Le fascisme et la gauche allemande

Luttez contre le fléau nazi!

BERLIN—Le fascisme allemand continue sa réapparition menaçante. Dans les trois années qui ont suivi la réunification capitaliste d’Allemagne d’octobre 1990, il y avait plus de 75 meurtres inspirés par les fascistes en Allemagne. Les attaques incendiaires clandestines contre les immigrés et les minorités se produisent à chaque semaine. Le principe nazi d’éliminer les « bouches inutiles » a eu pour résultat une vague horrifiante d’attaques meurtrières contre les enfants et les adultes handicapés, les sans-abri et les vieillards. Les attaques fascistes contre la gauche augmentent, et la propagande nazie est dirigée de plus en plus contre les syndicats, qui sont accusés de « mettre en danger le charbon et l’acier allemand ». Cette montée de l’extrême droite a été accompagnée d’un antisémitisme croissant. Les cimetières juifs ont été ravagés et récemment la synagogue de Lübeck était l’objet d’un incendie criminel.

Les bandes fascistes grandissent, mais elles sont encore relativement petites et, du moins dans les régions urbaines principales, n’ont pas encore été capable d’atteindre une supériorité physique sur les militants anti-fascistes. Mais jusqu’à présent, aucun mouvement de résistance efficace n’a pu se développer.

Le siège prolongé de réfugiés à Rostock par les foules enragées, sous direction fasciste, en 1992 était mauvais pour l’image allemande à l’étranger. Après la couverture massive par les médias internationaux des meurtres par attaques incendiaires des femmes et enfants turques à Mölln et à Solingen l’année dernière, le gouvernement allemand a été contraint d’annoncer des « représailles » contre la terreur droitière. Les fascistes ont répondu par la tenue de grands rassemblements nationaux célébrant les incendies. Les policiers y ont assisté comme spectateurs passifs et complaisants.

Bien que l’État allemand désapprouve officiellement le terrorisme nazi, son attitude réelle est reflétée dans le traitement extrêmement clément accordé à la poignée de fascistes arrêtée et condamnée ces derniers temps. Même ceux qui ont été déclarés coupables de meurtre reçoivent habituellement des peines extrêmement légères. Parfois, pour des buts publicitaires, un groupe nazi est interdit, mais il réapparaît le lendemain sous un nouveau nom.

Les quelques occasions rares lorsque les policiers « interdisent » les mobilisations nazies, ils le font par souci d’un « danger à la paix sociale posé par les contre-manifestants ». Les nazis obligeamment changent l’emplacement de leur provocation à un endroit moins accessible pour la gauche et reçoivent inévitablement une protection policière massive. A l’occasion du défile d’août 1993 à Fulda afin de commémorer « la Journée Rudolf Hess », les policiers ont interdit l’accès aux manifestants antifascistes et ont laissé les rues ouvertes aux nazis.

La bourgeoisie allemande n’a certainement pas l’intention de remettre le pouvoir politique aux vandales hitlériens dérangés. Mais les bandes nazies ont toutefois une certaine utilité lorsque la classe dominante cherche à faire dévier le mécontentement social causé par la chute du niveau de vie et un chômage croissant contre l’épouvantail des travailleurs étrangers. Ce sentiment xénophobe, à son tour, fournit un milieu fertile pour la croissance du mouvement fasciste. Pour la bourgeoisie allemande les attaques racistes sont un moyen efficace et peu dispendieux de décourager les immigrés et les réfugiés « illégaux », et en même temps mettent la pression sur la population considérable d’immigrés en Allemagne. Les fascistes peuvent être quelquefois une source d’embarras, mais ils sont des auxiliaires précieux à l’appareil d’État bourgeois.

Le fascisme et la ‘nouvelle droite’

Plus de 30 organisations fascistes éprouvées en Allemagne, en Autriche et en Hollande sont font partie d’un réseau clandestin avec des organisations parapluie au-dessus comme couverture légale. Ils cherchent à recréer le Sturmabteilung nazi (SA) avec les escouades de « soldats politiques », coordonnées à travers un réseau de communication électronique. Des feuillets et journaux à circulation nationale, tels que Einblick, publient les noms, les adresses et les photos des antifascistes avec des appels légèrement déguisés au meurtre. Les « babillards électroniques » fascistes transmettent les informations et les directives, y compris les plans pour incendier des bâtiments. Dans beaucoup de localités dans l’est du pays, les centres des jeunes ont été repris par des bandes de skinheads racistes. Les cafés et les concerts de musique pour les jeunes ont été attaqués. Tout ceci se passe sous le nez des autorités « démocratiques », qui affirment être impuissants d’agir.

Les racistes et les ultranationalistes de l’extrême droite, qui constituent la base de masse pour les bandes fascistes, assemblent leur force sous la constitution démocratique. Les réunions publiques des partis politiques parlementaires de l’extrême droite tels que les Republikaner (Parti républicain) et la Deutsche Volksunion (l’Union du peuple allemand) sont protégées souvent par des escouades de skinheads fascistes, aussi bien que par la mobilisation habituelle de la police. Entre-temps la « nouvelle droite » intellectuelle s’occupent d’essayer de rendre l’idéologie fasciste assez « respectable » pour être embrassée ouvertement par les parlementaires de la droite. Les groupes nationalistes tels que « Thule Séminaire », les journaux tels que l’hebdomadaire Junge Freiheit, Mut et Criticon, et divers « états-majors » politiques et économiques de l’extrême droite constituent la base pour une fusion des « démocrates nationalistes » avec les troupes de choc fascistes.

La démarcation entre les politiques bourgeoises « normales » de la droite et sa bordure raciste antidémocratique est en train d’être effacée, lorsque l’ensemble du spectre politique verse dramatiquement vers la droite. Les nazis bottés et les négationnistes de l’Holocauste pseudo académiques, les skinheads racistes et les nationalistes anti-Maastricht, les revanchards, et même quelques nationalistes sociaux-démocrates, sont tous enchaînés à travers un tissu croissant d’organisations et de publications « patriotiques » allemandes.

Le Parti social-démocrate (SPD), parti de la bureaucratie ouvrière, participe à l’hystérie xénophobe contre les immigrés. L’année dernière, lorsque le gouvernement a décidé d’étriper la provision constitutionnelle du droit d’asile (donnant de cette façon une respectabilité parlementaire à la campagne de terreur nazie), le SPD a appuyé cette décision. Plus récemment, il y avait le spectacle obscène de Herbert Schnoor, le ministre de l’intérieur social-démocrate de l’État de Nordrhein-West-Falen, qui participait en personne à la campagne pour expulser des milliers de « bohémiens » d’origine roma et sinti qui avaient fui les pogroms dans les Balkans, la Roumanie et la Hongrie.

Même à Hambourg « rouge », où les sociaux-démocrates ont dirigé les affaires depuis des décennies, le SPD a essayé de garder le pouvoir par un revirement vers la droite et en faisant une campagne électorale particulièrement laide contre les immigrés dans une élection d’État spéciale à la fin de l’an dernier. Mais ils ont failli gagner la majorité. Entre-temps l’extrême droite des Republikaner et la DVU, qui a mené une campagne ouvertement raciste, attaquant aussi l’accord de Maastricht, ont gagné un huit pour cent sans précédent du vote. Le rond d’élections de cette année, lorsque les partis traditionnels essaient de se défendre en récupérant les voix ultranationalistes et racistes, est prévu être plus sale que toute campagne depuis l’époque de l’ancienne République de Weimar.

Les nationalistes de ‘gauche’ passent à la droite

La direction du SPD tolère le grossièrement nationaliste « Cercle Hofgeismarer » au sein du parti. Ces gens citent avec approbation Niekisch, un personnage « national révolutionnaire » mineur des années 1930 qui avait critiqué Hitler pour sa conduite « trop légale ». Ceci est bien sûr un peu gênant pour beaucoup de militants du SPD, mais est une extension logique du social-patriotisme dans une période de réaction croissante. Il y a eu une capitulation progressive au nationalisme allemand, la source idéologique du fascisme, par de larges couches de la gauche petite bourgeoise radicale et libérale. Un symptôme tôt était le développement d’une aile nationaliste « verte/brune » du mouvement écologiste. Un autre était la dénonciation par Rudi Dutschke, le dirigeant autrefois radical du mouvement étudiant de 1968, d’une soi-disant « victimisation » de l’Allemagne par l’impérialisme américain et « l’impérialisme soviétique », une position adoptée par les maoïstes allemands des années 1970.

En 1989-90, beaucoup de la soi-disant « gauche » allemande ont soutenu la réunification capitaliste sous la bannière du droit inaliénable d’impérialisme allemand à « l’autodétermination nationale ». Initialement l’opinion publique allemande a été opposée en sa grande majorité à la coalition impérialiste dans la Guerre du Golfe, mais, après un barrage de propagande bourgeoise identifiant Saddam avec Hitler, beaucoup de membres du mouvement de la paix et les verts ont fini par appuyer, d’une manière ou une autre, les actions militaires d’ordre secondaire, telles que le blocus naval contre l’Irak. La plupart de ces mêmes organisations « anti-impérialistes » ont appuyé la création de nouveaux États clients d’Allemagne en Slovénie et en Croatie, un développement qui a accéléré la désintégration de l’ancien État ouvrier déformé de la Yougoslavie et le début de la guerre inter- interethnique. Aujourd’hui la « gauche » nationaliste discute la possibilité d’une participation allemande d’ordre secondaire dans l’intervention impérialiste des Nations unies et de l’OTAN contre les Serbes.

Bien qu’il y ait eu un tournant profond vers la droite dans la politique allemande, il y a encore une répulsion populaire immense aux conséquences du terrorisme fasciste. Jusqu’à présent ce sentiment a, pour la plupart, été canalisé dans les manifestations impuissantes « contre la haine », les veillées à la chandelle et autres formes de protestation morale. Les bureaucrates qui dirigent le Deutscher Gewerkschaftbund (DGB—fédération des syndicats allemands) n’ont pas seulement refusé toute mobilisation syndicale pour affronter les bandes de terreur fasciste, mais sont allés jusqu’à défendre l’emploi de la police contre les manifestants antifascistes.

La gauche allemande: la confusion, l’abstention et la prostration

Beaucoup de membres du Partei des demokratischen Sozialismus (PDS), le successeur social-démocrate de gauche à l’ancien parti stalinien est-allemand souverain, qui retient une base populaire considérable dans l’est du pays, ont démontré un certain intérêt à lutter contre les voyous fascistes. Mais la direction du PDS a jusqu’à présent démontré plus d’intérêt à tenir un dialogue avec ces tueurs racistes. La base du PDS a été bouleversée quand Christine Ostrowski, une porte-parole bien connue du Parti, a entrepris une « discussion » avec le groupe fasciste Offensive nationale. Il est improbable qu’elle ait agi sur sa propre initiative et, en tout cas, elle n’a reçu que la plus douce des réprimandes de la direction du Parti. De même, le président du PDS de Mecklenburg-Vorpommern, Johann Scheringer, était seulement admonesté doucement pour avoir donné une entrevue à Junge Freheit. Répondant à des critiques de gauche de la base, Gregor Gysi, le populaire ancien secrétaire général du PDS, a dit que personnellement, il n’avait vu rien de mal « en principe » à l’égard des discussions avec Junge Freheit (« Déclaration du bureau de la presse du PDS », le 26 août 1993).

Le Spartakist-Arbeiterpartei Deutschlands—SpAD [la section allemande de la Ligue communiste internationale (robertsoniste)] parfois prend des positions à résonance très militante. Il affirme par exemple l’importance de mobiliser les ouvriers contre le nazisme dans ses écrits sur le fascisme. Le SpAD a un problème de crédibilité toutefois. Ses pratiques n’arrivent pas à la hauteur de ses positions littéraires quelquefois correctes. Il dénonce tout front uni entre divers groupes de gauche rivaux comme un « front populaire » de collaboration de classe, peu importe si de telles charges sont fondées dans les faits. La tendance à hystérie du SpAD, et sa volonté à calomnier ses adversaires de gauche, l’a rendu en grande partie insensible aux développements politiques dans la gauche. Les membres du SpAD ne sont simplement pas pris au sérieux.

Si le SpAD tend vers le sectarisme, le Sozialistische Arbeitergruppe, affilié au Socialist Workers Party britannique de Tony Cliff, incline fortement vers l’opportunisme de droite. Le SAG est parfois prêt à s’engager dans les activités de front uni contre les fascistes, mais ne cache pas son désir de construire un mouvement antifasciste multi-classes. Son inclination de s’adapter au niveau actuel de la conscience politique a mené le SAG à plaider en faveur d’une campagne pour mettre de la pression sur les gouvernements locaux (y compris ceux dirigés par les conservateurs de la CDU/CSU) pour interdire les réunions et les manifestations fascistes. Apparemment le SAG pense que les choses seraient beaucoup mieux si seulement le « représentants élus indiquaient clairement aux nazis qu’ils ne sont pas bienvenus » (Klassenkampf No. 125, mars 1994).

Ce genre de crétinisme parlementaire se dirige exactement dans la fausse direction, et peut seulement enhardir les fascistes. Les révolutionnaires ne font pas appel à l’État capitaliste d’interdire les nazis (ou de les faire sentir « malvenus »!) parce que les fascistes représentent les bataillons auxiliaires extra-légaux de l’État capitaliste. Toute l’expérience historique antérieure indique qu’une telle législation, même si elle est ostensiblement dirigée contre la droite, est utilisée inévitablement contre la gauche et le mouvement ouvrier.

VORAN, la section allemande soeur de la tendance Militant britannique et une composante du Comité pour une Internationale ouvrière, joue le rôle principal dans le JRE allemand [Jugend gegen Rassismus in Europa, organisation connue en France sous le nom Jeunes contre le racisme en Europe—NDLR]. Le JRE, fondé en 1992, réclame environ 10,000 membres en Europe et son programme s’oppose à « la pauvreté, le chômage, le vécu des sans-abri, et la destruction de services sociaux » et proclame l’intention de mener les « luttes contre les attaques racistes et fascistes ». Les partisans de VORAN au sein de la direction nationale du JRE allemand font semblant d’être bien militants. Ils appellent correctement pour « empêcher les défilés, les réunions, et les kiosques d’informations nazis » (Voran, No. 156). Mais dans sa pratique VORAN oscille de long en large entre une rhétorique révolutionnaire et un accommodement opportuniste, entre l’action antifasciste militante et le suivisme envers la social-démocratie allemande.

L’édition de Voran de décembre 93/janvier 94 (publication du même nom que le groupe) contient un article sur comment faire un « travail social » avec les jeunes nazis, et note que, « naturellement les jeunes fascistes sont les victimes de cette société dans la mesure qu’ils réagissent au chômage et le vécu des sans-abri ». Se rendant compte peut-être comment ceci peut paraître aux immigrés qui confrontent la terreur fasciste quotidienne, l’auteur ajoute que bien sûr les nazis sont « en premier lieu les faiseurs » de cette violence et non ses victimes innocentes. Mais l’auteur continue à se tourmenter sur comment sauver les « compagnons de route » prodigues et fascisants ou les « jeunes nazis de la génération prochaine » de leurs dirigeants et affirme qu’il est:

« nécessaire d’introduire une brèche entre la base nazie et ses dirigeants politiques….Mais ceci se réussira non à travers l’acceptation mais à travers la lutte politique, en créant un golfe entre eux ». [Notre traduction]

Comme une arrière-pensée l’article de Voran mentionne le besoin pour des « coups politiques et concrets » contre les nazis, mais n’arrive pas à prendre une ligne dure contre le dialogue avec les nazis. Cette question a été adressée directement dans une soumission à la conférence nationale du JRE à Francfort le janvier dernier par un délégué de Berlin-Kreuzberg:

« La force du fascisme ne se trouve pas dans ses arguments ni dans son programme politique. Sa force consiste dans la fusion ensemble de la haine et du désespoir (la crainte d’une chute dans la misère) des éléments déclassés reflétée dans un programme réactionnaire (irrationnel) d’action directe contre les ‘boucs émissaires’….Ce programme est vraiment un appel pour la guerre et le génocide et ne peut pas être repoussé par de ‘meilleurs’ arguments. Quiconque discute avec les nazis présume indirectement qu’il y a un niveau (commun) d’argumentation (rationnelle) avec la propagande fasciste. Avec une telle approche on rend les arguments fascistes acceptables et met une plus haute valeur sur eux. Il n’y a rien à discuter à propos du génocide! Les fascistes n’ont aucun droit! Les actions pour écraser les bandes nazies sont nécessaires.

« … le centre de notre travail politique doit être aujourd’hui de gagner la jeunesse de gauche et particulièrement la jeunesse syndicale à la lutte contre le fascisme. Nos actions directes pour casser les bandes fascistes contribuent à démoraliser les nazis et à réduire leur champ potentiel pour le recrutement ». [notre traduction]

Les illusions de VORAN dans l’État bourgeois

En théorie la tendance Militant s’oppose à mettre la confiance dans la volonté de l’État capitaliste d’interdire les fascistes, mais l’opportunisme de sa direction les mène en d’autres directions. En Grande Bretagne, Militant Labour recommande à l’Etat de « fermer les bureaux du BNP fasciste ou nous le ferons », et demande aux conseils locaux d’adopter une politique de « ne pas louer de salles de réunion publique aux fascistes ». A la conférence du YRE britannique en décembre dernier, les partisans du Militant se sont intervenus plaidant pour que le JRE adopte la demande pour la « comptabilité démocratique » de la police. Militant a depuis longtemps poussé l’appel réformiste utopique pour le « contrôle communautaire » des flics et est en faveur de « syndicats » policiers affiliés au mouvement ouvrier.

VORAN n’a pas encore tenté d’imposer cette position au JRE allemand, mais leur intention a été révélée clairement lorsqu’ils ont invité un représentant de la « police critique » à la conférence de Francfort en janvier 1994. Les flics « critiques » [terme allemand qui indique les composants « progressistes » des forces policières—NDLR] ne sont pas venus. Les partisans du Gruppe Spartakus (GS) dans le JRE ont dénoncé les illusions dangereuses de VORAN sur cette question et ont affirmé que la police, qui constitue le poing armé de l’État bourgeois, ne peut pas être « réformée » pour servir les opprimés. Comme Trotsky a indiqué dans son essai distingué de 1932 sur comment combattre le fascisme, « Et maintenant? », « L’ouvrier qui devient un agent policier au service de l’État capitaliste, est un flic bourgeois, non un ouvrier ».

Pour VORAN, cet opportunisme est une affaire de « tactiques » intelligentes. Les expressions dures de gauche qui paraissent quelquefois dans sa presse sont utiles pour attirer les jeunes militants qui veulent lutter contre les nazis. Mais la direction de VORAN se soucie que les critiques révolutionnaires de l’État, des flics, et/ou les faux dirigeants syndicaux et du SPD, posées dans le contexte d’une mobilisation de masse sérieuse contre les fascistes, pourrait « effrayer les masses influencées par la social-démocratie ». Cette adaptation politique profondément encrassée à la social-démocratie allemande trouve ses origines dans le fait que les cadres principaux de VORAN ont été moulés par une longue période d’entrisme profond dans le SPD. Lorsque le SPD se déplaçait vers la droite, la direction de VORAN l’a trouvé presque impossible de maintenir une ressemblance de politique socialiste quelconque et a renoncé finalement à fouiller dans le « cadavre puant » de la social-démocratie allemande. Mais l’effet de leur formation est encore évident dans l’appel de VORAN aux ouvriers de voter SPD en 1994.

Les jeunes militants qui ont adhéré au JRE parce qu’ils voulaient écraser les nazis ne sont pas généralement favorablement prédisposés au SPD. Ils savent que la social-démocratie participe à la campagne raciste contre les immigrés et les réfugiés. A l’intérieur du JRE, VORAN tenter de rendre sa politique pro-SPD plus agréable en le posant dans le négatif, « parlez à haute voix contre la droite—Votez contre les fascistes et les partis bourgeois dirigeants, la CDU, la CSU, et le FDP ». Mais il est très difficile de convaincre quiconque qu’un vote pour le SPD signifie « parler à haute voix contre la droite ». Sur virtuellement chaque question politique—de la réduction des salaires, au démantèlement des services sociaux, aux interventions impérialistes secondaires à l’étranger—la direction du SPD défend passionnément les intérêts de la bourgeoisie contre les travailleurs. En vue des prochaines élections le SPD mène campagne sur le fait qu’il peut mieux « moderniser » l’impérialisme allemand que les partis bourgeois.

Même VORAN est obligé à concéder que « ce programme du SPD implique qu’une victoire électorale pour le SPD ne signifie pas un tournant politique » (Voran, No. 157, décembre 93/janvier 94). Le mieux que VORAN peut espérer est qu’un gouvernement SPD petit fournir un meilleur « point de départ » pour les luttes ouvrières parce qu’il serait plus susceptible à la pression de la classe ouvrière. Mais les seules concessions que tout gouvernement capitaliste fait sont celles qu’il est obligé à céder par une lutte de classe dure. Donner un appui électoral quelconque au SPD lorsqu’il mène une campagne ouverte sur an programme anti-ouvrier peut seulement confondre les militants et limiter les possibilités de résistance future contre lui. La raison réelle que VORAN appuit encore la social-démocratie est parce que le prolétariat, « malgré toutes les déceptions voit le SPD comme la seule alternative au gouvernement Kohl », (Voran, No. 158, février 1994). Ceci est du suivisme, non du léninisme.

Même déguisé comme un vote « contre la droite » ou « un point de départ », beaucoup de membre du JRE ne voient aucune raison d’appuyer la social-démocratie. A la conférence nationale un tiers des délégués (y compris quelques membres de VORAN!) a voté pour une résolution soutenue par le GS de refuser tout soutien électoral au SPD traître. La direction de VORAN a été étonnée évidemment face à la dimension de l’opposition sur cette question, et comme résultat, les membres du JRE et les groupes locaux sont libres d’exprimer leurs propres points de vues sur l’élection.

Un jeu du football anglo-germanique majeur a été planifié pour l’anniversaire de Hitler le 20 avril au stade de Berlin, où les nazis avaient organisé les Jeux Olympiques de 1936. La « grande coalition » CDU/SPD qui gouverne Berlin l’a approuvé même sachant bien que les nazis aient l’intention de l’utiliser comme une occasion pour une mobilisation nationale. Les fascistes n’ont pas été capables jusqu’à présent de paraître publiquement dans une ville allemande majeure, donc il était extrêmement important que cette provocation reçoive une réponse agressive.

Les bureaucrates syndicaux ont concentré leur activité sur la vente des billets au jeu qui avait été arrangé par leurs « camarades » dans le gouvernement municipal de Berlin. Un comité de protestation de haut profil composé du PDS, des verts, de l’Union Humaniste, de quelques « autonomes » anarchisants, et de quelques syndicats, a cherché à mettre la pression sur les autorités de Berlin et l’Association du Football britannique afin d’annuler le jeu—comme si l’annulation de cet événement particulier résoudrait le problème du fascisme croissant. Ce comité a explicitement énoncé son intention d’ignorer les provocations fascistes, quoiqu’il a aussi promis d’essayer de fournir une protection pour quelques « points de danger ».

Le comité antifasciste Gençlik Kommittee, composé en grande partie d’immigrés turcs, a organisé une manifestation de 3,000 personnes dans le district de Kreuzberg tard l’après-midi du 20 avril. Mais il a repoussé explicitement la demande d’impliquer la gauche allemande et les syndicats dans une défense militante unie. Cette attitude sectaire a resserré la base de la manifestation de façon significative et a augmenté de cette façon les dangers d’une persécution policière des manifestants, en grande partie des immigrés.

Poussé par les partisans du GS, le JRE de Berlin a participé dans le lancement d’une coalition de front uni tôt en mars, visant à empêcher l’activité fasciste à Berlin le 20 avril. En plus du JRE, la coalition « ne céder aucun pouce aux fascistes le 20 avril! » comprenait, VORAN, le SAG, le GS et, plus tard, la Sozialistische Liga. Quelques semaines après que la coalition a été lancée, la direction nationale du JRE a ordonné à ses membres de se retirer d’elle, utilisant comme prétexte la répugnance des bureaucrates qui dirigent le Gewerkschaft Offentliche Dienste, Transport und Verkehr [ÖTV: syndicat allemand de la fonction publique et des services du transport—NDLR) de soutenir cette initiative. Après que le JRE s’est retiré de la coalition à la demande de VORAN, le SAG a suivi immédiatement, et le front uni était effectivement abandonné. Au lieu de tenter d’organiser des forces suffisantes afin de bloquer définitivement la mobilisation fasciste planifiée, la direction nationale du JRE proposait de distribuer des « cartes rouges » aux spectateurs à l’entrée du stade. L’idée était que les fascistes seraient démoralisés en voyant les gens agiter ces petits morceaux du papier à l’intérieur du stade.

Nos camarades du Gruppe Spartakus ont proposé aux organisateurs la création de nombreux groupes d’autodéfense décentralisés dans les centres d’immigrés de même qu’à d’autres cibles possibles des nazis, et ont affirmé que ces mobilisations devaient être coordonnées afin de prévenir, si possible du point de vue tactique, les défilés nazis. Le JRE Kreuzberg et le JRE Pankow ont appuyé cette initiative. Deux semaines avant l’événement, les autorités du football britanniques se sont retirées unilatéralement du match. Ceci a créé la confusion si oui ou non les nazis allaient continuer avec leur provocation menacée.

Comme il est déjà arrivé, les nazis ne sont pas apparus. Mais pendant les jours jusqu’au 20 avril il y avait des préparations pratiques pour organiser des escouades de défense dans les districts où la probabilité de violence fasciste était élevée. Typiquement, beaucoup de attaques nazies sont menées par de petites bandes dispersées qui se rendent aux objectifs pré-sélectionnés et/ou lancent des assauts au hasard sur tous les immigrés identifiables, les gais, les gauchistes, etc., qu’ils arrivent à rencontrer. Si une bande de voyous racistes est vue allant vers un voisinage particulier, un rapport ponctuel à une escouade de militants correctement préparés et basée dans la région pourrait neutraliser la bande nazie.

La direction du JRE Berlin a décidé de participer dans les escouades d’autodéfense dans quelques régions. Des plans ont été faits pour établir des liens de communication parmi les branches différentes du JRE Berlin afin de coordonner des réponses tactiques. Les partisans de VORAN à cette réunion ont alors énoncé que les unités du JRE devaient aussi immédiatement téléphoner la police avec toute information sur des mouvements fascistes! Un partisan du GS a alors proposé que, « le quartier général du JRE dans aucun cas n’informera la police lorsqu’il obtient des informations sur les rassemblements ou autres activités nazis ». Cette motion n’a pas été adoptée, mais a reçu à peu prés un tiers du vote de la direction en sa faveur, et le reste (y compris tous les membres de VORAN) a voté contre.

Les trotskystes n’interdisent pas, sur principe, toute forme de coopération avec des éléments de l’État bourgeois dans la lutte contre les fascistes. Mais dans la situation présente en Allemagne, il est absolument clair que les flics interviendraient en faveur des fascistes. Informer la police des activités des escouades d’autodéfense à l’avance, comme VORAN a proposé, peut seulement mettre en danger les militants antifascistes et protéger les nazis.

Cette décision suggère que la direction de VORAN ait l’intention de résoudre la contradiction antérieure dans le JRE entre l’appel pour écraser les fascistes et ses tentatives de mettre la pression sur l’État bourgeois afin de les interdire. Si VORAN réussit à faire passer ce tournant à droite, le JRE sera vidé bientôt de jeunes qui veulent lutter contre les nazis. Il sera composé par contre de ceux qui croient que toute bonne chose vient à ceux qui travaillent à travers les bons réseaux.

Comme Trotsky a écrit en 1932, « une organisation peut être importante soit par la masse qu’elle contient soit par le contenu des idées qu’elle est capable d’introduire dans le mouvement ouvrier ». VORAN n’a ni l’un ni l’autre. Au lieu de compter sur la police capitaliste pour une protection contre l’avant-garde fasciste du capital, une organisation révolutionnaire doit s’orienter envers les éléments les plus militants de la classe ouvrière et des opprimés, et doit chercher à les orienter dans la direction d’une résistance organisée de masse aux bandes fascistes meurtrières. Le seul moyen de décourager les nazis est à travers leur anéantissement physique, et ceci exige le courage, l’organisation et l’intelligence. Mais la première exigence est la volonté révolutionnaire de lutter.