n’était pas en jeu en août 1991, la seule différence réelle entre les deux camps était sur la question de droits démocratiques, le camp d’Eltsine étant le plus démocratique des deux. C’est ainsi au nom de la démocratie que le Secrétariat Unifié a levé haut la bannière de la contre-révolution.

Mais même les groupes supposément trotskyste se trouvant à gauche du Secrétariat Unifié ont refusé de faire front commun avec le Comité d’Etat pour l’état d’urgence. Leurs justifications pour ce refus sont, par contre, quelque peu moins consistantes. Le groupe Workers Power (Grande Bretagne) et ses affiliés de la Ligue pour une Internationale communiste révolutionnaire (LICR) a initialement reconnu qu’Eltsine représentait les forces restaurationnistes les plus agressives, et que la défaite du putsch signifiait la fin de l’État ouvrier soviétique.

Ils ont malgré tout pris position en faveur d’Eltsine, sur la base qu’Eltsine était le moins probable des deux à s’attaquer aux droits démocratiques des travailleurs soviétiques. La Spartacist League (E.U.) et ses satellites d’outre-mers de la Ligue communiste internationale (LCI), tout en dénonçant Eltsine le contre-révolutionnaire, sont restées neutres par rapport au putsch, et ont proclamé jusqu’à tout récemment que l’ex-Union soviétique demeurait un État ouvrier.

Depuis que nous avons analysé les vues des deux derniers groupes, ils ont échangé leurs positions sur la nature de l’ex-Union Soviétique. La LICR affirme maintenant que l’État ouvrier a été affaibli, mais reste intact. La LCI, d’autre part, a finalement reconnu que l’URSS n’existe plus. Ce changement de ligne, fait dans les deux cas sans une comptabilité politique sérieuse, n’a pas été occasionné par de nouveaux développements dans l’ex-Union soviétique. La situation objective n’y a pas fondamentalement changé depuis le putsch. Il est plutôt la volonté de ces deux groupes à défendre leurs positions originales qui a diminué entre-temps. Nous pouvons comprendre pourquoi. Les positions de tous les deux étaient aussi insoutenables l’une que l’autre. Mais ces zigzags n’ont pas réussi à résoudre les problèmes de chaque groupe.

Workers Power: de l’inconséquence à l’invraisemblance

Sur le plan empirique, la réponse initiale du groupe Workers Power au putsch a marqué un contraste évident avec celle du Secrétariat Unifié. Pendant plusieurs mois après la défaite du putsch, Workers Power était peu disposé à reconnaître le décès de l’État ouvrier soviétique. De sorte que, lorsque Gorbatchev a officiellement dissout 1’URSS en décembre 1991, ils ont écrit: « L’Union soviétique est morte. Le spectre qui a hanté les capitalistes pendant soixante-dix ans a été enterré » (Workers Power, janvier 1992).

Le groupe Workers Power semble également reconnaître qu’il y avait une distinction essentielle entre Eltsine et Gorbatchev d’une part et les dirigeants putschistes d’autre part. Une déclaration de septembre 1991 du Secrétariat International de la LICR affirme qu’Eltsine représentait « une fraction de la bureaucratie qui a abandonné la défense de ses privilèges de caste et de leur source—l’État ouvrier dégénéré dans le but de devenir membre d’une nouvelle classe dirigeante bourgeoise » (Workers Power, septembre 1991). La même déclaration affirme que le Comité d’Etat pour l’état d’urgence « espérait par ses actions du 19 août défendre ses privilèges sur la base des rapports de propriété postcapitaliste ».

Toutefois, en mi-1992, Workers Power apportait déjà sa ligne en conformité plus ferme avec celle du Secrétariat Unifié. Dans une polémique contre nos camarades néo-zélandais, le groupe Workers Power de la Nouvelle Zélande affirmait que:

« … aucune section de la bureaucratie russe avait un intérêt fondamental dans la défense de la propriété étatique en août 1991. La fraction du Comité d’Etat pour l’état d’urgence n’avait pas d’opposition de principe à la restauration capitaliste.

« …elle n’avait pas de stratégie fondamentalement différente que celle offerte soit par Gorbatchev soit par Eltsine. Elle a simplement voulu protéger ses intérêts pendant le processus de la restauration ».
Workers Power, no 84 (Nouvelle Zélande)

Le même article contient l’évaluation suivante de la Russie d’après-putsch:

« La prise du pouvoir étatique par les restaurateurs de la voie rapide sous Eltsine ne résoudra pas complètement la situation de double pouvoir entre les eltsiniens et la fraction de toute l’union de la bureaucratie….

« Bien que cette prise du pouvoir marque un pas géant envers la restauration capitaliste, elle ne constitue pas la fin du processus. La contre-révolution est loin d’être achevée. Les luttes se présentent à l’horizon… ».

Ce changement de ligne est affirmé dans le Trotskyist Bulletin de la LICR de novembre 1992. Ici nous lisons qu’, « il n’y a très peu ou pas de preuves que les dirigeants putschistes étaient voués à défendre les rapports de propriété postcapitaliste… ».

Ainsi, contrairement à leurs déclarations initiales, la LICR a conclu, tout comme Mandel, que les événements d’août 1991 n’étaient pas décisifs. Les eltsiniens et les putschistes étaient plus ou moins autant déterminés l’un que l’autre à restaurer le capitalisme antérieurement en août, et, de toute façon, les eltsiniens victorieux n’ont pas encore réussi à le faire.

Pourquoi ce tournant? La réponse se trouve dans le fait que la LICR, comme groupe trotskyste autoproclamé, est encore formellement dédié à l’idée que l’URSS pre-putschiste était un État ouvrier, et qu’il était leur devoir de défendre cet Etat contre toutes les forces de la restauration capitaliste, internes et externes. S’ils admettaient que la victoire d’Eltsine avait représenté la destruction finale de l’URSS, il ne serait plus possible de prendre part avec le contre-putsch d’Eltsine sans jeter par-dessus bord leur affirmation d’être défenseur soviétique. Mais la crainte d’impopularité les attire irrésistiblement dans le camp d’Eltsine. Dans leur hâte de répondre publiquement aux événements d’août, ils ont peut-être négligé de penser à toutes les implications logiques de quelques-uns de leurs commentaires. Leur réponse initiale était donc un peu trop près de la vérité pour leur confort.

Dans un article précédent [voir l’article traduit de 1917, no 11, édition anglaise, publié dans ce numéro—NDLR] nous avons écrit:

« … Tandis qu’ils (la LICR) analysent fréquemment les événements et les forces politiques assez justement, leur impulsion opportuniste d’aligner leur politique à l’opinion publique radicale et social-démocrate les empêche de traduire cette analyse en un programme d’action, et souvent les oblige à accepter des conclusions pratiques qui contredisent leur propre raisonnement. Ils n’ont pas encore appris d’Ernest Mandel et du Secrétariat Unifie que la brèche entre la théorie opportuniste et son exercice peut seulement être médiatisée par des représentations fausses de la réalité. Afin de fermer cette brèche le Secrétariat Unifié affirme qu’il n’y avait pas de divergences réelles entre les eltsiniens et le Comité d’Etat pour l’état d’urgence par rapport aux formes de propriété—seulement si les méthodes utilisées soient démocratiques ou autoritaires. Le groupe Workers Power, par contre, admet que les deux camps rivaux représentaient des formes de propriété objectivement opposées, mais choisit de s’allier avec Eltsine malgré tout… ».

Les membres et les sympathisants de la LICR ont-ils fait des observations à peu près semblables concernant la réaction initiale du Secrétariat International à l’égard du putsch? Celles-ci, à leur tour, ont-elles poussé la direction à faire plus d’attention aux enseignements des opportunistes éprouvés dirigés par Ernest Mandel? Pour une raison quelconque, Workers Power a depuis fermé la brèche. Leur tentative actuelle de minimiser l’importance du putsch élimine les inconséquences logiques de leur position antérieure—au prix de dénaturer totalement la réalité.

Qu’est-ce qu’une contre-révolution?

Le Trotskyist Bulletin de la LICR cherche à fournir un étayage théorique quelconque pour ses positions avec l’assertion que:

« La restauration capitaliste exige plus que seulement la destruction de l’emprise des conservateurs sur le pouvoir étatique (ce qui en passant n’était pas totalement achevée par le putsch et le contre-coup). Il exige la destruction de l’opération bureaucratique du système de la planification et son remplacement par la loi de la valeur comme le régulateur économique dominant de la société ».

Si le système planifié est le seul critère pour l’existence de l’Etat ouvrier, il est difficile de voir pourquoi Workers Power voit la contre-révolution à l’avenir plutôt que dans le passé. L’économie de l’ex-Union soviétique ne peut plus être décrite comme étant « planifiée », de façon bureaucratique ou autrement. La destruction de la planification centrale et du monopole de commerce extérieur signifie que l’économie a été subordonnée au marché capitaliste international. La restauration capitaliste ne dépend pas du fait que tous les trusts aient été liquidés, ou que tous les moyens de production aient été privatisés. Des secteurs énormes de l’industrie sont aujourd’hui maintenus en vigueur par des subventions de l’Etat afin de préserver une paix sociale fragile.

L’argument de la LICR confond le triomphe de la contre-révolution avec l’achèvement du processus nécessairement prolongé du dépouillement du système de la propriété étatique. On détruit l’Etat ouvrier lorsque les forces restaurationnistes achèvent la suprématie militaire et politique. Ceci est un préalable à toute transformation économique, mais les deux ne sont pas identiques.

La propriété nationalisée, toute en constituant le fondement économique de l’État ouvrier, ne le définit pas entièrement, pas plus que la propriété privée seule définit un État bourgeois. On doit aussi examiner le rapport entre les formes de propriété dominantes et les institutions politiques, i.e. l’Etat, dans le sens le plus étroit du terme. Est-ce que ceux qui exercent le pouvoir politique sont les défenseurs ou les ennemis du dispositif économique existant? Si le caractère d’un État était défini par les rapports de propriété seulement, alors les bolchéviques, qui n’avaient pas dirigé des nationalisations étendues jusqu’a l’été de 1918, se trouvaient pendant huit mois à la tête d’un État bourgeois. Nous avons la certitude cependant que Workers Power serait d’accord avec nous pour dater la naissance de l’État ouvrier soviétique d’octobre 1917, lorsqu’un gouvernement ouvertement hostile à la propriété privée, et soutenu par son propre « corps des hommes armés », a saisi les rênes du pouvoir. La mort de l’État ouvrier soviétique dans le même sens date d’août 1991, lorsqu’un gouvernement ouvertement hostile à la propriété collectivisée a pris le dessus, appuyé par la fraction militaire ralliée aux côtés d’Eltsine pendant le putsch. Aujourd’hui la préoccupation principale du gouvernement russe est quand et comment privatiser l’économie. Il dépend pour ce projet de l’appui des pouvoirs impérialistes et de leurs principales agences prêtantes.

Il est vrai que les soi-disants durs n’ont pas résisté à la commercialisation au nom du « socialisme » ou de tout autre ensemble idéologique systématique. Mais, antérieurement en août 1991, virtuellement chaque mesure concrète dirigée vers la privatisation de l’économie et la dissolution de l’URSS—le plan Chataline pour le capitalisme dans 500 jours, la libération des contrôles sur les prix sur les articles de consommation, les concessions faites aux séparatistes internes et à l’impérialisme à l’étranger—a rencontré une résistance significative aux plus hauts échelons. La situation était définitivement résolue en faveur de l’aile procapitaliste, et de toutes les forces à l’extérieur de la bureaucratie qui favorisaient la restauration capitaliste, seulement après l’effondrement du putsch.

La nature de la bureaucratie stalinienne

Afin de réfuter notre affirmation que les « durs » résistaient à la contre-révolution, Workers Power érige et démolit un homme de paille. Dans une polémique récente, le Trotskyist Bulletin de la LICR impute à la TBI et à d’autres la position qu’« une fraction majeure de la bureaucratie stalinienne doit inévitablement, ou du moins dans les circonstances présentes, être bureaucratiquement engagée à la défense des rapports de propriété planifies ». Ils continuent en écrivant:

« suggérer qu’une aile (de la bureaucratie stalinienne)… défendrait bureaucratiquement l’Etat ouvrier dégénéré en toutes circonstances signifie donner un caractère social à la caste gouvernante qu’elle n’a tout simplement pas. En bref, on lui donne un caractère prolétarien déformé ou dégénéré. Trotsky ne l’a pas caractérise en ce sens : il a insisté que la caste avait un caractère de classe petit bourgeois ».
Trotskyist Bulletin, no 2, novembre 1992 [notre traduction]

Cette distinction fait peu pour éclaircir les choses. En caractérisant la bureaucratie stalinienne comme une couche petite bourgeoise, Trotsky n’a pas voulu dire par là qu’elle était une strate de petits propriétaires, tel qu’elle existe sous le capitalisme, mais a plutôt cherché à accentuer la position intermédiaire de cette couche entre les deux classes majeures de la société moderne — la bourgeoisie et le prolétariat. Tout comme la petite bourgeoisie, la bureaucratie stalinienne n’avait pas d’intérêt de classe distinct ou de rôle historique propre.

Trotsky a vu la bureaucratie stalinienne comme étant une couche sociale essentiellement conservatrice, dont l’engagement principal était la défense de ses privilèges matériels. Ces privilèges dépendaient, en premier lieu, de l’exclusion du prolétariat du pouvoir politique interne, et du souci d’éviter les soulèvements révolutionnaires ou les confrontations avec l’impérialisme à l’étranger. Les privilèges de la bureaucratie se liaient cependant aussi avec son rôle d’administrateur de l’économie planifiée, dont les fondements étaient posés par la Révolution d’octobre. La bureaucratie cherchait à maintenir toutes ces conditions de son existence. La caste stalinienne avait une instabilité inhérente parce que ces conditions impliquaient un équilibre des forces de classe qui ne put pas durer indéfiniment à l’échelle internationale. Comme toute couche intermédiaire, la bureaucratie aurait été scissionnée advenant une offensive majeure soit par l’impérialisme soit par la classe ouvrière, et quelques-uns iraient du bord de la contre-révolution et d’autres choisiraient le côté de la classe ouvrière.

L’effondrement du stalinisme soviétique a démontré la nature fragile et transitoire de la caste gouvernante soviétique, et réfute une fois et pour toutes les « troisièmes campistes » qui regardent les staliniens soit comme une nouvelle classe dirigeante soit comme une bourgeoisie capitaliste d’État. L’État soviétique n’est pas tombé suite à une offensive militaire impérialiste. Il était en dernière analyse la stagnation économique amenée par six décennies de règne bureaucratique qui à amené de larges couches de l’intelligentsia soviétique et de l’élite technocratique à voir le capitalisme comme un chemin hors de l’impasse. Cette novelle humeur parmi l’intelligentsia libérale était éventuellement étendue aux éléments du sommet du parti et de l’appareil d’Etat, au sein duquel quelques-uns ont tenté de vaincre la stagnation en introduisant quelques politiques commerciales limitées et en rampant à quatre pattes devant l’impérialisme. La perestroïka, à son tour, a encouragé une aile entière de la bureaucratie, personnifiée et dirigée par Boris Eltsine, de sortir de plus en plus ouvertement sous la bannière d’un retour complet au capitalisme. Cette aile a trouvé des appuis également dans les mouvements séparatistes croissants dans les républiques constituantes de l’URSS.

L’assaut contre-révolutionnaire a, en effet, provoqué une scission au sein de la bureaucratie, quoique d’une manière un peu moins nette que celle envisagée par Trotsky. Au sein du Parti communiste, une fraction « dure » s’est développée, qui accusait Gorbatchev de céder trop de terrain, et qui a poussé les éléments les plus droitiers en dehors du Parti et dans les bras d’Eltsine. Cette polarisation croissante a culminé dans la confrontation d’août 1991.

La classe ouvrière avait-elle un intérêt dans ce conflit?

Contrairement aux attentes de Trotsky, la classe ouvrière soviétique n’était pas un facteur actif dans les événements d’août. Démoralisée par les décennies d’abus stalinien et soupçonneuse des bandits eltsiniens, la vaste majorité des travailleurs était indifférente au résultat de cette lutte. Etant donné le fait que les forces combattantes étaient toutes les deux les ennemis de la classe ouvrière, la question se posait: quel résultat rendrait plus facile, ou du moins difficile, la prise de pouvoir par les travailleurs dans leur propre nom à l’avenir? Notre réponse était et demeure une victoire pour le Comité d’État pour l’état d’urgence.

Les putschistes auraient pu largement améliorer leurs chances en essayant de mobiliser un appui populaire, bien qu’ils auraient découvert qu’une victoire contre les eltsiniens accomplie avec la participation active de la classe ouvrière aurait changé significativement l’équation politique. Yanayev, Pugo, et Cie seraient restés partiellement dépendant d’une base populaire pour la consolidation de leur règne. Ceci aurait ouvert la porte à l’action politique continue et étendue de la classe ouvrière.

Dans les circonstances, le Comité d’État avait explicitement fait appel aux travailleurs de rester au travail et il n’y avait pas de section de la classe préparée à agir indépendamment contre les contre-révolutionnaires. Pourtant même dans l’absence d’un appui prolétarien aux putschistes, leur victoire était historiquement préférable à celle d’Eltsine.

En revendiquant un bloc militaire avec le Comité d’État, nous n’avons pas pensé, comme Workers Power implique, qu’une aile de la bureaucratie « devait inévitablement » défendre l’État ouvrier. Il était possible que l’entière caste dirigeante aille aux restaurateurs, ou du moins se rende sans combat, comme ce fut le cas dans la plupart de pays de l’Europe de l’est. Et, comme nous avons signalé antérieurement, les événements ont presque pris ce chemin. Mais pas tout à fait. Le fait reste qu’une fraction stalinienne « dure » avait décidé d’agir. Elle ne l’avait pas fait avec un programme clair visant à défendre et à renouveler la propriété collectivisée, et encore moins, comme Workers Power suggère, avec une quelconque stratégie à long terme pour restaurer le capitalisme sous un règne autoritaire. Elle avait agi de façon réflexive et tardivement afin de préserver ce qui existait, afin de geler une situation rapidement détériorante. Avec ceci, leur dernier acte, les staliniens ont fourni une confirmation finale à la caractérisation de Trotsky de la bureaucratie comme étant une caste essentiellement conservatrice.

Le Comite d’État représentait l’aile de la bureaucratie la plus dépendante de la survie de l’appareil central de l’État, et qui ainsi avait vu la dissolution de cet État comme un danger mortel. La classe ouvrière soviétique, pour des raisons entièrement différentes, avait elle aussi un intérêt dans la préservation des institutions de l’État ouvrier dégénéré, car ce dernier constituait un obstacle à la restauration capitaliste. Il y avait donc une convergence temporaire des intérêts entre le Comité d’État et les intérêts historiques de la classe ouvrière, qui aurait pu formé la base pour un bloc militaire, mais certainement pas pour une alliance politique stratégique. Une fois le danger eltsinien écarté, les travailleurs auraient confronté la tâche de renverser une bureaucratie déjà dans son agonie de mort. Un appui militaire par la classe ouvrière au GKChP contre Eltsine aurait énormément amélioré à la fois les perspectives de vaincre la contre-révolution et les conditions favorisant la révolution politique des travailleurs.

Démocratie et contre-révolution

Le groupe Workers Power a pris position avec Eltsine pour une raison et une raison seulement. Tout comme les démocrates petit bourgeois dont le centrisme est le reflet idéologique inévitable, ils voient les droits démocratiques comme le Saint des Saints. C’était pourquoi ils ont favorisé un bloc avec la contre-révolution « démocratique » même lorsque, immédiatement après le putsch, ils avaient une évaluation entièrement différente des buts des fractions combattantes. Leur réévaluation subséquente, à l’effet que les fractions étaient autant pro-capitaliste l’une que l’autre, étaient simplement une réflexion tardive, une rationalisation consciente afin de rendre leur position plus compatible avec un marxisme faussement professé.

Bien que nous défendions les droits démocratiques, nous regardions la propriété collectivisée comme une conquête beaucoup plus valable pour la classe ouvrière, et nous considérions la propriété privée des moyens de production et non la dictature politique comme le plus grand mal. A l’encontre des sociaux-démocrates, nous ne disons pas que les droits démocratiques et la lutte pour le socialisme ne peuvent jamais, en aucune circonstance, entrer en conflit. Le GKChP n’était pas constitué par des champions de la démocratie ouvrière, mais ni Eltsine, ni quiconque qui le remplacera enfin, ne réussira à restaurer le capitalisme par les moyens démocratiques. Si le Comité d’État pour l’état d’urgence avait eu quelques unités militaires digne de confiance dans la capitale, et avait triomphé uniquement par la force des armes, il aurait bien attaqué les libertés accordées sous Gorbatchev plus tôt qu’Eltsine le ferait. Beaucoup de chefs syndicaux auraient pu être emprisonnés, les publications syndicales supprimées et les réunions interdites. Dans le court terme, il y aurait pu en effet avoir eu un choix entre la préservation de certaines libertés démocratiques et le ralentissement de l’assaut sur les restes de l’économie planifiée. Celui-ci était le choix qui avait confronté la Pologne en 1981.

Nous affirmons que la défense de la propriété collectivisée vient en premier lieu. Le besoin pour la dictature politique se trouve en proportion inverse à la force du groupe gouvernant. La propriété privée des moyens de production est une puissante institution sociale, indépendante du régime politique, avec des racines profondes dans la société. Pour cette raison, le règne de la bourgeoisie dans les pays avancés n’est pas normalement menacé par l’existence du suffrage universel ou des parlements. Précisément parce que la bureaucratie stalinienne était une caste usurpatrice, sans légitimité historique et sans racines sociales indépendantes, elle était obligée de compter sur un monopole strict du pouvoir politique. L’usage par les staliniens de méthodes dictatoriales était une indication de leur faiblesse, pas de leur force.

Le renversement de la bureaucratie stalinienne par les travailleurs impliquerait seulement un changement dans les formes de règne politique, laissant les fondements économiques intacts. Rompre le règne du capital, d’autre part, implique une lutte contre la classe dirigeante domestique, de même que contre ses puissants protecteurs internationaux, et la restructuration économique complète de la société—une tâche beaucoup plus formidable. La victoire d’Eltsine a fait reculer la classe ouvrière russe non seulement quelques années, mais des décennies. Le groupe Workers Power cherche maintenant à éviter la responsabilité d’avoir pris position avec les fauteurs de cette défaite historique en niant qu’une telle défaite a eu lieu. Le travailleur soviétique vivant d’une pitance pour la première fois depuis la Révolution d’octobre et le paysan cubain mangeant du pamplemousse au lieu de la viande ont un compte différent à rendre.

La Spartacist League: de l’invraisemblance à l’inconséquence

Si Workers Power nie la réalité de la contre-révolution par souci d’une consistance fausse, la Spartacist League/Ligue communiste internationale plonge dans l’inconséquence afin de reconnaître la réalité. Comme les autres pseudo-trotskystes de la gauche réformiste et centriste, la Spartacist League a refusé de fournir un appui militaire au Comité d’État. Tout comme le Secrétariat Unifié et la LICR, elle a tenté de minimiser l’abandon du défensisme soviétique en minimisant la signification du putsch échoué. Il y a juste quelques mois, les dirigeants spartacistes proclamaient que l’ex-Union soviétique demeurait toujours un État ouvrier, et dénonçaient ceux et celles qui disaient autrement comme cyniques désespérés et renégats antisoviétiques.

Dans une polémique du 27 septembre 1991 contre la Tendance bolchévique internationale (TBI), Workers Vanguard écrivait:

« La défaite du putsch, ils [la TBI] affirment, signifie que… ‘l’obstacle principal organisé à la consolidation d’un État bourgeois a été effectivement éliminé. Ainsi ils ont simplement tiré un trait sur la classe ouvrière soviétique comme une force contre la restauration capitaliste…. Ainsi ils tirent un trait sur chaque soldat et officier de l’Armée soviétique comme un agent répressif du capital ». [notre traduction]

Un an après le putsch, dans une lettre d’août 1992 à un de ses sympathisants, qui a adhéré depuis à la TBI, la LCI affirmait encore que reconnaître la réalité de la victoire d’Eltsine, « reflète ton incapacité de faire rupture avec l’équation familière au Secrétariat Unifié tout au long de son histoire zigzagante: à savoir que la caste bureaucratique stalinienne égale l’État ouvrier ». [Pour l’échange complet, voir 1917, no 1, édition française, 1993—NDLR]

Quelques semaines plus tard, la LCI a choisi l’occasion de sa deuxième conférence internationale (la première en 13 ans!) pour proclamer qu’elle aussi a joint les rangs des défaitistes, des cyniques et des traîtres au trotskysme qui croient que l’État ouvrier soviétique n’existe plus. Dans un article de Workers Vanguard du 27 novembre intitulé « How the Soviet Workers State Was Strangled » (publié dans Le Bolchévik, no 122, janvier 1993, sous le titre « Comment l’Etat ouvrier soviétique a été étranglé ») nous lisons:

« Le 7 novembre dernier a marqué le 75e anniversaire de la Révolution bolchévique. Mais l’État ouvrier érigé par le pouvoir bolchévique, de loin la plus grande conquête du prolétariat international et un gigantesque bond en avant pour l’humanité, n’a pas survécu à sa 75e année. La période de contre-révolution ouverte inaugurée par le contre-coup d’Etat procapitaliste de Boris Eltsine en août 1991 a, en l’absence de la résistance ouvrière de masse, abouti à la création d’un État bourgeois, cependant fragile et réversible ».

Quels événements catastrophiques ont poussé les dirigeants de la SL à adopter une position qu’ils avaient si véhément dénoncé seulement quelques mois auparavant? Eltsine a-t-il vaincu la classe ouvrière dans une confrontation majeure finale? Y avait-il une confrontation majeure entre le gouvernement d’Eltsine et le corps des officiers? Si oui, seulement la SL est au courant de ces événements. L’explication pour le changement brusque de ligne doit être cherchée non à Moscou, mais au quartier général de la SL à New York.

Un « tournant historique inconséquent? »

Jusqu’à la fin de novembre, la LCI insistait que l’ex-Union soviétique restait un État ouvrier. Mais le passage du temps apportait à chaque jour de nouvelles preuves de l’absurdité d’une telle affirmation. La vielle ligne était tellement contredite par la réalité qu’elle a du finalement être abandonnée si la LCI ne voulait pas être l’objet de ridicule. Mais les dirigeants de la SL ne peuvent pas simplement laisser admettre qu’ils ont eu tort. Pour sauver leur réputation organisationnelle, ils doivent prétendre que la situation objective a changé.

Pendant des mois Workers Vanguard avait cherché quelque développement qui lui offrirait une voie de sortie respectable de sa position que la Russie est toujours un État ouvrier. D’où les avertissements répétés qu’un nouvel État bourgeois puisse se consolider si les travailleurs russes ne se soulevaient pas bientôt. D’où les rappels constants que chaque acte répressif du nouveau régime—de l’attaque policière contre une manifestation anti-Eltsine à Moscou au bris d’une grève des contrôleurs aériens russes—était un pas de plus sur la voie de la « consolidation ». Le document principal de la conférence internationale de la LCI cite une lettre par James Robertson, le chef suprême de la SL/LCI, suggérant qu’Eltsine puisse bien trouver « que provoquer un bain de sang de grande ampleur (et en sortir victorieux) constituera pour les masses une proclamation adéquate que les choses sont maintenant différentes et qu’elles le resteront ». Un tel événement aurait fourni en effet une excuse commode afin de reconnaître que le caractère de l’État soviétique avait changé. Mais il n’a jamais eu lieu. Après avoir attendu plus d’un an, la SL n’a pas pu attendre plus longtemps.

En novembre 1992, Workers Vanguard a finalement annoncé qu’un État bourgeois s’était « consolidé » dans le territoire de l’ancienne URSS. Quand est-ce que cette « consolidation » a eu lieu? Workers Vanguard ne peut pas dire exactement, mais se presse à nous assurer que, quoiqu’il en soit, elle n’a certainement pas eu lieu en août 1991: « L’ascendance qu’ont pris Eltsine et les forces capitalistes-restaurationnistes qui le soutiennent a été un événement-pivot pour déterminer le sort de l’Union soviétique, mais pas décisif ». Il y a aussi une suggestion que le nouvel État capitaliste émerge comme le résultat d’un processus graduel et progressif:

« Le régime d’Eltsine a poussé son avantage pour démanteler tout vestige de l’État ouvrier dégénéré soviétique et pour avancer à marche forcée dans la voie de la consolidation progressive de la contre-révolution. La quantité s’est maintenant transformée en qualité ».
WV, le 27 novembre 1992, republié dans Le Bolchévik, janvier 1993

La question critique n’est pas quand en fait le nouvel Etat bourgeois russe s’est consolidé (il est encore seulement très partiellement consolidé), mais plutôt quand est-il né? A l’encontre de la LICR, la LCI n’a jamais proclamé qu’il y avait une situation de double pouvoir dans l’ex-Union soviétique suivant le putsch. Ni ont-ils argumenté que l’appareil gouvernant post-août n’a été dédié ni à la propriété bourgeoise ni à la propriété collectivisée. Si ces deux possibilités sont exclues, il y a seulement une autre réponse: l’État bourgeois est venu au monde avec la victoire d’Eltsine en août 1991.

La signification des événements d’août est si clairement évidente que même la LCI est obligé de la reconnaître:

« Les événements d’août 1991, au cours desquels les éléments ouvertement favorables à la restauration capitaliste ont pris le dessus en l’Union soviétique, ont marqué un tournant dans l’histoire mondiale contemporaine ».
Spartacist, no 27, édition française, été 1993

On pourra s’attendre à ce que tout révolutionnaire autoproclamé voudrait prendre part dans un tel événement décisif. Ainsi le document du 26 septembre 1992, adopté unanimement par la conférence internationale de la LCI, contient le commentaire ambigu suivant:

« Les événements d’août 1991 (coup d’État et contre coup d’État) semblent avoir joué un rôle décisif quant à l’évolution en Union soviétique, mais seuls des gens sous l’emprise de l’idéologie capitaliste et de ses prébendes pouvaient s’empresser de tirer cette conclusion à cette époque ».
—« L’Etat ouvrier étranglé », Le Bolchévik, janvier 1993

En autres mots, ceux (comme la TBI) qui ont saisi le sens des événements d’août lorsqu’ils ont eu lieu, ont seulement démontré qu’ils sont les prisonniers de l’idéologie bourgeoise, sinon les agents rémunérés de l’Etat capitaliste. Le défaut de la direction robertsoniste à comprendre ce qui est arrivé pendant plus d’un an après les événements, d’autre part, démontre un optimisme révolutionnaire inlassable. En bref, on loue la dénégation de la réalité comme une vertu révolutionnaire.

Les volte-faces dont nous témoignons maintenant trouvent leur origine dans le refus initial de la direction spartaciste d’appuyer la seule position consistante avec la défense de l’État ouvrier rapidement décomposant face aux eltsiniens: un bloc militaire avec le Comité d’Etat. Il serait facile de sauter à la conclusion que ceci représente une capitulation à l’antisoviétisme libéral. Mais les robertsonistes sont de loin trop profondément immergés dans leur existence insulaire de secte pour être sensibles outre mesure aux humeurs libérales de gauche. Il est plus probable que cette erreur remonte à leur propre histoire récente.

En 1989-90, les robertsonistes ont dirigé une intervention concertée dans l’ex-RDA (Allemagne de l’est). Ils ont fondé leur intervention sur l’attente qu’une section de la bureaucratie stalinienne se lèverait pour défendre l’État ouvrier est-allemand contre la campagne de réunification dirigée par la bourgeoisie de la Bundesrepublik. Cette attente fût amèrement déçue lorsque les staliniens de la RDA ont capitulé sans combat. Il était peut-être du dégoût pour les staliniens de la RDA, ou la répugnance d’admettre que l’Union soviétique a pu rencontrer sa fin d’une façon si pathétique, que la direction spartaciste a refusé de faire bloc avec les staliniens à cette dernière occasion lorsqu’ils ont réellement essayé de se défendre contre la contre-révolution. Lorsque la confrontation finale est venue entre Eltsine et Yanayev, la LCI a refusé de prendre part.

L’échec de la direction de la SL/LCI de saisir la signification des événements d’août 1991 l’a immédiatement placée devant un dilemme. Si la défaite du Comité d’État signifiait la fin de l’État ouvrier soviétique, leur neutralité équivalait au troisième campisme. Ils étaient ainsi obligés d’invoquer beaucoup des mêmes rationalisations que les réformistes et autres centristes, à savoir que le Comité d’État était autant capitaliste-restaurationniste que le camp d’Eltsine, et que la défaite du GKChP n’a pas changé le caractère de classe de l’État soviétique.

Le fait que la TBI ait pris une position claire de défensisme soviétique à l’égard du putsch a rendu leur situation même plus aiguë. D’une part, les robertsonistes ne peuvent pas répondre à la TBI sans avoir recours aux arguments centristes standards. D’autre part, la SL/LCI ne peut pas se différencier d’autres groupes réformistes et centristes divers, qui avaient soutenu Eltsine ou avaient refusé de prendre position, sans reconnaître une distinction essentielle entre les camps adversaires d’août 1991. Cependant, faire ceci admettrait la nécessité d’un bloc militaire avec les putschistes lors des événements décisifs, et l’obligerait à concéder que son ennemi spécial, la Tendance bolchévique internationale [décrite par le document principal de leur conférence internationale cite ci-haut comme étant une organisation « totalement repoussante, anti-spartaciste, politiquement douteuse et au financement louche »—NDLR], a eu raison contre elle tout au long. Ceci est quelque chose que la LCI ne puisse jamais faire, surtout sur une question aussi importante que la question russe. Faire ceci minerait fatalement son principe organisationnel central: à savoir l’infaillibilité du chef fondateur omniscient, James Robertson. Au lieu de ceci, les dirigeants de la SL/LCI essaient de manoeuvrer hors de ce dilemme en cherchant quelque terrain de milieu entre la neutralité et l’appui militaire au putsch.

Cet illusoire terrain de milieu n’est pas trouvable sur la terre ferme. Il se trouve de l’autre coté du petit mot—« si »—qui domine toutes les polémiques spartacistes sur le putsch soviétique. La direction robertsoniste affirme qu’elle aurait fait bloc avec le Comité d’État si ce dernier avait mobilisé les travailleurs pour écraser Eltsine. Ceci, elle affirme, la distingue d’autres centristes, qui eux n’auraient pas pris position en faveur des putschistes même s’ils avaient fait appel à la classe ouvrière. Selon le document principal de la conférence internationale de la LCI, une discussion majeure a eu lieu dans sa section britannique sur ce qu’ils auraient dû faire si le Comité d’État avait cherché l’appui des travailleurs. Le trait bizarre de tous ces débats c’est qu’ils ont lieu dans un univers purement hypothétique, conjuré par les robertsonistes afin de faire dévier l’attention du fait que dans le monde réel—le seul dans lequel les positions politiques comptent—ils ont pris une position neutre semblable à celle des groupes contre lesquels ils polémiquent.

James P. Cannon (cadre fondateur du mouvement trotskyste américain) avait dit que quiconque touche la question russe touche une révolution. Il est donc d’une importance spéciale de comprendre quand et comment l’État créé par la Révolution d’octobre a été anéanti. Les dirigeants robertsonistes, qui prétendent être les principaux experts mondiaux sur la question russe, se sont démontrés eux-mêmes incapables de comprendre la destruction finale de l’Union soviétique. Ils n’ont pas saisi l’importance du putsch, et maintenant livrent au ravage leur propre programme déclaré et la raison elle-même afin de cacher leur erreur originale. Ceci est la conduite classique des centristes. Pire encore que l’abstentionnisme de la LCI est l’appui du Secrétariat Unifié et de la LICR aux contre-révolutionnaires. Des militants sérieux qui restent dans ou autour de ces organisations doivent tôt ou tard voir que ceux qui ajusteraient leur politique en conformité avec l’humeur populaire, ou les exigences de maintenir le prestige de leurs chefs, ne peuvent même pas interpréter le monde d’une manière convaincante, et encore moins réussir à le changer.